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Sur l’idéologie du “Progrès” comme facteur de régression

  • Le « nouveau capitalisme », le « capitalisme cognitif » lié à l’économie numérique et à tous les chamboulements actuels et plus encore à venir, semble postuler la pérennité dudit capitalisme, c’est-à-dire de l’accumulation des richesses par le plus petit nombre.

[dropcap]Tandis[/dropcap] que les pays se déchirent, entre eux et en eux-mêmes ; que les pauvres s’entretuent comme jamais, manœuvrés comme des marionnettes rattachées à leurs dieux stupides, meurtriers et manipulateurs – autant dire automanipulées – une nouvelle oligarchie met en place son club fermé, de plus en plus restreint, englobant les nouveaux mécanismes de l’information, au sens général, prenant le contrôle absolutiste des réseaux et, par delà, des richesses qu’ils canalisent.

Google, Amazon, Facebook, Twitter, Apple et autres happy few, de plus en plus « happy » et « few », ont déjà amplement tissé le réseau d’un capitalisme totalitaire, car tout bonnement totalisant, jusqu’au « total » du tiroir-caisse, aboutissement comptable à base d’additions et de multiplications, laissant aux « autres » – les laissés pour compte – le soin de se chamailler autour des restes : divisions et soustractions.

Test de connaissances utiles et modernes
Test de connaissances utiles et modernes

Cette nouvelle domination, cependant, engendre (peut-être sans trop le savoir, ou en voulant l’ignorer, dans la griserie de la jouissance immédiate et apparemment infinie) sa propre limitation par l’excès et la cupidité sans bornes. Son ignorance de l’Histoire, variante de son ignorance princeps – la banque n’est pas une bibliothèque, on n’y trouve que des livres de comptes –, son culte de la « prospective » le frappe d’amnésie, cette perte de mémoire, porte ouverte au déni. Encore que dénier suppose le rejet d’une réalité tout de même, un tant soit peu, perçue. Et il n’est pas sûr que les scénaristes du futur capitalistique possèdent assez de culture historique et scientifique – sciences exactes et sciences humaines – pour entrevoir les limites de leur imperium.

Comme les empires anciens de Chine, de Perse, de Rome et d’autres ils sont voués à la disparition, dans un même aveuglement et sans doute dans l’incompréhension de leurs empereurs. Seuls des sages auront tenté d’apporter leurs lumières, les Confucius, Héraclite, Sénèque… et leurs paroles inécoutées.

À l’œuvre dans le pillage mortifère de la planète, les néo-capitalistes menacent les espèces vivantes, à commencer par l’humaine. Dans ce but, ils se sont approprié, non pas les savoirs ni les sciences, mais leurs applications vulgaires, immédiates, monnayables, rentables, celles qui nourrissent ce qu’on appelle le « Progrès » et qui correspond en fait à la marchandisation des techniques, ce qu’on regroupe sous le mot « technologie ».

Ce nouveau capitalisme, ixième variante temporelle du Capitalisme premier, se caractérise par une audace également nouvelle : une sorte de négationnisme de ses limites. Telle est d’ailleurs là sa limite, peut-être son talon d’Achille. En tout cas, pour rester dans la mythologie, sa malédiction à la Sisyphe : devoir rouler son rocher indéfiniment. Mais à la différence du mythe, le « progrès » a une fin, une limite. Cette prise de conscience situe l’origine de la pensée écologique, la remise en cause dudit progrès, le questionnement sur la finalité de l’activité humaine – de l’économie. En ce sens la fin du Progrès vulgaire pourrait annoncer l’émergence du progrès vrai d’une humanité réconciliée avec elle-même et la nature.

Tout un pan de la « pensée moderne » s’est bâtie autour du dogme du progrès infini, intégré dans les consciences formatées depuis l’école, statufié dans la vulgate dominante. « On n’arrête pas le progrès » répète le dicton (populaire…) À quoi un Alexandre Vialatte, pris dans un embouteillage, répliquait, définitif : « Il s’arrête tout seul. »

Pour contrer cette évidence (déniée par les premiers intéressés), deux parades ont été dépêchées au front du combat capitaliste : l’innovation et l’obsolescence, sœurs jumelles dans l’illusionnisme. Une savoureuse expression québécoise désamorce assez bien la chose en parlant du benêt qui aurait inventé « le bouton à quatre trous ». Gillette en est à un rasoir à cinq lames (bientôt six, etc.) ! Apple à son iPhone 6… Microsoft à son système 8, etc. Sans dénier l’existence de tout progrès, il s’agit de le considérer à sa valeur relative. Entre le premier et le dernier iPhone, il y a davantage de couches de marketing cosmétique que d’améliorations utiles à la fonction d’un téléphone. Il y a surtout l’épaisseur du profit généré par l’aliénation à un objet « culte » rendu indispensable à la panoplie narcissique de l’ « homme moderne ».

