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Trump. « Impensable », puisqu’impensé

Comment ne pas en rajouter, inutilement, à ce flot médiatique mondial déversé à propos de Trump et de son élection ? Car le nombril du monde, on le sait bien, se situe aux États-Unis, capitale du Capital[ref]Les bourses du monde se sont "ressaisies" en quelques heures…[/ref]. Qu’un histrion milliardaire en prenne les gouvernes, c’est dans « l’ordre des choses ». Dans un certain ordre de certaines choses : celles de l’argent-roi en particulier, de la croissance à tout-va, de l’exploitation sans bornes des ressources naturelles et des humains entre eux. Le climat planétaire n'est vraiment pas bon.

La nouveauté, cette fois, c’est que les Cassandre de tous poils en sont restés sur le cul. Tous médias confondus, analystes, prévisionnistes, sondeurs n’avaient envisagé « le pire » que sous l’angle quasi anecdotique, une vision cauchemardesque aussitôt refoulée, comme pour mieux en conjurer l’éventualité. C’était impensable.

Tellement impensable que cet « ordre des choses » commandait de ne pas y penser. L’impensable résultait en effet de l’impensé. Ce fut le pari gagnant de Trump, celui de parier sur le rejet organique du « clan Clinton », rejet tripal – car vécu au plus profond d’êtres frustrés économiquement, socialement, culturellement. Trump va sans doute les « trumper », puisque c’est un bandit politique qui a su les séduire (au sens premier : Détourner du vrai, faire tomber dans l'erreur) en sachant leur parler, avec le langage de la vulgarité dans lequel ledit peuple a la faiblesse de se complaire et de se reconnaître.

Et cela, à l’opposé des « élites », les soi-disant sachants, les « qui ne savent rien du tout » de la réalité vécue en dehors des sphères de l’entre-soi. On peut mettre dans ce panier des « instruits cons ».[ref]C’était l’expression de mon père pour désigner les politiciens et les technocrates ; je la trouve juste, et je suis fier de citer ma source…[/ref] Dans cette catégorie, on mettra notamment la « classe » des journalistes et assimilés. Je mets le mot entre guillemets car il n’est pas exact, pas juste, en ce sens qu’il désignerait un ensemble homogène ; ce n’est pas le cas, car il faut considérer les exceptions, même si elles sont plutôt rares, surtout aux Etats-Unis. Parmi elles, Michael Moore. Il a été l’un des rares à pressentir la victoire de Trump, dès le mois de juillet dans un article sur son site intitulé « Cinq raisons pour lesquelles Trump va gagner »[ref] http://michaelmoore.com/trumpwillwin/[/ref].

moore-trump

Le réalisateur[ref]On lui doit notamment Roger et moi (sur la crise dans l'automobile) ou encore Bowling for Columbine (le culte des armes à feu)[/ref] prévoyait notamment une sorte de « Brexit de la Ceinture de rouille », en référence aux États de la région à l'industrie sinistrée des Grands Lacs traditionnellement démocrates et qui pourtant ont élu des gouverneurs républicains depuis 2010. Selon Moore, cet arc est « l'équivalent du centre de l'Angleterre. Ce paysage déprimant d'usines en décrépitude et de villes en sursis est peuplé de travailleurs et de chômeurs qui faisaient autrefois partie de la classe moyenne. Aigris et en colère, ces gens se sont fait duper par la théorie des effets de retombées de l'ère Reagan. Ils ont ensuite été abandonnés par les politiciens démocrates qui, malgré leurs beaux discours, fricotent avec des lobbyistes de Goldman Sachs prêts à leur signer un beau gros chèque ».

