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90e jour de détention. Un texte de Florence Aubenas : « Rompre avec la représentation spectaculaire »

Journaliste au Courrier picard, Jean-Louis Bétant a eu l’excellente idée de faire passer à «c’est pour dire» ce texte de Florence Aubenas. Il s’agit de la conclusion du livre qu’elle a co-écrit avec Miguel Benasayag, «La fabrication de l’information», (éd. La Découverte). Au 90e jour de détention de Florence et Hussein, ces lignes résonnent singulièrement. Et d’autant plus dans le contexte du déferlement médiatique déclenché par la mort du pape.

« Il ne s’agit donc pas de poser le problème en termes faussement shakespeariens : informer ou ne pas informer, voilà la question. L’enjeu pour la presse se situe ailleurs: comment comprendre, pour pouvoir le dépasser, ce dispositif qui crée le monde de la représentation auquel nous sommes tous devenus extérieurs ?

« Ce problème ne peut être résolu de façon technique, pour les plus «radicaux» en désignant quelques «bons» coupables (grands médias ou grands patrons), ou pour les plus «professionnels» en décidant d’une nouvelle formule, d’une nouvelle grille, de l’ouverture de tribunes à ceux qui se plaignent de ne pas avoir assez la parole.

« Pour les journalistes, la question n’est donc pas de faire autrement ou mieux. La ligne de rupture traverse certes la presse, mais elle ne s’y arrête pas : elle trace la frontière entre ceux qui s’accommodent du monde virtuel de la communication, et donc de la société néolibérale qui la produit, et ceux qui s’engagent dans une véritable alternative.

« Mais résister à la virtualisation ne consiste pas seulement à se «positionner» contre elle. Le journalisme doit opérer une révolution en son sein, comme celle qui a agité il y a quelques décennies le monde des historiens. Certains d’entre eux se sont battus, on l’a vu, pour briser la dimension unidimensionnelle que présentaient les images des rois de France comme la seule façon possible de raconter l’histoire. Cette remise en cause ne fut nullement le résultat d’un développement de la science de l’histoire. Des chercheurs l’ont engagée pour s’opposer aux conséquences d’une telle démarche, pour rompre clairement avec un fonctionnement qui s’abîmait dans la représentation.

« Aujourd’hui, une rupture de ce type est nécessaire pour résister à la domination écrasante du monde spectaculaire de la communication. Pour autant, il serait absurde de tracer dans les cieux un plan de bataille détaillé d’une presse «non communicante». Plus modestement, le journalisme se doit de rendre compte d’un monde multiple à des individus multiples, de parler de choses qui ne «représentent» rien, au sens propre du terme. Il doit s’ouvrir aux pratiques sociales concrètes de l’ensemble des citoyens, aux brèches d’un monde non utilitariste et non capitaliste. Pour cette société-ci, le «journalisme réel» d’aujourd’hui est parfait. Mais voulons-nous de cette société-là ? »

→ PÉTITION. Le comité de soutien à Florence et Hussein fait circuler une pétition dans la perspective de leurs cent jours de captivité en Irak. Cette pétition sera remise au président de la République.
Télécharger la pétition en pdf. A renvoyer avant le 13 avril.

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Une réflexion sur “90e jour de détention. Un texte de Florence Aubenas : « Rompre avec la représentation spectaculaire »

  • argoul

    Rester ouvert – voilà une belle définition du journaliste.

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