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Razzia sur le patrimoine africain

par Bernard Nantet

D’abord « Musée des Arts premiers », ensuite revenu plus sagement à son port d’attache géographique, le Musée du quai Branly a fait donner, comme toujours, le tintouin médiatique. Et que je te claironne du « projet culturel du septennat » ! Il est vrai que ce sera sans doute la seule trace durable. « Chirac entre enfin au musée ! » titrait le Canard enchaîné, promu comme souvent au seul couac dans le concert de louanges. N’oublions pas que pendant qu’on habillait Jacques, on déshabillait Paul, c’est-à-dire le Musée de l’Homme, dépouillé de ses collections et voué à la disparition. Et puis, d’où viennent-ils donc tous ces merveilleux trésors ? On sait, par exemple, que trois statuettes exposées sont issues du pillage de sites nigérians.

« Un acte déshonorant digne de profanateurs de sépultures. » C’est ainsi que, le 15 novembre 2000, lors d’une réunion internationale de l’Unesco à Paris, lord Renfrew, professeur à Cambridge, a qualifié l’acquisition par la France. pour son « musée des Arts premiers », de sculptures nok, issues du pillage de sites nigérians. Et Libération, dans ses pages « Rebonds » du 27 novembre de la même année, traitait la France d’«amie des pillards ».

Il est vrai que l’engouement actuel en Occident pour les arts primitifs a donné un nouvel élan à l’exhumation en toute illégalité puis au trafic du patrimoine africain. Provoquant l’inquiétude des historiens et archéologues.

Le pillage des biens culturels africains a commencé dès le début du xx’siècle, avec la vente aux enchères en Europe des bronzes et des ivoires du royaume du Bénin : ces sculptures représentaient les souverains défunts et fondaient la légitimité du roi en exercice; leur disparition, jointe aux provocations britanniques, a entraîné l’effondrement de la royauté.

Au cours du siècle, cet art, baptisé tour à tour ~ nègre »,« premier », ~ tribal ». « ethnique » ou « primitif », n’a jamais pu s’extraire du débat entre esthétisme et fonctionnalité dans lequel les Européens l’ont enfermé, oubliant souvent que ces objets avaient une fonction historique, religieuse et culturelle pour les populations africaines.

Aujourd’hui encore, l’Afrique reste pour certains un continent sans passé, dont les statuettes d*ancêtres et de souverains, les masques de héros civilisateurs et les urnes funéraires continuent d’alimenter les salles des ventes.

Il faut en effet savoir qu’un objet acheté quelques dizaines de francs au paysan local – qui en a parfois détruit trois ou quatre pour en récupérer un – peut atteindre des sommes énormes une fois revendu à Paris, Londres ou New York. Le prix d*un masque tschokwe du Congo démocratique dépasse ainsi les 30 000 euros.

C’est donc autant pour se réapproprier leur histoire que pour en retrouver les éléments matériels que, dès 1960, les Etats indépendants se sont attelés à l’élaboration de nouveaux programmes scolaires, qui remplaceraient les vieux manuels d’histoire périmés distribués jadis par les métropoles aux écoles de brousse.

Un important travail d’interprétation des traditions orales a permis de faire surgir les contours d’un passé où les objets occupent une place essentielle. Des fouilles ont parfois éclairé ce patrimoine de façon étonnante : par exemple la céramique et la métallurgie du fer étaient pratiquées en Afrique aux mêmes époques qu’au Proche-Orient et en Europe.

La tâche des archéologues africains était urgente : à partir des années 1970, le recul de l’animisme a fortement réduit l’approvisionnement des grands collectionneurs en masques et statuettes « authentiques » d’Afrique. Ceux-ci se sont donc reportés sur les statuettes en céramique. Or ces objets proviennent essentiellement de sépultures : c’est précisément le domaine archéologique intéressant l’Afrique sans écriture, notamment antérieure à l’arrivée de l’islam (à partir du Xe siècle), qui s*est trouvé menacé.

Ainsi dans la région de Djenné, au Mali où s’est tenu, en novembre 1999, le colloque de l’Association ouest-africaine d’archéologie. Les responsables politiques du pays (dont le président, Alpha Oumar Konaré, ancien archéologue) sont sensibilisés depuis longtemps à la menace pesant sur le Mali, et en particulier sur la ville ancienne de Jenné-Jéno (datant de 250 av. J.-C.). Ils ont créé des missions culturelles à Djenné, Tombouctou, Bandiagara-Pays Dogon.

Une double action a pu être menée : campagne de sensibilisation de la population à l’importance de son patrimoine et à sa sauvegarde, politique douanière stricte. Ce qui a entraîné une forte baisse des pillages.

Un colloque à Nouakchott (Mauritanie) en novembre-décembre 1999, s’est de même intéressé à la promotion du tourisme culturel et artisanal comme moyen de préserver les richesses culturelles du passé. Tandis qu’un autre à Tombouctou (Mali), du 13 au 19 novembre 2000, rappelait le drame de cette cité historique qui voit ses maisons et ses monuments s’effondrer en raison du départ de ses habitants.

Espérons que ces diverses initiatives culturelles contribueront à la sauvegarde – sur place -d’un patrimoine fragile et menacé. Et reprenons à notre compte cet adage qu’aimait rappeler Théodore Monod, initiateur des recherches archéologiques en Afrique de l’Ouest à travers l’Institut fondamental d’Afrique noire de Dakar (IFAN) : « Qui cueille une fleur dérange une étoile. »

• Article paru dans L’Histoire, n°25, janvier 2001

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