Cette « prophétie » s’est réalisée mardi… D’ailleurs ce n’est pas une prophétie mais la déduction d’une analyse de terrain propre à la démarche de Moore.[ref]Les médias de masse états-uniens, comme les autres ailleurs, reflètent cette séparation élite/peuple ; autrement dit entre ceux qui parlent « du peuple » (les analystes distingués se plaçant en position haute…), et ceux qui parlent « au peuple » (le plus souvent, hélas, les chaînes « populaires » – celles des télés-réalité chères à Trump – et les « tabloïds », chantres du divertissement vulgaire). On retrouve là aussi le clivage entre journalisme de terrain et journalisme assis. Ce qui me rappelle une sentence émise par un confrère africain : « Il vaut mieux avoir de la poussière sous les semelles que sous les fesses » ! À ce propos, on aura noté que nos médias hexagonaux ont déplacé des cohortes de journalistes-prophètes pour « couvrir » l’élection états-unienne. Et, où se sont-ils amassés, ces chers journalistes : dans le nombril du nombril du monde, à Manhattan, pardi ! En avez-vous lu, vu et entendu depuis le Bronx, ou bien à Detroit (Michigan), à Baton Rouge (Louisiane), à Amarillo (Texas) ?… par exemple.[/ref]

Reconnaissons aussi à un journaliste français, Igniacio Ramonet (ex-directeur du Monde diplomatique), d’avoir lui aussi pensé l’« impensable ». Le 21 septembre, il publiait sur le site Mémoire des luttes, un article sous le titre « Les 7 propositions de Donald Trump que les grands médias nous cachent »[ref] http://www.medelu.org/Les-7-propositions-de-Donald-Trump[/ref]. Extraits :

« Depuis la crise dévastatrice de 2008 (dont nous ne sommes pas encore sortis), plus rien n’est comme avant nulle part. Les citoyens sont profondément déçus, désenchantés et désorientés. La démocratie elle-même, comme modèle, a perdu une grande part de son attrait et de sa crédibilité.

[…]

« Cette métamorphose atteint aujourd’hui les Etats-Unis, un pays qui a déjà connu, en 2010, une vague populiste ravageuse, incarnée à l’époque par le Tea Party. L’irruption du milliardaire Donald Trump dans la course à la Maison Blanche prolonge cette vague et constitue une révolution électorale que nul n’avait su prévoir. Même si, apparemment, la vieille bicéphalie entre démocrates et républicains demeure, en réalité la montée d’un candidat aussi atypique que Trump constitue un véritable tremblement de terre. Son style direct, populacier, et son message manichéen et réductionniste, qui sollicite les plus bas instincts de certaines catégories sociales, est fort éloigné du ton habituel des politiciens américains. Aux yeux des couches les plus déçues de la société, son discours autoritaro-identitaire possède un caractère d’authenticité quasi inaugural. Nombre d’électeurs sont, en effet, fort irrités par le « politiquement correct » ; ils estiment qu’on ne peut plus dire ce qu’on pense sous peine d’être accusé de « raciste ». Ils trouvent que Trump dit tout haut ce qu’ils pensent tout bas. Et perçoivent que la « parole libérée » de Trump sur les Hispaniques, les Afro-Américains, les immigrés et les musulmans comme un véritable soulagement.

[…]

« A cet égard, le candidat républicain a su interpréter, mieux que quiconque, ce qu’on pourrait appeler la « rébellion de la base ». Avant tout le monde, il a perçu la puissante fracture qui sépare désormais, d’un côté les élites politiques, économiques, intellectuelles et médiatiques ; et de l’autre côté, la base populaire de l’électorat conservateur américain. Son discours anti-Washington, anti-Wall Street, anti-immigrés et anti-médias séduit notamment les électeurs blancs peu éduqués mais aussi – et c’est très important –, tous les laissés-pour-compte de la globalisation économique. »

Ramonet détaille ensuite les « sept mesures » en question, que je vous invite à connaître pour mieux comprendre en quoi les outrances de Trump – mise en avant, en effet, par le médiatisme moutonnier et spectaculaire – n’ont pu gommer le réalisme de ses propositions auprès des plus concernés, les laissés pour compte du libéralisme sauvage et ravageur.

