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De la mort, de la célébrité, de l’actualité et des atrocités

Un mort par jour. Rectificatif : un mort célèbre par jour. Précision : un mort médiatiquement célébré. Affinement : un mort prélevé dans la Société du Spectacle. Développement.

Le hasard – ici heureuse et infaillible coïncidence – a fait que mon ami Robert Blondin ait, outre-Atlantique, cousu au même moment quelques profondes réflexions autour de la mort, de la célébrité et des trompettes de la renommée fustigées par le lumineux Brassens. Double occasion de « mourir moins bête », comme le clame un grinçant feuilleton quotidien sur Arte, se terminant invariablement par : « …oui, mais bon, vous mourrez quand même ! »

[dropcap]Résumons[/dropcap], par ordre chronologique de décès (liste très provisoire) : Delpech Michel (chanteur), Bley Paul (pianiste de jazz), Turcat André (pilote d’avion), Hunter Long John (bluesman), Galabru Michel (comédien), Boulez Pierre (musicien), Pampanini Sylvana (actrice italienne), Armendros Chocolate (trompettiste cubain), Peugeot Roland (industriel), Courrèges André (styliste de mode), Reid Patrick (rugbyman irlandais), Clay Otis (chanteur de soul étatsunien), Bowie David (chanteur britannique), Angélil René (agent artistique québécois), Desruisseaux Pierre (écrivain québécois), Tournier Michel (écrivain), Alaoui Leïla (photographe franco-marocaine), Scola Ettore (cinéaste), Charles-Roux Edmonde (écrivaine, journaliste)…

J’ai, exprès, mis les noms de famille en tête, comme sur les monuments aux morts et comme on les appelle à chaque célébration de massacres.

Ne pas manquer non plus de citer Allen Woody quand, ayant énuméré les morts successives de Jésus, Marx, Mao, il ajoute, goguenard : « …Et moi-même, je ne me sens pas très bien… »

Liste ouverte, limitée à la sphère cultureuse ou presque, franco-centrée – bien qu’il y ait là dedans des sportifs, un pilote, des Canadiens, un industriel, un Cubain, une franco-Marocaine…

Le plus marrant, si j’ose dire, c’est la liste complète établie et tenue au jour le jour sur Wikipedia. Vaut le détour, c’est ici.

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Le Monde aussi, "la" référence…

Où l’on voit que le degré de célébrité relève de facteurs multiples, surtout culturels et marchands. Ce qui définit bien la notion de « spectacle » – même si on ne l’étend pas à la critique de la société selon Debord Guy (mort lui aussi – en 1994).

Où l’on voit qu’il y a un degré de plus entre popularité et pipolarité, cette dernière tendant à devenir la seule vraie échelle de « valeurs », propulsée en cela par la machine médiatique à fabriquer de l’idole selon des recettes aussi fluctuantes que les cours de la bourse. Fluctuations qui n’altèrent en rien la solidité du Capitalisme, au contraire. Tout comme la célébration des morts célèbres assurent les valeurs des célébrités (provisoirement) vivantes. Ainsi ce flux morbide se trouve-t-il pieusement entretenu. Il fait partie du fond de commerce des gazettes et autres rédactions nécrologiques, voire nécrophiliques.

Ainsi Le Monde – pour ne citer que lui – renferme dans son frigo quelque 300 notices prêtes à démouler après réchauffage à l’actualité. Mais c’est sans doute l’Agence France Presse qui détient la plus garnie des chambres froides – modèle Rungis (gros et demi-gros). Partant de là, la célébration mortuaire vivra sa vie, si l’on peut dire, au gré de l’« actu », selon qu’elle sera, ce jour-là, maigrichonne ou pléthorique ; ou selon le degré de pipolarité.

Ainsi un Michel Delpech a-t-il « bénéficié » de 20 minutes en ouverture du JT de 20 heures de France 2 ! Boulez un peu plus de cinq, et en fin de journal. Bley ? Même pas mort, selon la même chaîne. Galabru, ah le bon client que voilà ! Bien moins cependant que Bowie – record absolu, tous supports, sur plusieurs jours (prévoir des « résurrections » type Michael Jackson).

