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« Parade de l’OM » à Marseille. La seconde mort de Zarafa, brûlée « vive » en martyr de la bêtise

Samedi après-midi sur la Canebière. 3000 livres en feu.

Le 22 janvier, ici même, je plaçais quatre photos sous le titre « La môme aux grandes cannes sur la Cane-Canebière ». La magnifique girafe aura tenu quatre mois sur l’artère principale et emblématique de Marseille, avant de succomber sous les coups de boutoir de la connerie humaine. Zarafa a été incendiée samedi par les hordes barbares censées fêter le sacre de l’OM dans le rituel footeux. Les images publiées par La Provence sont plus parlantes que l'insipide  reportage du même journal, dont j’extrais ceci :

18h31. Les pseudo-supporters mettent le feu à une girafe

Installée près de la mairie du 1/7, en haut de La Canebière, une fausse girafe vient d'être enflammée par les pseudo-supporters qui affrontent actuellement les forces de l'ordre, en marge de la parade de l'OM. Elle ne devrait pas résister longtemps à ce mauvais traitement...

Dali, Girafe en feu (extrait), 1935. Bâle, Musée des Beaux-Arts

Deux remarques. La vidéo [depuis retirée du site de La Provence] apparaît à la fois affligeante par son contenu, le geste stupide – c’est peu dire – qu’elle illustre ; en même temps qu'elle affiche une blessante beauté, comme il en est trop souvent des drames (ici, il n’y a pas mort d’homme, mais une insulte à l’intelligence humaine). Voir cette girafe en feu ressemble à un acte surréaliste dépassant le fétichisme de l’objet et de sa représentation. Ce spectacle, car c’en est un, ne manque pas d’évoquer la girafe en feu peinte par Salvador Dali.

Sur le fond et l’absurdité du geste incendiaire, on peut aussi évoquer les pratiques d’autodafé remontant aux multiples inquisitions et en particulier sous le nazisme. Car la girafe de Marseille était constituée de milliers de livres assemblés autour d’une ossature. Des livres de poche, sans doute choisis bien attentivement, tant par les couleurs des couvertures que par les titres mêmes retenus par le sculpteur, Jean-Michel Rubio. On peut aussi penser à l’ouvrage de Ray Bradbury, Fareinheit 451, que Truffaut avait porté à l’écran (1966). Quand on brûle des livres, c’est à l’humanité tout entière qu’on attente, et c’est le signe que la barbarie est déjà en marche. N’allons pas jusqu’à là pour ce qui est du « supplice »marseillais infligé à Zarafa. Entre l’imbécillité du geste, son irresponsabilité et l’intention malfaisante, on ne saurait trop jurer que quoi que ce soit – ou alors des trois….

Zarafa peu après son inauguration [Ph. J-M Rubio

Rappelons que cette girafe avait été installée là, du haut de ses six mètres, la tête dans les branches d’un platane, à l’occasion des « bouquinades », une fête de quartier dédiée au livre. La girafe n’avait pas été élue au hasard, ce que la presse locale ne nous avait pas appris, notamment La Provence. Laquelle n’y a vu qu’un bestiau quelconque tout juste bon à faire exotique.

Quelques bribes de livres accrochées à l'ossature métallique [Ph. O. Chenevez]
C’est donc par France Culture et sa Fabrique de l’histoire que j’apprenais quelques semaines plus tard l’aventure de Zarafa, la  « Première girafe de France  » offerte en 1825 au roi de France, Charles X, par le pacha d’Égypte. Lequel avait fait capturer deux girafes au Nord-Soudan. On leur fit descendre le Nil. À Alexandrie, il fut décidé, pour ne pas faire de jaloux, d’en offrir une à chacune des deux principales puissances coloniales en Afrique : l’Angleterre et la France.

La girafe française embarqua pour Marseille, où elle parvint à l’automne de 1826. Elle fut alors prise en charge par Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, naturaliste savant du Jardin des Plantes, qui eut la mission de la ramener, au pas, dans ce sanctuaire parisien de la Science. Son voyage eut un retentissement considérable à l’époque : elle était attendue partout par des foules immenses.

La girafe anglaise, quant à elle, hiverna à Malte, supporta mal le voyage par Gibraltar et l’océan, et mourut à Londres dans les bras du roi George.

Quant à la Zarafa française et à son voyage en France, le délire collectif fut atteint à Lyon où cent mille badauds acclamèrent l’étrange vedette sur la place Bellecour. Charles X, à qui elle était personnellement offerte, se plaignit d’être pour ainsi dire le dernier des Français à la voir. C’était la première girafe à visiter l’Europe du Nord. Elle vécut tranquillement dix-sept années à Paris, mourut, fut naturalisée, et se fit oublier, pour ressurgir de temps à autres, sous forme de légendes souvent invraisemblables. Elle est maintenant au Muséum de La Rochelle.

