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Le martyre du Yémen, dans l’indifférence absolue

[dropcap]J’ai[/dropcap] été saisi d’une terrible tristesse, hier soir, à la lecture de l’édito du Monde, qui commence ainsi à la une, avec ce titre que je fais mien :

Le martyre du Yémen, dans l’indifférence absolue

Il devait y avoir une trêve humanitaire le 17  juillet. Elle n’a pas eu lieu, en dépit des appels, de plus en plus pressants, de l’ONU et de la Croix-Rouge internationale. Voilà quatre mois déjà que le Yémen, pourtant habitué à la guerre, vit à l’heure des bombardements urbains et d’une crise humanitaire chaque jour plus dramatique. Encore quelques mois de combats, et le pays ressemblera à la Syrie, une mosaïque de chefs de guerre locaux, s’affrontant à l’arme lourde au beau milieu d’une population traumatisée.

Le Yémen, l’Arabie heureuse de l’Antiquité, est, une fois de plus, en voie de dislocation – reflet et théâtre, parmi d’autres, des conflits qui divisent le Moyen-Orient d’aujourd’hui.

Que sera devenue cette fillette "à la pomme", en Eve innocente souriant à l'étranger ?
Que sera devenue cette fillette “à la pomme”, en Eve innocente souriant à l’étranger ? © gp

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Tristesse mêlée d’autant de nostalgie remontant à un reportage qui m’avait amené dans cet étrange et fascinant pays, il y a exactement dix ans. J’ai alors fouillé dans mes archives, hier, pour retrouver de mes visions d’alors, pour croiser à nouveau ces regards – ici des femmes sous la burqa, là des enfants troublants d’innocence, ici encore des hommes empreints de cette virilité ancestrale, peut-être en partie cause du désastre actuel. Et, revoyant ces photos, imaginant les drames et les violences subis, j’éprouvais une grande compassion à l’égard de ce peuple, lui aussi martyrisé – c’est bien le mot.

L’article du Monde poursuivait :

Est-ce la complexité des lignes de fracture de ce pays – régionales, religieuses, politiques –, l’éloignement ou un sentiment de désespoir, l’épuisement de nos capacités d’indignation  ? Toujours est-il que le calvaire vécu par le Yémen ne fait ni la ”  une  ” des journaux ni ne mobilise qui que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis. Pourtant, en quatre mois, la guerre y a fait près de 3  000  morts et 10  000 blessés, selon les ONG humanitaires. Elle a mis 1  million de réfugiés intérieurs sur les routes. Elle prive 80  % de la population – 25  millions d’habitants, parmi les plus pauvres du monde – d’un nombre croissant de produits de première nécessité  : eau potable et médicaments, notamment.

Que faire, dès lors ? En parler, relayer cette injuste « loi » des médias, reflet et cause de l’indifférence à l’Autre, surtout lointain – et le lointain est parfois bien proche. Et qu’y pouvons nous, d’ailleurs ? Quelle action possible face aux soubresauts de ce monde en désarroi indicible ?

Le Monde encore :

Enfin, à Sanaa, la capitale, et ailleurs, les bombardements, particulièrement ceux de l’aviation saoudienne, ont détruit une partie d’un héritage architectural classé au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Là encore sans choquer outre mesure la ” communauté internationale “.

L'œuvre des bombes, juin 2015 [dr]
L’œuvre des bombes, juin 2015 [dr]
C’était mon deuxième voyage au Yémen. Lors du premier, en 1973, je m’étais arrêté à Aden, qui était alors la capitale. Capitale bien fictive, à la légitimité de tout temps contestée par les tribus du Nord du pays. Aden, ville coloniale sous protectorat britannique jusqu’en 1967.

Ça remontrait trop loin dans l’Histoire et son extrême complexité, nouée ici précisément, dans ce détroit de Bab-el-Mandeb infesté de pirates – encore de nos jours d’ailleurs – commandant la route du pétrole moyen-oriental et la route des Indes, vers Zanzibar et Bombay, si précieuse à l’empire britannique. Il y a tant à dire sur ce port installé au fond d’un cratère de volcan (éteint !), où a séjourné Rimbaud, et aussi Paul Nizan (Aden Arabie) et Pierre Benoit. D’Aden, cependant, je n’ai pas retrouvé mes photos ; ni même mes notes et articles. Je garde des impressions très fortes d’une ville soudainement abandonnée par ses colonisateurs ; d’un pouvoir, vaguement communiste et pas drôle du tout ; d’un séjour forcé au Crescent, palace décrépi où une suite délirante m’avait été allouée d’office – et facturée !