Tels sont aujourd’hui les rites modernes qui entourent la mort, cette donnée du vivant, sans laquelle la vie, en effet, serait bien fade et nos médias plus encore…

22-mort« Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ. / Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant, / Noir squelette laissant passer le crépuscule. / Dans l'ombre où l'on dirait que tout tremble et recule, / L'homme suivait des yeux les lueurs de la faux » – Victor Hugo, Les Contemplations

 Où l’on voit enfin que ladite célébrité recouvre la froide – c’est bien le mot – réalité de la mort : « La mortalité dans le monde correspond à 1,9 décès à chaque seconde sur Terre, soit 158 857 décès par jour, soit près de 59 millions de décès chaque année. » C'est beaucoup, mais inférieur au nombre de naissances. Ce qu’on peut regretter en termes strictement démographiques et en particulier sous l’angle malthusien… Comptabilité développée ici, c'est amusant…

« Tout ça » pour en venir à quoi ? À cette quête de l’immortalité qui semble avoir saisi l’animal humain depuis la nuit des temps. Cette nuit qui l’effraie tant ; pour (ou contre) laquelle l’homo erectus s’est redressé, jusqu’à tenter de devenir sapiens – du moins par moments, selon les lieux et les circonstances…

Pour ce faire, il aura érigé des totems, bramé des incantations, bricolé des rites, des mythes, des cultes et par dessus le marché des religions avec des dieux, des saints, des curés de tous ordres et obédiences se disputant leur Dieu pourtant devenu unique. Il aura brandi des textes « sacrés » aux fables infantilisantes et, aussi, nourri les arts les plus sublimes, en même temps que les bûchers et innombrables supplices ; puis lancé des hordes de guerriers, tous barbares réciproques et également fanatiques, semeurs de mort, assassins de vie. Dans cette profonde nuit auront surgi, sublimes éclairs isolés ou sporadiques, les torches vacillantes et fières des Lumières.

Nous en sommes là, si incertains. « Tout ça » au nom de l’Amour, sans doute et avec tant de doutes quant à l’avenir de cet homo habilis, si doué pour la souffrance et le massacre. Amen.

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

16 réflexions sur “De la mort, de la célébrité, <span class="pt_splitter pt_splitter-1">de l’actualité et des atrocités</span>

  • Bowie, David… Major Tom. Un de mes piliers.
    Une de mes racines qui disparait.
    …Encore.
    « Ovni » qui était, en 1974, bien loin d’être inté­res­sant, voir assez connu, pour les sar­cas­tiques bien-pen­sants du si laid XXIème s.
    Perso, mou­rir seul, c’est à dire non recon­nu du peuple, ter­rien, me ferait bien « suer ».
    Sinon, c’est un métier : chaque vrai jour­na­liste, sérieux, spé­cia­li­sé, expert, a d’a­vance dans sa besace, les nécros de ces poulains.
    Jazzophile compris.
    L’Amour de la Mort est Amer !

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    • Ornyx

      Je vois bien l’in­té­rêt pour la mort : elle est sans illu­sion, sans risques, radi­cale, défi­ni­tive, pure­ment nihi­liste, au sens de la pure­té qui puri­fie, enfin ! Sauf pour les croyants et leur cer­ti­tude de l’au-delà avec retour « sur inves­tis­se­ments » (vie de sacri­fice, etc.)

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  • Gian

    Oui, dans la lita­nie des orai­sons funèbres, le Bowie tenait le haut du pavé, il en était même chez les bien-pen­sants une sorte de paran­gon défi­ni­tif de l’Art Universel : même sur France-Cul, ils y sont allés à qui mieux-mieux de vibrants dithy­rambes en obits psal­mo­diés, en nous remet­tant à l’en­vi les scies de l’é­ma­cié déjà pré­ca­da­vé­rique. Un comble, pour ce sous-beatle chlo­ro­tique, à l’i­mage de l’ec­to­plasme A. Warhol (éga­le­ment mort-vivant) qu’il admi­rait tant, pour s’être ins­pi­ré de son « j’au­rais tant aimé être une machine ».
    Oui, je sais, ni Zemmour, ni Finkie, ni Onfray ne trou­ve­raient à redire…
    Quant aux Beatles faits lords par la reine, c’est dire tout le poten­tiel révo­lu­tion­naire de ces Tino Rossi d’outre-Manche, on devine que l’i­man de Brest ne me contre­di­rait pas.

