ActualitéC de coeur, C de gueule

Dans le comment de Sarkozy, le bruit de ses mots, le vacarme de son corps même

Ce n’est plus une question de programme politique. À ce stade-là, il s’agit bien davantage de question de fond, celle posée par la personne même, ce candidat là tout entier tendu – le mot est faible – vers le pouvoir. Ou plutôt le Pouvoir comme forme achevée de l’accomplissement, la pointe extrême de la pyramide, le dernier appui de l’ici-bas avant le nirvana. Je n’entends plus ses mots par leur sens, mais seulement par le crissement des cordes frottées entre elles, bruissant dans le raffut intérieur de cette musculature toute entière bandée vers cette conquête. Tout son être semble arqué dans cette unique direction. En faut-il, certes, de l’énergie dépensée, catalysée, compressée et défoulée pour ainsi produire tant de virulence ! A ce stade-là, ce n’est plus tant de l’ardeur que du priapisme politicien, élection et érection confondues.


1monde0001.1176312524.jpgCe qu’il dit et dédit, quelle importance par rapport au comment. Et dans le comment – le style de l’homme, l’homme lui-même – il y a non seulement le bruit des mots, ce vacarme parfois, mais aussi tout ce langage du corps : tics et gestes, postures et trucs de bonimenteurs – et surtout ces éclairs terribles du regard, captés par les instantanés des photographes – voyez, celle-là de photo, publiée dans Le Monde du 7 avril [Philippe Wojazer, Reuters]. Terrible attitude du prédateur : la main flatteuse dans le dos de Mme Chirac, le jabot enflé, le rictus carnassier, la jouissance du regard triomphateur. « Veni, vidi, vici » Ave César ! Car le corps, les gestes, tirés par les ficelles de l’inconscient, travaillent en arrière plan, agitent la marionnette – qu’est-ce qu’elle a donc à si souvent se tripoter le nœud (de cravate), à se renvoyer l’épaule en arrière (la toge atavique du sénateur romain ?), à jeter des regards torves de sentinelle en embuscade (« Père, garde-toi à gauche, père garde-toi à droite ! ») ? Et ces « mots » du non-verbal, justement, mentent moins que les laïus concoctés par les plumes nègres naviguant au gré des courants sondagiers. Même habillés en « programme », les baratins restent ce qu’ils sont, n’engageant comme toujours que ceux qui y croient.

Et puis il y a tout de même les mots. Et quels mots ! Passons sur les historiques kärcher et racaille, attiseurs de haine, armes de conflit. Mais il y a, au travers de multiples témoignages, ces formes du langage qui sont les plus parlantes quant à leur auteur et à son rapport à l’autre. Qu’il s’agisse de journalistes ou d’un de ses ministres. Rappelons l’esclandre du 18 mars à France 3 («Toute cette direction, il faut la virer. Je ne peux pas le faire maintenant. Mais ils ne perdent rien pour attendre. Ça ne va pas tarder.») Citons aussi, cette conversation téléphonique avec Azouz Begag telle que rapportée par celui-ci dans son bouquin de rupture (Un Mouton dans la baignoire) : « “Tu es un connard ! Un déloyal, un salaud ! Je vais te casser la gueule ! Tu te fous de mon nom… Tu te fous de mon physique aussi, je vais te casser ta gueule, salaud ! Connard !” Je suis cloué à mon téléphone (…) Le ministre de l’intérieur m’a conseillé dans une ultime menace de ne jamais plus lui serrer la main, sinon il allait m’en cuire, “sale connard” que je suis. Je ne sais combien de fois il a projeté ces mots contre mes tympans. Je ne pardonnerai pas. »

N’oublions pas que c’est le ministre de l’intérieur qui est censé parler à un de ses collègues du gouvernement de la République française, ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. N’oublions pas – enfin, le rappel est à destination des indécis, s’ils avaient encore, en traînant sur ce blog, quelque hésitation d’électeur… –, qu’un type pareil, maîtrisant bien moins son langage qu’un charretier, serait président de notre République ; qu’il parlerait donc en notre nom, partout dans le monde ; qu’il connaîtrait le code du feu nucléaire, lui cet excité, qu’on aurait vu le premier aux côtés de Bush et de Blair aller faire des moulinets militaires sous le nez de Saddam Hussein !