L’obsolescence programmée complète cette course éperdue à la dérision « progressiste » en hâtant l’usure artificielle des choses. Il s’agit de rendre la camelote encore plus camelote. Voilà le vrai progrès ! Lequel n’est cependant possible qu’avec la complicité active des politiciens, acteurs tout aussi manipulés, plus ou moins consentants, de cette « pensée » dominante, cette doxa comme disent les instruits. Un dogme relayé au plan séculier par la religion de la croissance. Un paganisme qui concubine fort étroitement avec les monothéismes concurrents en même temps que complémentaires – voyons comme ils se serrent les coudes face aux hérétiques ! Il ne s’agirait pas de laisser croire que toute religion concourt au fanatisme. Cependant que l’Histoire en témoigne abondamment, au gré des circonstances.

En religion politique, il ne s’agirait pas non plus de laisser croire à ses officiants que des alternatives sont possibles, peut-être même déjà en marche. Pourtant le « Progrès », on peut bien changer sa direction, lui refuser l’impasse catastrophique, détourner son regard des illusions suicidaires. Comme la vie, l’histoire des hommes est cyclique. Au prix de crises – nous sommes bien en plein dans LA crise, majeure, humaine, civilisationnelle. Nous touchons le fond – jusqu’au dérèglement climatique, somme et conséquence de tous les dérèglements : économiques, sociaux, moraux, éthiques, spirituels, sexuels.

Trop d'injusticeDes rebellions s’annoncent, possibles, probables, inévitables – selon le degré d’optimisme (ou de pessimisme). Des révolutions aussi sont prévisibles – selon la mécanique des cycles, les flux et les reflux, les capacités de résistance humaine au « trop ». Trop d’injustice, de violence, d’ignorance, d’obscurantisme, d’arrogance, de cupidité, de mépris, de négation du vivant et de l’intelligence.

Le Capitalisme a cru avoir triomphé de l’Histoire – au point d’en avoir proclamé la fin, avec la chute du Communisme. Il a sombré dans le huitième péché capital – c’est le cas de le dire : la domination arrogante, sans voir s’ériger un autre Mur devant lui, aveuglé par son triomphe d’opérette, cette autre muraille monstrueuse qu’il aura en grande partie générée, celle du bloc arabo-musulman. Où l’on se retrouve projetés dans les guerres de religion – quoi qu’on en dise – en ses multiples dimensions : intra-communautaires (entre les différentes branches de l’islam), inter-religieuses (les monothéismes) et inter-culturelles (pour éviter le terme de « civilisation », trop connoté, et relever l’autre imperium culturel et marchand de l’Occident).

Mais pour autant, ces soubresauts à venir (à appeler ou à redouter) tendront à la convergence conflictuelle des forces à l’œuvre aujourd’hui, dans des conflits décuplés et généralisés. La révolution numérique en cours concentre en elle-même les dimensions technologiques et politiques qui risquent de s’anéantir par neutralisation réciproque dans le chaos général – ou même dans l’apocalypse, au sens biblique de « révélation » ; et également aux relents messianiques relayés par une partie des écologistes. La dématérialisation de nombreux supports et services, de fonctions et de métiers concourt à l’aggravation de la Crise qui, à son tour, oppose l’individu au collectif, dénature la notion de Bien commun, déstructure l’édifice politique, surtout démocratique, en favorisant populismes, extrémismes, fanatismes.

Où l’on réalise à quel point l’idée de Progrès – non pas le progrès lui-même, bien sûr, mais son idéologie – a pu être néfaste au … progrès humain. Notamment en ce sens que jusqu’à Darwin (et d’ailleurs encore de nos jours !) l’Homme, « créature de Dieu », s’est cru au sommet de l’évolution et à ce titre doté de tous les pouvoirs de domination sur la nature, sur les animaux et même sur ses propres congénères, au nom de ses valeurs hiérarchiques !

C’est encore l’idée de Progrès qui, jusqu’à nos jours, postule que l’Histoire a un sens, que chacun s’assure du sien selon ses notions du Bien ou du Mal, et que de ces évidences indiscutables, peuvent naître et prospérer tous ces prophètes de Malheur-Bonheur, selon le prix en souffrances que chacun paiera ici-bas pour les promesses éternelles du Nirvana !

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

13 réflexions sur “Sur l’idéologie du “Progrès” comme facteur de régression

  • Tu avais raison de nous prévenir c’est fort long.

    Je ne me risquerai pas à te contredire… bien que je ne partage pas forcément ton point de vue dans bien des domaines mais quand même, qui sont les utilisateurs des services et produits de Google, Ama­zon, Face­book, Twit­ter, Apple… nous bien sûr, toi aussi.

    Pour commencer, c’est le plus facile, n’achetons plus Apple, les raisons sont multiples mais pour moi la première c’est qu’un société qui fait des bénéfices à hauteur de 30 ou 40 % de son chiffre d’affaires prend ses clients pour des pigeons… et tu y contribues.

    Pour Google il y aussi des alternatives bien que ce soit un peu plus compliqué, pour cela tu peux lire Dégooglisons Internet : notre (modeste) plan de libération du monde.