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    • Geoffroy

      Les Beatles, ces « ces Tino Rossi d’outre-Manche » ! On ne sau­rait mieux dire de façon poi­lante ! Encore de la « légende », du « culte », tout ça pour de la zizique de centre commercial !

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  • Frantz Reine

    J’aime votre Blog,je le lis régu­liè­re­ment et il m’in­cite à la réflexion.Merci.

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  • faber

    à Gian, je m’es­cusse comme dirait l’autre, mais rec­tif”, seul le Paul Bealtle est médaillé. le John ayant même, lors d’un concert, encou­ra­gé le gra­tin à secouer les bre­loques dorées. Pas grave. J’attends sim­ple­ment le temps des monu­ments aux vivants pour rem­pla­cer les listes de pauvres diables tom­bés sous les balles pour pas grand chose. Qu’ils soient éma­ciés, ecto­plas­miques ou pas.

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    • Gian

      Merci de la rec­tif, je pré­sente mes escusses.
      Ce qui ne change rien au fond : Beatle, Bowie et consorts, tous amé­na­geurs de la socié­té du spec­tacle, en bons chantres de la sou­mis­sion libre­ment consen­tie, et tous businessmen.
      Et après la cri­tique, le mot d’ordre : tous artistes, tous joueurs, fin des rôles séparés !

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  • Je com­prends l’i­dée du cha­pô. Mais je pense que le « déve­lop­pe­ment »,(usi­té en Photographie argen­tique), est raté.
    Bonjour Gérard, content de vous lire de temps à autres,
    (ce qui me per­met de « réfléchir » 😉
    J’espère que ce genre de liste, pour une fois de l’in­for­ma­tion sobre et sans effet sty­lis­tique, sur les prin­ci­pales vic­times (incon­nus recon­nus) ne vous gêne pas ? :

    http://​www​.lemonde​.fr/​a​t​t​a​q​u​e​s​-​a​-​p​a​r​i​s​/​a​r​t​i​c​l​e​/​2015​/​11​/​15​/​g​u​i​l​l​a​u​m​e​-​q​u​e​n​t​i​n​-​m​a​r​i​e​-​l​e​s​-​v​i​c​t​i​m​e​s​-​d​e​s​-​a​t​t​e​n​t​a​t​s​-​d​u​-​13​-​n​o​v​e​m​b​r​e​_​4810428​_​4809495​.​h​tml

    http://​www​.libe​ra​tion​.fr/​f​r​a​n​c​e​/​2015​/​11​/​15​/​a​t​t​a​q​u​e​s​-​d​e​-​p​a​r​i​s​-​q​u​i​-​s​o​n​t​-​l​e​s​-​v​i​c​t​i​m​e​s​_​1413563

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  • Effectivement Gérard et vous aviez com­men­té :  » Penser, au delà du réflexe, c’est ten­ter de com­prendre la com­plexi­té. Si on sim­pli­fie par com­mo­di­té, ça coince.…/… »
    Je rajoute à votre nomen­cla­ture des VIP média­tiques, « morts célèbres actuels du spec­tacle » : « Dona Summer », si ça ne vous cha­grine pas trop.
    Je ne suis pas cer­tain qu’il faille se bra­quer sur un inté­rêt géné­ra­li­sé qua­si com­mun, envers une empa­thie nécro­phile publique et éphémère.

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    • Se bra­quer, non pas ! Ce que vous appe­lez, judi­cieu­se­ment, « empa­thie nécro­phile » pose la ques­tion du manque à vivre, par sur­dé­ter­mi­na­tion du mor­bide – quand l’empathie (mani­fes­tée lors d’un deuil, par exemple) se trans­fome en pathologie.

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    • Geoffroy

      La mort ins­pire autant le spec­tacle, en géné­ral, et les arts, que la reli­gion. Je me demande si tout ça n’est pas étroi­te­ment lié. Quoi de « mieux » alors, de semer la mort dans une salle de spec­tacle au nom de la religion ?

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  • Gaby

    Galabru… Galabru… Mais oui, bien sûr… C’était le frère du méde­cin (à Troyes, dans l’Aube, Faubourg Croncels) qui m’a gué­ri de ma seule et unique chaude-pisse en 71.… Comme le temps passe. Ça, ça n’apparaitra jamais dans une biographie.

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