Coup de cœur

Alain Mollot, l’homme de théâtre, l’ami perdu

De ces jours où tout bascule. Téléphone de l’ami qui m’apprend la mort d’Alain, l’ami très cher. Je fais répéter. J’ai bien entendu. Larmes, visions ravivées, voix, souvenirs. Alain Mollot, homme de théâtre. Mais homme d’abord, homme debout. Jusqu’à la fin.

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Alain Mollot, avril 2007, à Vauvenargues devant le château où repose Picasso (ph. gp)

« Je n’irai qu’une semaine à Avignon » me disait-il encore au téléphone la semaine d’avant. Il se sentait déclinant, menacé, mais pas au point de s’absenter. Sa dernière mise en scène se jouera sans lui (du 6 au 28 juillet 2013 au Théâtre des Lucioles à 17h25) mais cependant toute pénétrée de sa présence. La Ville est une tragi-comédie de l’auteur russe contemporain Evguéni Grichkovets, sorte de «  Woody Allen moscovite ». Avec cette ultime pièce, Alain boucle ainsi un cycle entamé il y a une quarantaine d’années avec la création du Théâtre de la Jacquerie, cette troupe alors inclassable de comédiens rencontrés à l'école Jacques-Lecoq, (où il enseignera plus tard). Jean-Pierre Chabrol les repère bientôt et ne les quittera plus du cœur et des yeux – jusqu’à sa mort, évidemment, lui aussi. De cette jonction naîtront Lumpen en 78 et Tit bonhomme l'est pas très mort en 80, pièces « déjantées » célébrant le théâtre cru, charnel, comique et populaire – en ce sens un théâtre de l’engagement.

Dès 1985, la Jacquerie s'implante dans le Val-de-Marne, à Villejuif. Alain aborde alors le répertoire à travers Molière, L'École des Femmes,  Goldoni, Le Café,  Romain Rolland, Robespierre, Brecht, Maître Puntila et son valet Matti... Il écrit son premier texte, Sur le sable, qu'il monte en 1993. En 1995, retrouvant ainsi l'improvisation comme base de création, il crée avec son complice Christophe Merlant Croquis Marrants d'une vie redoutée et Cabaret Monstre.

Alain en 2009, à Villeneuve-les-Avignon (ph. gp)
Alain en 2009, à Villeneuve-lès-Avignon (ph. gp)

Après avoir utilisé la dérision pour dénoncer les méfaits de la société, il ressent le besoin de s'attaquer aux « grands sentiments ». Il monte alors un mélodrame, Liliom, de l’auteur hongrois Ferenc Molnár et, à partir de 1999, construit le projet d’une épopée théâtrale centrée sur la vie quotidienne et la critique de cette société en dissolution dans la « modernité ». D’où la trilogie : Roman de familles, La fourmilière, sur le travail, et Res Publica sur l’idée de nation et du bien commun.

Ces dernières années, son travail rend compte d'un va et vient constant entre les spectacles créés à partir de témoignages et la mise en scène de grandes fables modernes. La fiction nourrit le réel et le réel la fiction. Les langages théâtraux s'entremêlent librement : jeux réalistes, masques, marionnettes, chansons...

Parallèlement il revient au texte en mettant en scène Le Manteau, d’après Gogol, avec des comédiens rencontrés à l’Institut National de la Marionnette à Charleville-Mézières où il a enseigné, et La fin d’une liaison, adaptation du roman de Graham Greene.

De 2001 à 2010, il a été à la direction du Théâtre Romain-Rolland de Villejuif où il a cherché à promouvoir un « théâtre du geste et de l'image ».

Présentation de La Ville, sa dernière mise en scène, programmée à Avignon

Alain était l’homme des fidélités : à ses origines populaires, à sa famille, à ses comédiens, à ses amis, à sa femme Yola Buszko, comédienne qu’il rencontra en Pologne, à leur fils, Max, bien sûr.

En mars, alors qu’il luttait contre le cancer, nous avons passé une matinée entière à la Grande galerie de l’évolution… Étrange lieu célébrant et la vie et la mort… Précieuse présence de l’ami, curieux, questionnant, présent. À considérer les mystères de la vie, interrogeant sa beauté et son hypothétique finalité… On parle du temps long, si imperceptible au cerveau humain, des énigmes qui demeurent, pour toujours affamer la science, alimenter les questions ; faire rêver les hommes dans les bras des dieux.

