Afrique(s)Gaffe, les médias !

AFRIQUE. Ce raz-de-marée permanent, ses millions de victimes, cet assourdissant silence

Sidafrik_1[dropcap]La[/dropcap] correspondante de France Inter en Afrique de l’Est – mes excuses, je n’ai pas retenu son nom – est basée à Nairobi, au Kenya. Sollicitée pour la chronique Regards sur le monde (8/12/05), j’ai cru un instant qu’elle allait enfin nous donner des nouvelles un peu précises sur l’état de la côte orientale de l’Afrique après le raz de marée. Non. Une autre fois ?

On ne lui en voudra toutefois pas d’avoir abordé la guerre au Soudan et au Darfour, ainsi que la non moins horrible guerre au Congo (RD, ex Kinshasa). Plus de deux millions de morts pour l’une, près de quatre pour l’autre. Mais, bon, ce sont des affrontements dits «interethniques», appellation fort peu contrôlée, encore moins vérifiée mais très prisée par la plupart des médias du Nord – je ne dis pas par les journalistes en place, confrontés à la complexité des réalités du terrain et exposés au pire, à la mort par exemple. Le fait est qu’il reste très peu de journalistes occidentaux en Afrique, surtout dans les zones de conflit ouvert – ce qui est déjà vaste –, tandis que le reste du continent, dans sa partie sub-saharienne, n’est pas non plus souvent très sûr, nous sommes quelques journalistes à pouvoir en témoigner.

D’où vient cependant que les médias du Nord ne sollicitent pas davantage de journalistes africains puisque, après tout, ils pourraient aussi bien faire le travail ? La réponse n’est pas simple. Je vois deux explications possibles :

– D’abord, le peu d’intérêt manifeste des médias occidentaux pour l’Afrique
, sinon pour des poussées de fièvre spectaculaire et sans réel suivi informatif. Cette attitude, à la limite de l’indifférence, est entretenue par un supposé manque d’intérêt du « public » occidental. Où l’on retrouve l’ «interethnique» qui recouvre, mélangés, une méconnaissance sérieuse – si on ose dire – et des relents de racisme. L’Afrique demeure ainsi ce continent exotique où animaux et sauvages tentent de survivre dans une jungle « impénétrable ». [D’où l’intérêt d’un livre comme Au cœur de l’Afrique, de Bernard Nantet.]

– Une autre explication, plus techniquement journalistique, tient aux difficultés inimaginables que doivent affronter les journalistes nationaux. Il faut là-bas un courage des plus trempés pour exercer le métier d’informer : la pression des pouvoirs politiques, militaires, économiques et autres (par exemple familiaux et claniques) y est d’une force sans commune mesure avec celle rencontrée ailleurs par tout journaliste sur son propre territoire. A quoi s’ajoutent, bien sûr, les manques de moyens de déplacement, de transmission, propres au sous-développement. Les cas connus de journalistes africains assassinés comme Norbert Zongo, au Burkina Fasso, et, dernier en date, Deida Aidara, journaliste indépendant en Gambie et correspondant de l’AFP à Banjul, pour ne citer qu’eux, ne doivent pas faire oublier les incessants et quotidiens dénis de presse dénombrés dans la quasi totalité des 47 pays d’Afrique subsaharienne.

On ne le sait que trop : non seulement les vivants sont inégaux, mais les survivants et les morts plus encore. Ainsi n’a-t-on entendu parler des quelque 150 morts des côtes est-africaines que de manière incidente. Que sait-on, en fait, de la réalité des dégâts là-bas, sur cette autre planète ?

Le texte qui suit est extrait d’un communiqué (6/01/05) signé du président d’Attac : « Acceptons d’admettre, écrit Jacques Nikonoff, que les morts d’un jour valent les morts de tous les jours. Certes, la démesure du séisme, sa soudaineté, sa localisation géographique, la symbolique biblique du déluge qu’il portait au moment des fêtes ne pouvaient qu’entraîner le choc et l’émotion. Mais n’oublions pas ceci : chaque jour, selon la Food and Agricultural Organization (FAO), à cause de la faim et de la malnutrition, la mort fauche 25 000 vies, principalement des enfants. Rappeler cette réalité vise nullement à relativiser la tragédie que nous connaissons aujourd’hui en Asie. On ne peut pas subir, chaque jour, un choc émotionnel d’une même intensité pour des drames diffus, atomisés sur l’ensemble de la planète, résultant d’une lente agonie, difficiles à traduire en scoop d’images médiatiques.
«Peut-être ces affamés pourraient-ils consentir, pour leur propre bien, à un effort supplémentaire et se mettre d’accord pour disparaître le même jour ? Le total fait 9 millions, ce serait le record toutes catégories. Alors seraient sans doute réunis les 40 milliards de dollars nécessaires annuellement, selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), afin de réaliser et de maintenir l’accès universel à l’éducation de base, à l’eau potable et à des infrastructures sanitaires, ainsi, pour les femmes, qu’aux soins de gynécologie et d’obstétrique.»Afriquesida
J’ajoute à ces chiffres hallucinants le fait qu’ils ne prennent pas en compte les ravages du sida. L’Afrique subsaharienne demeure, et de loin, la région du monde la plus durement touchée par l’épidémie. En 2003, le nombre d’Africains vivant avec le VIH a été estimé à 26,6 millions, dont 3,2 millions ayant contracté l’infection au cours de l’année écoulée. Le sida a tué près de 2,3 millions de personnes en 2003.

Enfin, comme si le tableau n’était pas assez chargé, il y a, aussi, le paludisme. Ce fléau ancestral tue un enfant toutes les 30 secondes en Afrique et entre 1 et 3 millions de personnes par an, selon les estimations de l’OMS.

L’Afrique, un continent, une souffrance, le silence. Ça ma rappelle une chanson de Maxime Le Forestier : Est-ce que les gens naissent / Egaux en droits / A l’endroit / Où ils naissent ?

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Une réflexion sur “AFRIQUE. Ce raz-de-marée permanent, ses millions de victimes, cet assourdissant silence

  • Philippe

    Il en faut du recul, pour ne pas ceder a cette frenesie compassionnelle sans oublier le reste. Moi qui ne suis pas journaliste, comme tout le monde, pour un sujet qui me touche (je travaille chez Lafarge, dont l’usine a Banda Aceh a perdu 250 employes, sans compter les familles, les clients, les partenaires), j’ai ouvert les yeux un moment, fait des dons comme jamais je n’en avais fait et, tres vite, je me suis souvenu du reste, de toutes ces guerres, du sida, de la pauvrete que je vois chaque matin en allant travailler, de tout ce rete pour lequel je donne et fais habituellement si peu.
    Alors ne relativisons pas trop ce tsunami, qui est effectivement un drame, mais faisons-en le tremplin qui fera rebondir notre fraternite.

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