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mon JOURNAL 13/03/05. (1) Jean-Paul, Raymond, et surtout Charlie

Chacun ses fantômes. Vendredi, pour 0,8 euros de plus, Libé déversait 72 pages sur Sartre. Le Figaro littéraire de la veille, pressentant la surdose du centenaire, osait un «Sartre : la nausée ?».

Pas très fin, mais de bonne guerre, le quotidien des idées saines préférait garder ses billes pour Raymond Aron, condisciple de Jean-Paul à Normale Sup’, «centenaire» lui aussi et célébré par Raffarin soi-même comme «un penseur pour un XXIe siècle européen». Le Monde des livres là-dedans, se posait tout à sa place d’entre-deux – «Sartre-Aron, les frères ennemis» – avec un sobre huit-pages. Mais la mise – au fond et selon moi, hein…–, c’est FIP qui l’a raflée vendredi avec sa journée consacrée à Charlie Parker, mort il y a cinquante ans. Parlons de tous, cependant.

Le Bird, ou Yardbird, comme on l’appelait est mort à New York le 12 mars 1955. A trente quatre ans. Né pauvre et mort ruiné par le mal de vivre : dope et dépression, mondialement célèbre et marginal absolu. Mais aussi un surdoué dirait-on aujourd’hui dans Ça se discute en se «penchant sur le cas Parker». En fait, non, pas vraiment génial de naissance, mais devenu tel à 95% de transpiration et 5% d’inspiration, pour reprendre le mot d’Edison.

Un travail, certes, et aussi une fulgurance accomplie en une courte dizaine d’années, le temps de devenir le grand improvisateur de l’histoire du jazz. J’hésite à l’affubler du «plus» grand altiste, plus ceci-cela, qui donne dans le palmarès, là où c’est l’histoire de la musique, l’histoire du jazz, et l’Histoire tout court qui viennent converger dans un bec de saxophone. Il faudrait tout spécialement évoquer l’histoire du peuple afro-américain et sa remontée du Mississipi vers l’Amérique composite et si raciste, une histoire à coups de matraques, de celles qui font «be-bop» sur le crâne des Noirs et ainsi transforment un jazz primal jusqu’alors plutôt bon enfant en une révolte musicale et sociale, et plus généralement artistique.

ParkergillespieLe be-bop sera la première révolution du jazz et Charlie Parker son activiste au tempo époustouflant – du 360 à la noire, diront les mesureurs –, alors que le «moineau» s’illustre tout autant dans les ballades. Dans tous les cas, sonorité et puissance servent une capacité d’invention hallucinante. Bird semblait lire une partition intérieure qu’il écrivait dans la seconde d’avant. A moins que, comme dans L’Homme à l’affût, Julio Cortázar ne fasse dire à Parker : «Ça, je l’ai déjà joué demain»…

J’aime tant cette photo avec Dizzy Gillespie, deux fameux larrons en jazz qui expriment ici l’image de la Joie de vivre ou bien seulement de la Gaieté majeure, ce qui suffit bien. Il y a peut-être aussi une photo quelque part du Bird avec Sartre quand Boris Vian les fit se rencontrer dans les années cinquante au Club Saint-Germain. Le premier aurait dit à l’autre : «Et toi, tu joues de quel instrument ?» – mais ce sont plutôt des propos de légende, non attestés.

Sartre, de son côté, a raconté que Parker lui avait parlé de son intention d’étudier la musique classique au conservatoire. En tout cas, quand Sartre écrit : «L’homme est pro-jet, n’existe qu’en se projetant en avant de soi, vers ce qu’il a à être, sans jamais l’être», c’est une phrase qui s’applique pleinement à l’homme de jazz, à l’image de la note, aussi tenue, ténue, longue et éphémère. A peine accomplie et déjà morte.

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Une réflexion sur “mon JOURNAL 13/03/05. (1) Jean-Paul, Raymond, et surtout Charlie

  • Jacques

    Un autre pour qui la phrase de Sartre pourrait s’appliquer, c’est quelqu’un qui l’a tellement vécu qu’il en est mort. Je veux parler d’un entre autres jazzmann, Nino Ferrer, disparu le 13 août 1998.
    Voir l’émission de France 2, ce soir à 23 heures 55 (autant dire demain avec les décalages publicitaires !) et l’article d’Isabelle Nataf dans Le Figaro http://www.lefigaro.fr/television/20050422.FIG0083.html
    Mais par pitié, arrêtez la pub et n’achetez pas le CD sorti en soit-disant hommage, avec reprises par la “fine fleur” de la jeune chanson française (dont certains anciens jeunes). Cela n’apporte rien, replongez-vous plutôt dans l’original. Comme souvent, méfiez-vous des contrefaçons. Paix à Nino !

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