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Jean-Pierre, mon frère

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Luce, sa femme, et Jean-Pierre Ponthieu en 2007 à Marseille [Ph. fp]

Jean-Pierre, mon frère aimé est mort hier soir à l'hôpital de Perpignan. La mort, cycle final de la vie, sa négation, son non-sens. J’hésite encore à l’écrire ici, au risque de l’impudeur. Eh quoi, je déplore à maintes occasions la disparition de musiciens, de copains, de gens connus, plus ou moins célèbres… et je ne dirais rien de celle-là alors qu’il s’agit de mon frère ?

Né le 19 septembre 1934 (79 ans), Jean-Pierre avait onze ans à la fin de l'horrible guerre. Son enfance fut marquée, dans notre village familial de Picardie flanquée d'une DCA allemande, par les alertes, les descentes à la cave, les bombardements. Notre sœur Ginette peut encore en témoigner, elle qui en subit aussi de grandes frayeurs; tandis que moi-même (né en août 44) n'en perçut probablement que des chocs auditifs.

Vint ensuite le temps de la reconstruction du pays ravagé et ce qu'on appellera pompeusement les"Trente glorieuses" – du moins pour les affaires. Mais  pour le jeune homme à peine sorti de l'adolescence, ce sera l'enrôlement dans une autre guerre, celle d'Algérie. Vingt-quatre mois près d'Alger, à Maison-Blanche, l'aéroport militaire. Puis envoi à Colomb-Béchar, vers le sud, frontière du Maroc. Deuxième classe d'un bout à l'autre, échappant aux combats directs, mais soumis au stress permanent. Une période dont mon frère parlait peu, comme beaucoup  de cette génération sacrifiée aux "grandes causes" coloniales.

La vie normale reprit ses droits et obligations, dans l'euphorie relative de la consommation débridée. Électricien comme notre père, Jean-Pierre se retrouva technicien à France-Télécom jusqu'à la retraite, qu'il prit plein sud, à Perpignan, où il vécut de belles années entouré de nombreux amis, aimé de Luce, de leurs enfants Jean-Luc et Laurence, et quatre petits-enfants, Margot, Axel, Galla,, Hugo-Louis.

Ces quelques mots, donc, pour graver le souvenir, défier la mort, ou simplement la dépasser en l’admettant, parce qu’elle est réalité, inexplicable, inexcusable. J’use donc des mots et de ma petite tribune, tournée vers ceux que je sais ouverts à la compréhension des fameuses « choses de la vie », si complexes.

La mort de l’Autre, plus encore la mort d’un être proche, rappelle à sa propre mort, oblige au recueillement sur sa propre condition de simple mortel, sur la brièveté de la vie et l’impérieuse obligation de ne pas la gaspiller. Ce qui est aussi un art, autrement difficile.

Car le temps s’envole, sans retour. À moins d’en appeler à l’au-delà. Tandis que la simple philosophie peut suffire à dépasser le mystère que condense avec force cette interrogation sous forme de haïku japonais : « Je ne sais pourquoi j’aime ce monde dans lequel nous sommes venus mourir ».

Jean-Pierre, mon grand frère, adieu va ! Je ne serais pas ce que je suis sans toi, sans nos vécus communs, nos joies et peines. Celles, aussi, de la mort de nos parents. Et voilà que tu es parti, toi aussi.

Des mots, de la poésie, de la musique. Voici une chanson belle et profonde, pour toi, pour chacun :

Une mort douce

[audio:http://ponthieu.net/c-pour-dire/wp-content/1audio/06-D-une-Mort-Douce.mp3|titles=Bernard Haillant|autostart=no]

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

25 réflexions sur “Jean-Pierre, mon frère

  • Chaize Daniel

    Mon ami­tié, mon cher Gérard. Pour ce seul temps pré­sent qui est le nôtre. Je t’embrasse.
    Daniel.

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  • Dominique Dréan

    Bien sûr, il fal­lait en par­ler ! Surtout de cette façon. Oui, c’est un grand mys­tère, ces vies qui s’a­chèvent sans plus de rai­son qu’elles n’ont com­men­cé. Sais-tu que par­fois je culpa­bi­lise en voyant mes enfants – heu­reux pour­tant – en me deman­dant de quel droit je les ai « mis au monde » sachant que je les condam­nais à cette fin iné­luc­table dont on ne peut devi­ner la forme, douce ou épouvantable.
    Je pense aus­si aujourd’­hui à tous les parents et frères des Ukrainiens tués, enfon­cés dans le sol à coup de matraque par des sauvages.
    J’espère que ton frère a connu « une mort douce » comme celle que chante Bernard Haillant. Avoir le temps (c’est à dire pas trop!) et le bel envi­ron­ne­ment pour arri­ver dans la mort tout sim­ple­ment, c’est que je nous sou­haite à tous. J’ai conscience pour­tant que c’est un pri­vi­lège bien rare…

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  • Jean Paul

    Amitiés mon cher Gérard ; on pense à toi et à ta famille…

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  • Denis Guenneau

    Bonsoir Gérard,

    Bien sûr, je ne connais­sais pas ton frère, mais ton superbe texte m’a rap­pro­ché de lui, et de tous ceux qui ont cette conscience de notre bref pas­sage sur cette planète.

    Tôt ou tard, ce sera notre tour, et pour conti­nuer à exis­ter dans la socié­té humaine, je pense que nous devrions lais­ser une marque de notre pas­sage, sous une forme qui nous va bien.

