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Mort de Stéphane Hessel. « Du moment qu’on lutte, on projette de la lumière dans l’obscurité »

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Stéphane Hessel, le 12 novembre 2002 à Aix, à la librairie Vents du Sud. « …Nous laisser aller vers l’utopie d’un monde plus harmonieux – et peut-être plus juste ». Photo © gp

[dropcap]Né[/dropcap] allemand à Berlin le 20 octobre 1917, Stéphane Hessel arrive en France à l’âge de 8 ans. Naturalisé français en 1937, normalien, il rejoint les forces françaises libres en 1941 à Londres. Résistant, il est arrêté et déporté à Buchenwald puis à Dora et ne doit la vie qu’à une substitution d’identité avec un prisonnier mort du typhus et à son évasion.

Il entre au Quai d’Orsay en 1945 et fait une partie de sa carrière diplomatique auprès des Nations unies (dont le siège est à l’époque installé en France, à Paris au Palais de Chaillot) où il assiste comme témoin privilégié à la constitution de la charte des droits de l’homme et du citoyen. Homme de gauche et européen convaincu, il est ami de Pierre Mendès-France et Michel Rocard.

Stéphane Hessel est connu pour ses prises de position concernant notamment es droits de l’homme, les « sans-papiers » et le conflit israélo-palestinien ainsi que pour son manifeste Indignez-vous ! paru en 2010, au succès international.

Je l’avais rencontré fin 2002 à Aix-en-Provence où il avait été invité pour une conférence sur la coopération et le développement. Il venait aussi de publier de son dernier livre, Dix pas dans le nouveau siècle (Le Seuil), qui règle son compte à cette « mondialisation économiciste » prétendant ordonner le chaos par le tout marchandise.

J’avais alors écrit, pour La Provence, un article dont voici un extrait :

« Le monde va mal, c’est peu de le dire. Et voilà un sage de 85 ans qui, tout sourire déployé et sans nier l’évidence, vous inonde du plus bel optimisme. […]  Résistance, camps de la mort – dont il réchappe par miracle : qu’il nous excuse le raccourci sur une vie qui va ensuite traverser le siècle au service de la diplomatie française ; il sera ainsi ambassadeur de France, jusqu’à sa « retraite » en 1982.

« Ce n’est alors qu’un autre départ vers un nouvel engagement auprès de multiples causes et associations. On a du mal à le suivre entre le Haut conseil pour l’intégration, le Comité français pour la solidarité internationale, la Conférence mondiale pour les droits de l’homme, le Haut conseil pour la coopération internationale, l’Office franco-allemand pour la jeunesse, sa médiation pour les sans-papiers de Saint-Bernard et son soutien à Agrisud qui, en Afrique et en Asie, aide les paysans sans terre. Partout où sévissent l’injustice et le dénuement, Stéphane Hessel accourt – en tout cas n’est pas loin, ou à défaut soutient ses innombrables amis.

« Mais un tel optimisme, tout de même…, l’Irak, le Moyen-Orient, la Tchétchénie… « Il faut se méfier de ces notions d’optimisme et de pessimisme. Du moment qu’on lutte, on projette de la lumière dans l’obscurité. En un siècle, voyez comme tant de problèmes ont été résolus : le nazisme, la décolonisation, le stalinisme, l’apartheid… Et l’Europe, qui aurait cru ? La perspective longue que mon âge me permet de jeter aujourd’hui sur l’Histoire moderne me fait croire aux solutions. Et j’ai toujours le sentiment que le combat n’est jamais inutile. »

Le développement, cependant, est plus que relatif, voyez en Afrique surtout… « Oui, les écarts se sont plutôt accrus. On n’a pas trouvé le « truc » ; il nous faut réfléchir pour s’y prendre autrement. Les ONG, au Nord comme au sud, ouvrent de réelles perspectives pour attaquer la pauvreté et les inégalités. Nous devons inventer une nouvelle coopération avec les plus démunis ; c’est déjà ce qui se passe depuis Porto Alegre et maintenant Florence, tous ces mouvements qui obligent les gouvernements à prendre conscience. Il s’agit bien d’un combat, d’une tension, comme cela s’est passé entre patrons, ouvriers, syndicats sur les législations sociales. C’est la pression citoyenne qui fait émerger de nouvelles solidarités. Il y a toujours nécessité d’une vision utopique. Quant au développement, on doit certainement lui trouver un autre contenu, plus sobre, moins consommateur – et donc plus moderne. Mais tout ça n’est pas encore entré en politique ! »