Il reste l'indignation… et les mots (Ph. Odile Chenevez]

Ce qui a donc été incendié samedi dans la gloire de l’Olympique de Marseille,ce n’est donc pas « une » girafe comme l’a vue La Provence, mais une partie de l’histoire de la cité phocéenne, une partie de l’Histoire humaine tout court. Cette épisode peu glorieux porte aussi sa dimension historique, hélas !

Les optimistes auront-ils raison ? [Ph. Odile Chenevez].
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11 réflexions sur “<span class="dquo">«</span> Parade de l’OM » à Marseille. La seconde mort <span class="pt_splitter pt_splitter-1">de Zarafa, brûlée « vive » en martyr de la bêtise</span>

    • Gérard Ponthieu

      Je reste tout de même aba­sour­di par ces « pré­vi­sibles » si vio­lem­ment destructeurs…

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  • Je ne connais­sais pas la girafe, je ne savais pas ni pour­quoi ni com­ment elle avait été éri­gée mais moi non plus je ne suis pas sur­pris qu’elle ait été incen­diée… pro­ba­ble­ment par bêtise mais peut-être pour ce qu’elle représentait…

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  • Au lieu de construire cette girafe pour « revi­ta­li­ser » la Canebière et y faire venir une popu­la­tion qui consomme et paye des impôts, on aurait mieux fait de don­ner ces livres aux biblio­thèques de quartier.
    Les livres uti­li­sés pour construire Zarafa étaient déjà condam­nés depuis long­temps : on ne pou­vait pas les lire. Alors les dis­cours sur les livres brû­lés, ça suf­fit. Cette girafe, c’est déjà un auto­da­fé en soi.
    Quand aux bou­qui­nades, c’é­tait loin d’être une fête de quar­tier : orga­ni­sée par une char­gée de com pari­sienne, elle pro­mou­vait le livre mains­tream et bien pen­sant avec des auteurs comme Bernard Werber, comme s’ils avaient besoin de pub !
    Ayons confiance, une fois recons­truite, elle brû­le­ra de nouveau !

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    • Gérard Ponthieu

      Evidemment pas d’ac­cord ! Sauf à décon­nec­ter la girafe en ques­tion de tout son contexte : his­to­rique (“« lignar­dise » des médias n’ar­rangent rien à cet égard, certes); sym­bo­lique (il y a tant à dire sur la place de la girafe dans le bes­tiaire humain et dans le champ scien­ti­fique lié à l’é­vo­lu­tion­nisme et au dar­wi­nisme, etc.); artis­tique (c’é­tait une oeuvre plas­tique indé­niable ; Zarafa deve­nait un monu­ment au sens pre­mier de ce dont on se sou­vient. Mission accom­plie en ce sens, y com­pris dans « la mise à feu » – dont on se sou­vien­dra ! En quoi Zarafa n’é­tait pas d’a­bord un auto­da­fé, certes non, mais plu­tôt un recy­clage, une renais­sance. De plus, de vrais bou­quins étaient mis à dis­po­si­tion dans une niche ména­gée dans le corps de Zarafa ; ce qui ne retire rien aux bibli de quar­tier. Quant aux « bou­qui­nades » , oui, ça a plu­tôt l’air de rimer avec couillon­nades… A moins d’a­mé­lio­rer la chose… Détruire est plus facile.

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  • Voila qui ne va pas contri­buer au rap­pro­che­ment des peuples, d’un côté les foo­teux abru­tis, de l’autre les intel­los bino­clards. Est-ce que je mets le feu à vos stades, moi ?

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  • Olivier LEBLEU

    Je suis l’au­teur des « Avatars de Zarafa » et l’in­ter­ve­nant prin­ci­pal de l’é­mis­sion de « La Fabrique de l’Histoire » que vous citez. Je suis évi­dem­ment cho­qué par cet acte stu­pide et bar­bare qui nous ramène aux pires heures de notre huma­ni­té. Stefan Zweig ne s’est jamais remis de l’au­to­da­fé de ses livres dans l’Allemagne nazie. Quand on s’at­taque ain­si à la culture, c’est tou­jours « Mozart qu’on assas­sine »… Lors des jeux célé­brant le pre­mier mil­lé­naire de la fon­da­tion de Rome, Philippe, suc­ces­seur de Gordien III, offrit aux Romains dix girafes à la fois qui, comme les autres ani­maux sau­vages, durent être mas­sa­crées au cirque. Le chro­ni­queur Eusèbe Pamphile pré­cise que les réjouis­sances bar­bares durèrent trois jours et trois nuits… Toutes pro­por­tions gar­dées, je condamne cette des­truc­tion et espère très vite une nou­velle Zarafa II. L’idée était belle, géné­reuse, intel­li­gente. OL

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  • Lizz

    Zarafa II est de retour ain­si que son gira­fon Marcel Zafaron ! 🙂

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