    Amitiés

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    • Certes, on peut et on doit résister, mais ça restera individuel face aux rouleaux compresseurs à visée monopolistique. Les résistants de la marge, à la limite, ça les arrange, les dédouanant de leurs positions dominantes. Relevons, dans le cas d’Apple, son histoire : celle de deux gamins qui bricolent dans un garage un ordi différent, pensé comme on dirait aujourd’hui à l’usage des nuls. Petite révolution. Puis (évolution capitalistique type, comme je tente de le montrer dans mon papier) David devient Goliath. Maintenant Apple, Microsoft et quelques autres se partagent le gâteau. Je continue avec la pomme, qui reste de qualité, mais sans dévotion de marque ! Je pense assez de mal des sectes !
      Merci et amitiés aussi.

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  • faber

    Est-il possible de s’élever à ce point vers le bas ? T’es un bon Ponthieu. Une miette de Nobel serait bienvenue pour ta pomme. Nobel du brave type, Nobel du frangin, Nobel du mec debout qui surtout n’attend par le tram. Je te le décerne entre potes sans micro ni caméra. Je te décore d’une rondelle de fuseau lorrain, tiens. Mais nous jouons dans d’autres zones, friches, jardins, ruelles, chemins pas toujours fastoches, surtout à vélo ou à pinces, les petites routes de l’âme je veux dire, loin des autoroutes de la pensée. Yark !

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    • Qu’est-ce qui vaut mieux : un Faber du Père Noël, ou un Nobel du Père Faber ? J’hésite… allez, je prends les deux ! Modiano va faire la gueule.

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  • Vincent

    Analyse, contexte, perspective : tout y est pour aider à penser le monde autre. C’est déjà bien, à défaut de “solutions”, par ailleurs impossibles, enfin à chercher en commun, pas en recettes toutes emballées. Merci

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  • J’ai longtemps pensé que le facteur humain consistait en l’objet comme élément tiers de la communication ; et que la maladie est de vouloir absolument garder pour soi seul cet objet.

    Mais aujourd’hui, ce qui faisait cet humain en le réalisant dans sa plus grande imperfection (avez-vous vu la nature “parfaite” un jour quelque part ? Moi, non) alors qu’il détient un excellent moyen de communication (tels que la parole et l’écriture, par exemple) voilà que cet objet domine même la communication et qu’il devient indispensable pour que la relation entre personne s’efface devant lui pour n’être plus que cette relation.

    Hé bé c’est en cela que je dis que cet humain a régressé. Cette régression est certes inouïe et inédite (et donc comparable à rien d’antérieur) et il va nous falloir un sacré courage pour remettre en cause ce qui nous sépare pour nous en séparer afin de nous retrouver, en mieux.

    Techniquement, la technique n’est qu’une simple perfection d’elle-même, comme un système d’exploitation se succède à lui-même. Mais ce n’est pas là que nous devons nous cloisonner, car cette technique n’apporte que de la solitude et ce qui fait notre âme, est précisément que nous ne nous sentions jamais seul.

    Le Capitalisme l’a bien compris en nous emprisonnant dans des objets qui n’ont d’autre prix que notre âme (Héraclite : ce qu’on désire s’achète à prix d’âme) pour que nous oublions que nous en possédons une et qu’elle est liée à autrui comme l’eau au poison. Et cette liaison n’est pas de séparation, mais de collaboration, de bon-soi, pour le moins.

    Ce qui nous rend imbéciles, la marchandise (dont la force de travail est la princeps et qui est vendue en temps d’usure), possède toutes les vertus de la séparation, c’est à dire le malheur humain. Le progrès n’est que le progrès de son emprise sur nos âmes, une peu comme des poux sur une chevelure mal entretenue, qui manque de fraîcheur.

    Je n’ai pas d’autres solutions, désolé.

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  • Gian

    Excellent.
    Des rebellions s’annoncent, voire des révolutions. A évaluer à l’aune de son humeur, pessimiste ou optimiste, certes. Mais sous nos latitudes, avec un tel degré d’atomisation des individus, y a-t-il la moindre perspective d’agrégation nécessaire et suffisante pour bouleverser le cours du “progrès” ? Et notre avenir grégaire local n’est-il pas plutôt du côté des milices que Marine instituera pour aller rosser la racaille ? Et à l’échelle de la planète et de son pullulement de viande humaine, quoi d’autre qu’un vaste chaos – bien amorcé, et manifestemenr irréversible – pour contrer cette machine capitalistique automatisée sur laquelle plus personne n’a prise, que ce soient les marionnettes politiques ou les pantins financiers ?

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    • Merci. Un point que tu abordes heureusement, et que j’ai mis de côté dans mon jus déjà assez longuet : la question démographique ; elle est évidemment cruciale, sinon primordiale. Puisqu’elle conditionne économie & écologie, avec tous les conflits qui en découlent. On ne sait plus par quel bout s’y prendre… ni même s’il faut tenter de s’y prendre, ainsi que tu questionnes.

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  • Gian

    La définition des feuilles d’arbres n’est pas excellente, mais j’avance (de G à D et de H en B) : Genévrier (?), Robinier (Faux Acacia), Chêne (rouvre), Cerisier, Bouleau, Erable (du Canada), Laurier (?), Frêne.
    Réponse souhaitée.

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    • Gérard Ponthieu

      Respect ! On dirait que t’as bon partout, mais doute sur le 1… Romarin ?

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