Il y a donc ces mots de blessure, de violence, de haine – autant parler du langage de la petitesse – l’homme est petit, qu’importe, il pourrait être grand et vouloir se hisser à plein dans ce qu’un Montaigne appelait « toute l’humaine condition ». Mais il y a, plus grave encore, les mots de la tête – opposés à ceux d’un corps finalement souffrant (je fais mon psy) –, ceux qui, en principe, émanent de la raison raisonnante. Pour dire qu’on doit s’y reprendre à deux fois, quand on se veut Président, avant de se risquer sur le terrain de l’inné et de l’acquis.

Au moins pourra-t-on lui reconnaître en l’occurrence la franchise de la brutalité, du non calcul, de la cohérence. Il tente aujourd’hui d’atténuer son propos, mais n’a-t-il jamais dévié sur ce point de la criminalité « génétique » ? C’est même LE point de rupture du candidat de la rupture ; celui qui d’ailleurs démarque de tout temps les valeurs de gauche de celles de droite. Du moins au stade philosophico-politique. Pour le reste, entre économie et social, bah, ce sera selon les alternances partisanes… Mais tout cela ne prend sens, vraiment, qu’autour de la question de la transmission ; selon que l’on croit ou non aux valeurs humanistes par lesquelles une société s’élève. Transmission par l’héritage génétique – ou le patrimoine héréditaire, y compris au sens aristocratique – ; ou transmission historique des valeurs de culture et de connaissance, qui ne peuvent transiter que par les passages de l’école et des apprentissages. D’un côté le Destin, les lignées, de l’autre l’action politique et sociale, les engagements. Bien sûr, l’Histoire a brassé ces antagonismes, précisément à partir de la Révolution française qui date cet affrontement et marque la naissance publique de l’esprit critique. D’où la portée symbolique de la décapitation du roi comme fin du règne absolu de l’esprit divin ici-bas, la Terre redevenant le royaume (républicain) des hommes (égaux… et critiquables !).

Qu’il vienne de Hongrie ou de Zanzibar m’importe peu. Moins que l’histoire d’une lignée, celle des Sarközy de Nagy-Bocsa, propriétaires terriens de la petite noblesse hongroise, chassés par l’Armée rouge en 1944 – ce qui parle autrement ; ce qui peut laisser à l’enfant Nicolas, Paul, Stéphane à la fois dans la bouche le goût de la cuiller d’argent du pouvoir, et à l’occasion, comme aujourd’hui, un certificat d’immigré pour se démarquer d’un Le Pen tout en chassant plein pot sur ses terres fangeuses.

Vulgaire, certes, et aristocratique. Rien d’incompatible à cela, toute lignée peut dégénérer. Un de ceux qui ont pu le constater c’est Michel Onfray. Il raconte sur son blog [je vous conseille le détour] comment il s’est retrouvé face au ministre-candidat lors d’un entretien le 20 février place Beauvau, arrangé par la revuePhilosophie magazine. C’est un récit assez hallucinant d’une rencontre en deux temps – sauvée de la… rupture par un coup de téléphone – qui décrit une charge démente que Onfray présente du point de vue du manant (comme dirait Le Pen) écrabouillé au marteau-pilon par un seigneur féodal bardé de skuds, ou même plutôt par un « chef de horde ». Extrait :

« … l’ensemble de cette première demi-heure se réduisait à la théâtralisation hystérique d’un être perdu corps et âme dans une danse de mort autour d’une victime émissaire qui assiste à la scène pendant que, de part et d’autre des deux camps, deux fois deux hommes assistent, impuissants, à cette scène primitive du chef de horde possédé par les esprits de la guerre. Grand moment de transe chamanique dans le bureau d’un Ministre de l’intérieur aspirant aux fonctions suprêmes de la République ! Odeurs de sang et de remugles primitifs, traces de bile et de fiel, le sol ressemble à la terre battue jonchées d’immondices après une cérémonie vaudoue… »

C’est à ce moment-là que Sarkozy aborde la question de l’inné, qui refait surface aujourd’hui. Onfray poursuit son récit :

« Tout bascule quand nous entamons une discussion sur la responsabilité, donc la liberté, donc la culpabilité, donc les fondements de la logique disciplinaire : la sienne. Nicolas Sarkozy parle d’une visite faite à la prison des femmes de Rennes. Nous avons laissé la politique derrière nous. Dès lors, il ne sera plus le même homme. Devenant homme, justement, autrement dit débarrassé des oripeaux de son métier, il fait le geste d’un poing serré porté à son côté droit du ventre et parle du mal comme d’une chose visible, dans le corps, dans la chair, dans les viscères de l’être.