1S_Hessel-300x298[…] « On aurait pu aussi entamer le chapitre « Jules et Jim »… Car Stéphane – l’a-t-on assez dit – , est le fils de Franz et Hélène Hessel, la maman qui tomba amoureuse d’un certain Henri-Pierre Roché, le « Jim » du roman, puis du film de Truffaut. Stéphane avait trois ans, à peine quelques pas dans le siècle. »

 

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7 réflexions sur “Mort de Stéphane Hessel. « Du moment qu’on lutte, on projette de la lumière dans l’obscurité »

  • Julie

    Là, j’ai peur qu’on sanctifie le bonhomme, qu’on l’idolâtre, qu’on le formolise, qu’on le momifie, qu’on l’empaille, qu’on le clone, qu’on l’envoie vers Saturne, qu’on le déifie quoi et que même on le prenne pour le dieu !

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    • Lemoine andré

      Oui, ça craint. Mais de là à le dézinguer comme on le voit déjà sur twitter, notamment de la part des juifs extrémistes qui le dénoncent comme antisémite !

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  • Dominique Dréan

    Cette après-midi, en introduction de l’émission de Mermet, ses considérations sur la mort, sa mort. “Elle va m’accueillir avec gentillesse”…Alors qu’il n’y a pas, me semble-t-il, plus garce que la mort.
    Il n’est pas revenu de tout, loin s’en faut,il semble en paix avec tout. Il a tellement veillé à rester proche des hommes qu’il ne risque pas – si tant est qu’il puisse encore risquer quelquechose – qu’on le prenne pour quoi que ce soit d’autre.

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  • Gérard Ponthieu

    Hommage sans fard à Stéphane Hessel ce matin sur France culture (bon sang, quelle belle radio qui fait entendre ces voix de savoir, plutôt modeste, et d’intelligence). On entend le grand humaniste, contesté quand il s’agit de la Palestine et d’Israël, que Hessel qualifie d’État théocratique, colonialiste et d’apartheid ; on l’entend et avec lui, à ses côtés, cette même lueur vive, celle d’Edgar Morin. Ces deux « vieux » tiennent des propos d’espoir – surtout Hessel, car Morin est tout de même moins optimiste quant à la marche du monde. Enfin la radio fait entendre Stéphane Hessel disant un poème de Verlaine : «L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable. Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ? Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou… », tandis que l’hommage prend fin sur une musique de Schubert, que Stéphane Hessel aimait beaucoup.

    Salut à Marc Voinchet, honneur de cette radio.

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    • Gérard Ponthieu

      Il s’agit, en effet, de dénigrer tout opposant à la politique colonialiste d’Israël; en l’occurrence selon l’équation fallacieuse : antisioniste = antisémite. Cela peut être vrai, hélas, mais en ce qui concerne Stéphane Hessel, c’est plus dur à faire avaler, même en chargeant la mule comme s’y emploie cet article. Ainsi cette citation, isolée du reste, analysant la stratégie de l’occupant allemand qualifiée de “politique d’occupation qui voulait agir positivement”. Elle le saurait pour autant se trouver ainsi justifiée par l’ancien résistant Hessel, déplorant que ladite stratégie compliquait encore plus la tâche de la Résistance.

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  • Hello, le soleil …
    Quid :
    – L’obscurité existe seulement lorsque la lumière manque ?
    – L’obscurité c’est l’état normal des choses … et la lumière un accident ?

    L’alternance lumière ténèbres constitue bien un symbole universel.
    Complémentarités, mélanges et superpositions, ondes et particules, causes et effets, …
    Lumière : l’éternelle mémoire révoltée du soir ?

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