Mais Sanaa, quelle merveille ! J’y éprouvais un choc émotionnel et esthétique comparable à ma première vision de Venise. Sanaa, Venise des sables, dirais-je…Et voilà que cette perle de l’Arabie heureuse, comme dit le Monde, est aujourd’hui bombardée, voilà qu’on y massacre des vies humaines et avec elles, la Beauté – cette Beauté qui, pourtant, atteste de l’Humanité.

D’où mes photos en abondance, comme (vaine) invocation, imploration : que la démence mortifère épargne ces regards et ces habitats sublimes. [Cliquer sur une image, puis faire défiler les photos].

 

Cet article relève d’abord de l’affectif, lié aux souvenirs directs, à la rencontre. Les touristes aussi connaissent cet attachement lié au voyage et au changement de vision sur le monde. Tout le contraire de l’enfermement dans l’obscurantisme le plus noir et le plus mortifère. Les nazis n’ont pas été surpassés dans leur délire exterminateur du genre humain ; tandis qu’ils collectionnaient les chefs d’œuvre de l’Art (non “dégénéré” toutefois) et que leurs “dignitaires” se délectaient de Beethoven et plus encore de Wagner. Mais les talibans afghans détruisant – aussi, en plus des vies humaines – les Bouddhas de Bâmiyân ; les fanatiques de Daech attaquant à la masse les sculptures des musées de Mossoul ; leurs homologues en sauvagerie agissant de même au Mali, en Libye, en Tunisie et en Syrie… Et désormais au Yémen, sans qu’on écarte, hélas, les exportations dans les pays du Diable occidental, cible ouverte aux terrorisme le plus aveugle.

Pour tenter de comprendre l’incompréhensible – en tout cas l’injustifiable au regard de l’humaine raison raisonnante –, voyons la fin de cet article du Monde, on ne peut plus clairement alarmant :

Qui se bat contre qui  ? A très gros traits, il y a, d’un côté, l’ancien président Ali Abdallah Saleh, appuyé par une partie de l’armée et par les milices houthistes, qui, parties du nord du Yémen, ont déferlé sur le Sud et sa capitale régionale, le port d’Aden. Ils sont aujourd’hui sur la défensive. Car, de l’autre côté, l’Arabie saoudite et neuf autres pays arabes sont à l’offensive pour restaurer Abd Rabbo Mansour Hadi, le dernier des présidents en place, et les forces qui lui sont restées loyales.

Les houthistes sont présentés comme l’instrument de l’Iran au Yémen. La République islamique est soupçonnée de vouloir un point d’appui dans le golfe d’Aden, qui contrôle l’accès, en mer Rouge, du détroit de Bab-el-Mandeb, point de passage-clé pour le pétrole de la région. Au nom de la lutte contre les velléités de domination régionale de l’Iran, l’Arabie saoudite est entrée en guerre au Yémen en mars  2015, entraînant d’autres pays arabes dans l’aventure.

Les houthistes sont accusés de massacres divers, bombardant à l’aveugle, notamment les alentours d’Aden. L’aviation saoudienne bombarde, elle, de manière tout aussi indiscriminée : hôpitaux, centrales électriques, réservoirs d’eau – plus de la moitié des victimes sont des civils. A quoi il faut ajouter des attaques dues à l’Al-Qaida locale et des attentats imputés à une branche yéménite de l’Etat islamique, sans trop savoir qui est derrière l’une et l’autre de ces filiales djihadistes. De peur de mécontenter un peu plus Riyad, déstabilisé par l’accord sur le nucléaire iranien, les Etats-Unis ont pris le parti de la coalition arabe.

Au milieu, les Yéménites meurent, dans une assourdissante indifférence.

© Le Monde © Photos Gérard Ponthieu 

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

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