Mercredi soir au JT de 20 heures sur France 2, Marine Le Pen n’a pas manqué de tirer son épingle de ce jeu brouillé, devant un journaliste en effet bien formaté selon la pensée dominante, à l’image du « tout Clinton » portée par la fanfare médiatique.

Pour la présidente du Front national, "la démocratie, c'est précisément de respecter la volonté du peuple. Et si les peuples réservent autant de surprises, dernièrement, aux élites, c'est parce que les élites sont complètement déconnectées. C'est parce qu'elles refusent de voir et d'entendre ce que les peuples expriment. [… ces peuples] « on les nie, on les méprise, on les moque bien souvent. Et ils ne veulent pas qu’une petite minorité puisse décider pour eux ». Tout cela envoyé en toute sérénité, sur la petite musique des « élites et du peuple » façon FN, une musiquette qui en dit beaucoup sur les enjeux de l’élection de l’an prochain.

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

14 réflexions sur “Trump. « Impensable », puisqu’impensé

  • Je me disais… Tiens, il n’a encore rien écrit.
    Si fait!!!
    Trump, c’est fait…
    A ce pro­pos, avec le risque d’une redon­dance, j’ai­me­rais bien par­ler de la Boétie et la servitude…
    Bof ! Ce serait cer­tai­ne­ment lu, appris mais com­pris, j’ai un doute.

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  • Que dire ? Que dire ? Dès ce matin, j’ai eu droit à la peau de banane, popu­liste (encore):  » John Swinton, …jour­na­listes, …, intel­lec­tuels pros­ti­tués… » et ici, ça continue.
    Bref,  » la démocratie,(C’est quoi en fait ?)…/…ne veulent pas qu’une petite mino­ri­té puisse déci­der pour eux ». Ah bon ? Et que 27 % des ins­crits élisent 1 per­sonne, (Qui vote pour un pro­gramme de pro­messes inte­nables ?), ça ne les dérangent pas ?
    (source :…49 % des voix, mais seuls 54 % des Américains en âge de voter se sont déplacés…)
    Et en France (à Venelles) même topo.

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  • Gérard Bérilley

    Vraiment très très bon article ! Encore une fois bra­vo Gérard.

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    • Merci Muriel. Oui bien sûr, Susan Georges, pilier d’Attac. Étonnant à ce pro­pos qu’on n’en­tende plus le dis­cours alter­mon­dia­liste : le tort d’a­voir eu rai­son trop tôt ? Ou la récu­pé­ra­tion d’une thé­ma­tique tom­bée dans le domaine public, ce qui serait déjà le signe d’un com­bat gagné… Peut-être leur est-il arri­vé ce qui est arri­vé aux éco­lo­gistes avec la récu­pé­ra­tion de leurs pro­po­si­tions (aus­si pour les édul­co­rer ou même les neu­tra­li­ser) par la plu­part des par­tis poli­ti­ciens, de droite et de gauche… En quoi, il faut veiller à avoir des réserves d’i­dées, ou du moins des capa­ci­tés à renou­ve­ler sa pensée.

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  • Patrick Piro

    salut Gérard, j’en­ten­dais à la radio la cas­cade de mea culpa des médias éta­su­niens piteux devant leur déni (« on n’a pas vu parce qu’on n’y croyais pas ») et c’est peut-être ce qui m’a le plus per­cu­té : on n’est abso­lu­ment pas à l’a­bri des « mêmes causes – mêmes effets » en France. Rappelons-nous une cari­ca­ture iden­tique lors du TCE en mai 2005. S’il fal­lait ne se concen­trer ici que sur une seule des consé­quences poten­tielles de l’im­pen­sable élec­tion de Trump, je choi­si­rais celle-ci. Amitiés,

