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JOURNALISME. Et le malaise des lecteurs ?

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Malaise dans les rédactions, certes. Et le malaise des lecteurs ? C’est un blogueur de «c’est pour dire» qui lançait ici cette objection. Intéressante manière d’inverser le point de vue. Après tout, on demande bien au journaliste d’écrire pour son lecteur. Mais va-t-il bien au bout de l’exigence, jusqu’au «service après-vente» ?

Ainsi, dans Le Monde du 29/03/05, deux syndicalistes du SNJ-CGT s’interrogeant sur «l’information face à la communication». Michel Diard et Alain Goguey* ne manquent pas de pointer les réalités criantes des conditions actuelles d’exercice du métier d’informer. Lequel, en effet, se trouve plus que jamais confronté aux «forces de la communication».

« Nous devons nous soumettre, écrivent-ils, aux méthodes douces de la communication. Nous sommes invités en permanence à privilégier les “techniques de persuasion complexes et intimes” directement inspirée des techniques du marketing depuis que l’information est devenue un produit. […] Qui peut garantir aujourd’hui que la liberté d’expression du journaliste ne sera jamais utilisée pour mentir, tromper ou manœuvrer ? »

L’observation est juste, et tellement évidente dans ses effets au quotidien. Mais les causes ? Pourquoi la communication a-t-elle ainsi pénétré la sphère du journalisme ? Pourquoi ce « Nous devons nous soumettre » comme un aveu d’impuissance ? Là-dessus, les auteurs glissent, préférant peut-être ne pas risquer la question qui fâcherait, notamment les syndiqués: celle de la responsabilité des journalistes eux-mêmes. Celle aussi de l’entrée en résistance, après tout l’Histoire ne s’est pas arrêtée…

Un précepte dans ce domaine stipule que le sens d’une communication est donnée par la réponse obtenue. Ce qui implique l’accord du récepteur, en l’occurrence le journaliste. Qu’il est commode, confortable, pénard, etc. de pomper dans un dossier de presse – conçu précisément dans ce but de fournir de l’« info » clé en mains, prête à enfourner ! Et hop, au suivant ! Et les photos, et les CD pour les radios, les DVD pour les télés. Dans tous les genres : portrait, reportage, interviews – même pas besoin de demander, ça vous arrive tout cuit et encore chaud, apporté par les petites mains blanches des attachées de presse, en somme comme par des livreurs de pizzas. Le patron ne saurait s’en plaindre, depuis le temps qu’il rêve de journaux sans journalistes. Encore un effort pour scier la branche de l’information : interviews par téléphone ou, mieux encore, par courriels, “revus et amendés”; dossiers compilés sur internet; pas de frais de déplacements, pompé-collé, pas vu-pas pris. Pas lu non plus… Ah ?!

Après tout, quel lecteur fera la différence, puisque différence il n’y a peut-être plus – ou rarement. Puisque la mal-info s’est calquée sur sa sœur jumelle, la mal-bouffe : produits standards, ingrédients industriels, marketing de grande distribution. Et que je te concentre tout ça à grands coups d’économies d’échelle et autres synergies. Concentrez, concentrez ! comme dirait Patrick Eveno, ce prof de la Sorbonne et néanmoins produit de la marchandise généralisée.

Là dessus, donc, nos syndicalistes zappent, se refusant à secouer les cocotiers, sauf ceux des fautifs patrons: «Aujourd’hui, les nouveaux dirigeants des médias martèlent que le statut des journalistes, exorbitant du droit commun, est un handicap pour l’économie de l’information. En fait, l’information est surtout victime des erreurs de gestion, et c’est la volonté de l’encadrer qui amènent le lecteur, l’auditeur et le téléspectateur à douter de ce qu’il lit ou entend comme des journalistes. Elle est enfin malade des appétits démesurés en matière de profits immédiats. »

Oui, le statut. Oui, le tout profit. Mais quid des journalistes sans lesquels les médias ne sont RIEN ? Comme un orchestre sans musiciens. Et j’entends, c’est bien le mot : sans bons musiciens, excellents mêmes !

Au lieu de quoi est rabâchée une partition en mode corporatiste : « Le journaliste ne peut remplir sa mission sociale que dans la liberté garantie par un statut de haut niveau. Le Parlement a, dans la conjoncture d’aujourd’hui, le devoir et le pouvoir de lui assurer cette indispensable liberté en complétant le statut professionnel des journalistes et la responsabilité de garantir le pluralisme en légiférant, notamment, pour limiter les concentrations. »

On peut, on doit sans doute en appeler au législateur, dès lors que le péril est devenu manifeste. Mais la question demeure : mettre l’information en musique. Jouons de nos instruments, jouons en bien, sur tous les registres. Alors seulement, invitons le lecteur au concert. Tiens, comme à un banquet.

* Michel Diard est secrétaire général du Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT), Alain Goguey est membre du bureau national.
→ → Image : Karl pour les concentrations des moyens de production… Sigmund pour le reste. Passer du chevet du capitalisme au divan du journalisme, quel programme !

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