    A bien­tôt

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  • Dominique Tournié

    Merci à toi pour ces beaux textes et cette poé­sie, sans frère et soeur, c’est un vide, mais perdre un frère, un gouffre…
    La vie est là, conti­nue d’en pro­fi­ter… A fond !

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  • Carl

    Très beau texte Gérard.
    Toute mon amitié.

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  • Sophie Chambon

    Mon cher Gérard,

    J’étais très émue à l’an­nonce sou­daine de la dis­pa­ri­tion de ton frère, alors que je me réjouis tou­jours quand j’a­per­çois dans mes mails un nou­vel article de « C’est pour dire ». Ton texte est grave et juste, il prête au recueille­ment, dignement.
    J’aime aus­si le haï­ku que tu cites même si je n’ar­rive pas à m’en persuader…
    Je t’embrasse de tout coeur.
    sophie

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  • MADYNE

    Mon cher Gérard
    je ne le connais­sais pas
    je te connais peu
    mais les larmes qui coulent à cet ins­tant sur mes joues me laissent entre­voir toute ton humanité
    j’ai­me­rais savoir le moment venu par­ler et écrire ain­si à ceux que j’aiment et qui partiront
    tu adou­cis la peur et la dou­leur par tes mots pleins de délicatesse
    je t’embrasse tout simplement

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  • François Ponthieu

    Tu me dis sou­vent qu’il faut savoir vivre l’ins­tant pré­sent, savoir l’ap­pré­cier avec un mini­mum de satis­fac­tion. En ce jour, la dis­pa­ri­tion de Jean-Pierre, ton grand frère aimé, me le confirme avec jus­tesse et humi­li­té. Le temps passe vite, trop vite, pour ne pas avoir envie de se sen­tir vivre et exis­ter, ne serait-ce qu’un jour de plus. Adieu à toi mon cher oncle.
    A toi Papa, ton fils qui t’aime.

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  • Dominique Couturier

    Un frère… 79 ans. Que dire ? Que la mort c’est tou­jours trop tôt, sur­tout celle des gens qu’on aime.
    Tes mots sont très justes.

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  • Hélène

    Toutes mes pen­sées ami­cales, Gérard…

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  • JCC

    Je ne le connais­sais pas mais tu l aimais c est suffisant
    Recois toute mon affec­tueuse sympathie
    Jean Claude

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  • Dany

    Cher Gérard,
    J’ai lu ton texte avec beau­coup d’émotions.
    Nos frères, nos soeurs nous ramènent tou­jours à notre enfance.
    Toute mon amitié.
    Dany

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  • BION

    Merci d’en avoir ain­si par­lé aux vivants (…)

    « Emporté par l’heure trop brève,
    Dans l’or du beau jour qui s’achève,
    La vie ne serait donc qu’un rêve. »

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  • agarrat

    mes trés sin­ceres condo­leances gerard dans ce moment que que je sens trés dur pour toi.
    et je découvre que c’é­tait un col­legue de france télécom.
    René

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  • Claude et Marina

    Tes mots reflètent tout l’a­mour que tu lui por­tais et nous par­ta­geons ta peine.
    Nous t’embrassons bien fort.
    Claude et Marina.

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  • Gian

    Fraternelles condo­léances, mon cher Gé !
    Dépose un peu de ta peine sur mon épaule, et dis-toi que nous avons la chance d’a­voir pas­sé le cap de Reich sans trop d’encombres…
    Cath me demande de te faire part de son ami­tié, elle qui sait ce qu’est l’a­mour d’un grand frère…
    Ton éloge m’a ému, et ras­sure-toi, il est tout en pudeur.
    Je t’embrasse très fort.

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  • titus

    mon cher Gerard

    ton texte est très beau.…ça te ressemble !
    toute mon affection.…Titus

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  • Ghislaine

    cher Gérard, je ne connais­sais pas ton frère mais tu m” en avais par­lé briè­ve­ment il y a quelques jours et j’a­vais sen­ti ta peine lorsque tu par­lais de son état de santé;le texte que tu as écrit pour lui rendre hom­mage est très tou­chant ; c’est magni­fique de pou­voir dire des choses pareilles pour ceux qu’on aime !
    je t’embrasse , Ghislaine

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  • vincent

    Quand un proche meurt, c’est un monde entier qui dis­pa­raît. A chaque fois c’est un immense trou qui déchire nos vies. Un trou que rien ne comble jamais. Tes mots rem­plis d’é­mo­tion nous vont droit au coeur. Mais, tous, y com­pris ceux qui sont par­tis, nous aimons ce monde parce qu’a­vant de mou­rir nous y vivons. Jean-Pierre aus­si devait l’ai­mer, ça se voit sur la photo.
    Condoléances et amitiés.
    Vincent

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  • morbelli Pierre

    Gérard,
    Beaucoup d’é­mo­tion et d’Amour avec un grand A trans­pa­raissent dans ta peine.
    Ta plume acé­rée, au sens noble de l’art a trans­cri ce mes­sage « fra­ter­nel » aux humains que nous sommes, puis­sant et sincère.
    Je t’a­dresse Gérard mes trés sin­cères Condoléances,
    avec mes frat amitiés
    Pierre

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  • didson

    Sincères condo­léances Gérard

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  • faber

    Tardivement, je me glisse dans le cor­tège des amis et me racle mal­adroi­te­ment la gorge. De tout cœur avec toi, mon cher Gérard. Toi et ta famille, bien sûr. La fran­gi­tude, c’est quelque chose, plus fort que la mort. Ce soir, ton Jean-Pierre devient Le fran­gin de tout le monde, sans le connaitre vla qu’il nous manque à tous. Tu le fais vivre Gérard, c’est beau.

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