On a pris le temps de manger, là devant le troupeau des « merveilles de la création » – ces créatures empaillées qui illuminent les yeux des visiteurs, dont tous ces enfants qui lèvent des regards ébahis sous le squelette de la baleine.

C’est là qu’il m’a dit, Alain : « Je suis en danger », et que la conversation a divergé.

Voir le site de La Jacquerie

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

10 réflexions sur “Alain Mollot, l’homme de théâtre, l’ami perdu

  • Très tou­chant, mon cher Ponthieu. Ne connais­sant pas l’homme, j’en retiens l’hommage.

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  • Merci Gérard de ce beau texte et pho­tos d’Alain. Avec sa sta­ture de corps qui sem­blait, sinon indes­truc­tible, du moins tour­née abso­lu­ment avec confiance et réso­lu­tion pour affron­ter la vie. Cette belle vie qu’il aimait tant. Cette vie réelle qu’il n’a­vait de cesse de nous faire par­ta­ger avec son théâtre tour­né et don­né pour tous. Et son amour de l’être, si pro­fond, ne négli­geait rien de nos énigmes indi­vi­duelles et col­lec­tives. En ce théâtre Romain Rolland de Villejuif, pour lequel il a tant fait qu’il me semble encore sien, je l’ai vu heu­reux et en forme lors d’une repré­sen­ta­tion de La Ville. Je savais son état, on en par­lait d’ailleurs tran­quille­ment, sur­tout lui. Je ne vou­lais pas le savoir « en dan­ger ». Quand je voyais ses pièces « de la vie quo­ti­dienne » l’es­poir qui en sur­gis­sait avec force grâce à son talent, je me sen­tais moins en dan­ger. Peut-être parce que je retrou­vais ce que par­fois j’ou­blie en moi. Et ce n’é­tait pas une illu­sion, c’é­tait la force du théâtre. Cet art pour lequel il a tout consa­cré sans jamais oublier ses proches. L’ego de l’ar­tiste Alain Mollot, je crois que c’é­tait nous. Nous tous, les spectateurs.

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  • Jean Pierre PLEUVRY

    La perte d’un ami, remet tou­jours en cause sa propre exis­tence et le pour­quoi du pour­quoi. Nos amis(e) nous quittent lais­sant des traces indé­lé­biles sur notre propre che­min, leur mémoire fait par­tie de notre besace qui nous accom­pagne chaque jour sur le che­min de notre notre vie…

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  • Jean Kouchner

    « Las, le temps non, mais nous nous en allons,
    Et tôt seront allon­gés sous la dalle »…
    Gérard, je t’embrasse.

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  • Véronic Joly

    Merci pour ces mots justes. Merci d’é­crire pour tous les sans voix, les sans mots, que nous sommes aujourd’­hui sans lui…

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  • Merci, il a eté mon prof chez Lecoq. J’ai beau­coup appris, la vie est à sau­ver et le théâtre viens aprés. Adios, Allain.

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  • Dulette

    Nous étions ensemble chez Lecoq, j’ai per­du on pôte de jeu­nesse je suis triste.

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  • Ne vous sou­ciez pas de n’être pas remar­qué ; cher­chez plu­tôt à faire quelque chose de remar­quable. Confucius

    Ce que Confucius a écrit, Alain Mollot l’a appli­qué avec LE THEATRE DE LA JACQUERIE. Merci. Yvet

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  • Philou38

    Hello Gérard et les Amis !
    Juste une petite inexac­ti­tude dans le très bel article sur Alain : « Tit Bonhomme » (1978)a pré­cé­dé « Lumpen » (1980); je le sais, j’y étais !
    Sinon…c’est dur, très dur…vivement Avignon et retrou­ver autre­ment Alain, à tra­vers « La Ville » (17h 25 au Théâtre des Lucioles).
    Amitiés et A+…

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  • J’ajoute aus­si que Langres était une ville chère au coeur d’Alain parce qu’y vivait un de ses grands amis, Christophe Merlant, qui écri­vit bien des textes pour la Jacquerie.

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