« Je crois comprendre qu’il pense que le mal existe comme une entité séparée, claire, métaphysique, objectivable, à la manière d’une tumeur, sans aucune relation avec le social, la société, la politique, les conditions historiques. Je le questionne pour vérifier mon intuition : de fait, il pense que nous naissons bons ou mauvais et que, quoi qu’il arrive, quoi qu’on fasse, tout est déjà réglé par la nature.

« A ce moment, je perçois là la métaphysique de droite, la pensée de droite, l’ontologie de droite : l’existence d’idées pures sans relations avec le monde. Le Mal, le Bien, les Bons, les Méchants, et l’on peut ainsi continuer : les Courageux, les Fainéants, les Travailleurs, les Assistés, un genre de théâtre sur lequel chacun joue son rôle, écrit bien en amont par un Destin qui organise tout. Un Destin ou Dieu si l’on veut. Ainsi le Gendarme, le Policier, le Juge, le Soldat, le Militaire et, en face, le Criminel, le Délinquant, le Contrevenant, l’Ennemi. Logique de guerre qui interdit toute paix possible un jour.

« Dès lors, ne cherchons pas plus loin, chacun doit faire ce pour quoi il a été destiné : le Ministre de l’Intérieur effectue son travail, le Violeur le sien, et il en va d’une répartition providentielle (au sens théologique du terme) de ces rôles. Où l’on voit comment la pensée de droite s’articule à merveille avec l’outillage métaphysique chrétien : la faute, la pureté, le péché, la grâce, la culpabilité, la moralité, les bons, les méchants, le bien, le mal, la punition, la réparation, la damnation, la rédemption, l’enfer, le paradis, la prison, la légion d’honneur, etc.

« J’avance l’idée inverse : on ne choisit pas, d’ailleurs on a peu le choix, car les déterminismes sont puissants, divers, multiples. On ne naît pas ce que l’on est, on le devient. Il rechigne et refuse. Et les déterminismes biologiques, psychiques, politiques, économiques, historiques, géographiques ? Rien n’y fait. Il affirme : «  J’inclinerais pour ma part à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie-là. Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que génétiquement ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense ». « Génétiquement » :  une position intellectuelle tellement répandue outre-Atlantique  ! »

En faisant ici le lien avec les courants néo-conservateurs étatsuniens dont un Bush est tellement imprégné, Onfray pointe aussi du doigt la filiation intellectuelle sarkozienne à laquelle se trouvent aussi reliés le créationnisme – si tout est dans le programme, il n’y a pas d’évolution et il faut brûler Darwin – et aussi la Scientologie. A propos de cette secte, rappelons la rencontre en août 2004 entre son plus fameux adepte et VRP, l’acteur Tom Cruise, et le ministre des finances d’alors. Les associations anti-sectes avaient protesté contre cette reconnaissance symbolique qui ne disait pas son nom. Dans son livre « La République, les religions, l’espérance » (Éditions du Cerf, 2004), Sarkozy considère qu’il faut refuser les « amalgames » entre les sectes et les « nouveaux mouvements spirituels ». Ça ne peut mieux aller dans le sens de la Scientologie qui use de tout son pouvoir de lobbying pour, justement, être reconnue comme un « nouveau mouvement spirituel ».

Rappel : ce n’est pas une opérette qui va se jouer le 22 avril. Le risque est autrement plus fort qu’un certain 21 avril. Même si un Le Pen reste embusqué, on a appris à « gérer » ses gros brodequins, à y enfouir la part ignoble de notre doulce patrie. Mais cet autre a surgi de derrière les fourrés, autrement muflé le bougre, fils adultérin de la Thatcher et de Berlusconi – à moins qu’il ne s’agisse de Reagan ou de Pinochet. Il y a toujours eu tant de prétendants au Grand bal du libéralisme ultra, là où sur le libre marché des gènes se perpétuent les grandes lignées des pouvoirs de l’argent.

Que seront nos fêtes prochaines sur les places de la République de France ?

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