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  • graille bernadette

    Et ben voilà !!!
    C’est fait et nous n’o­sons le croire !
    Devons nous bais­ser les bras et pleu­rer devant « l ! immonde « ?
    Ce gros bal­lon de bau­druche fait de « vani­té » est en train de gon­fler et gon­fler « comme une cer­taine grenouille »
    Quand va-t-il éclater ?
    Car il va écla­ter comme toute cette mon­tée de pen­sées de haine, de peur et de repli qui menace ce monde…Oui cela écla­te­ra et fera des dégâts.. Cela risque d’être long hélas.
    Nous devrons peut – être en pas­ser par là…
    Un monde nou­veau se recons­trui­ra et nos enfants pui­se­ront dans le ter­reau que nous leur préparons,car des idées nou­velles voient le jour partout.
    pen­sées de paix et de » com­ment vivre ensemble« pui­sées dans des nou­veaux sys­tèmes éco­no­miques et éco­lo­giques qui font tout de même entendre leur voix, exemple : Jean-Marie Pelt dans « Le monde a‑t-il un sens » : Petit trai­té du prin­cipe d’as­so­cia­ti­vi­té dans l’é­vo­lu­tion, ou de Pierre Rabhi dans son livre « Pour une sobrié­té heureuse ».
    Des illu­mi­nés idéalistes ?
    Le suc­cès du film « Demain », montre que le renou­veau est là.
    Ne bais­sons pas les bras, les pan­tins qui vont gou­ver­ner n’au­ront qu’un temps…
    beau­coup d’entre nous ne ver­ront sans doute pas le renouveau
    mais nous pou­vons le pré­pa­rer pour nos enfants..

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    • Tu me rap­pelles Gramsci, écri­vant à son frère depuis la pri­son : « Je suis pes­si­miste avec l’in­tel­li­gence, mais opti­miste par la volon­té ». Ou bien celle-là, de F. Scott Fitzgerald, que j’ai pla­cée en exergue sur ce blog : « Il fau­drait com­prendre que les choses sont sans espoir et être pour­tant déci­dé à les chan­ger. » Plus ordi­nai­re­ment, quand je jette des ordures dans les bacs à tri… Je ne pense pas vrai­ment que c’est inutile… mais si je pense aux MONTAGNES d’or­dures accu­mu­lées sur cette terre, dont les nucléaires plus éter­nelles que les neiges… alors je me dis « ouais… ». Mais au moins, je tâche d’être en accord avec moi-même. Après tout, peut-être que la révo­lu­tion à venir consis­te­ra à mener l’hu­ma­ni­té vers ce concert com­mun entre des indi­vi­dus réac­cor­dés ! On doit rêver ?

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      • Graille

        Je relis le magni­fique poème de Ernest Henley :  » Invictus »
        DANS CES TÉNÈBRES QUI M’ENSERRENT
        ET DANS CE PUITS SANS FOND OU JE ME NOIE
        .….….…..
        JE SUIS LE CAPITAINE DE MON ÂME
        LE MAÎTRE DE MON DESTIN..

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      • Graille

        Ça répond à
        Je suis en accord avec moi même. .
        Quoi qu’il en soit..

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  • Graille

    Magnifique article Gérard. .
    Clair, concis et belle prise de position.
    Bien docu­men­tée qui donne à réfléchir.
    Merci.

    Répondre
  • Gian

    Certes. Mais comme Hitler, Trump va se cas­ser les dents sur le mur des réalités.

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    • Les dents de Trump et D’Hitler ne vont pas vrai­ment m’émouvoir mais toutes les dents que l’un a bri­sé et que l’autre bri­se­ra seront encore en décor sur le tableau de l’inhumanité…

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  • Gian

    Moore et Ramonet vision­naires res­pec­ti­ve­ment 4 et 3 mois avant l’é­lec­tion ; mais il y a eu mieux, et de la part d’un jour­na­liste de ter­rain, Grégor Brandy, qui pro­phé­ti­sait les « 5 rai­sons pour les­quelles Clinton va perdre », dès le 8 novembre 2015 : http://​www​.slate​.fr/​s​t​o​r​y​/​109439​/​r​a​i​s​o​n​s​-​c​l​i​n​t​o​n​-​p​a​s​-​e​lue

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