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A 380. Vol au-dessus d’un nid de canards

[dropcap]Au[/dropcap] lendemain du premier envol de l’‘Airbus 380, un survol au-dessus de quelques Unes de la presse régionale nous éclaire sur deux pratiques du journalisme. L’un tient à la fameuse « loi » dite de proximité. L’autre montre comment une forme de presse se trouve gouvernée par la communication.

D’abord la proximité. En l’occurrence, il s’agit de sa variante « kilométrique », la plus basique, encore appelée « loi du mort-kilomètre ». Elle relève du ressort psychologique voulant que l’on soit concerné par un événement en intensité inversement proportionnelle à sa distance… Vous me suivez ?Illustrons avec l’actualité de l’A380. Le plus parlant à cet égard est évidemment La Dépêche du Midi, quotidien de Toulouse, marié à l’aéronautique comme La Provence de Marseille l’est à l’OM, le clun de foot. Notons d’ailleurs que ces deux cas s’alimentent à une relation commerciale très directe. A chaque exploit des « idoles » locales, c’est le chiffre des ventes qui grimpe d’autant. Et par les temps qui courent, cet aspect est loin d’être secondaire.

Le cas de La Dépêche et de sa relation avec l’Airbus vaudrait une analyse poussée – des sémiologues s’en chargeront bien un jour ou l’autre. D’un point de vue journalistique, j’avais ici pointé, lors de la première sortie de l’avion, la démesure exprimée par la Une du quotidien de Toulouse avec son titre « Le jour de gloire ». Appelons ça perte de contrôle professionnel, manifestée par l’absence de recul sur l’événement – on ne parlera même pas de sens critique. Il fallait donc, cette fois, monter encore d’un cran pour atteindre au super-superlatif.

Ce fut donc la montée au ciel en un mouvement que j’avais déjà qualifié d’« orgastique », avec perte de contrôle total – et son risque corollaire, l’épectase ; mais là, c’était surtout pour placer le mot tout en rappelant la mort de Félix Faure, président de la République…, dans les bras d’une galante, et plus tard la fin du cardinal Daniélou dans des conditions semblables…

Donc, ce titre – « Une journée au ciel » –, cette double une à crucifier en poster au-dessus des cheminées du midi toulousain, cette bite triomphale, ode à la technologie qui fait rêver dans un quotidien si terre-à-terre, cette totémisation d’un phallus bien mâle – excusez le pléonasme, d’ailleurs appuyé par la photo des six mâles à l’étoffe orange, celle dont on fait des héros à Hollywood…

Et que dire de la une à J zéro, celle du grand jour !? Avec cet « Envole-toi » comme une prière, une prière au Seigneur tutoyé, personnifié, idolâtré. Un détournement sacrilège du « lève-toi et marche », et en même temps une expression mystique et animiste à la fois.

La communication maintenant. Ou plutôt la com’, sa variante triviale. Voilà en effet qu’une entreprise de sondage (TNS-Sofres) monte un coup commercial avec le SPQR, groupement syndical des quotidiens régionaux, sur le thème du travail. D’où est venue l’idée ? Est-elle liée au lundi de Pentecôte réquisitionné au nom de la solidarité, et objet de la fronde que l’on sait ? Dans quel but avoué ? Et caetera.

Toujours est-il que bien des rédactions ont mordu à l’hameçon « com’ » en étant, une fois de plus, agies par des forces extra-journalistiques.

L’échantillon des unes reproduites ici permet d’apprécier le jeu des rédactions. Un jeu dont la marge de manœuvre est bien faible, ne portant généralement que sur un choix hiérarchique binaire : ou Airbus, ou le Travail.

A noter au passage, le bel effort de La Provence pour se dégager de ses emprises « Lagardèriennes » (le journal est propriété d’Hachette). A part dans l’édito, l’A380 n’est appelé à la une que par le témoignage de la mère du pilote qui habite dans le Vaucluse. Le reste est en dernière page, sur le ton général de la célébration.

→ En prime, pour compenser la charge de TNS-Sofres, télécharger Le Droit à la paresse. Réfutation du droit au travail de 1848 (1883), de Paul Lafargue, 1842-1911.

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Une réflexion sur “A 380. Vol au-dessus d’un nid de canards

  • Des ventes également dopées par la pratique des “comptes fermes” (l’organisateur d’un événement achète un certain nombre d’exemplaires) là aussi, j’imagine…

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