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La gitane et le gadjo. C’était mon jour, c’était surtout le sien

Ce matin une vieille gitane en longue robe noire m’a fait les poches ; ça devait être écrit dans les lignes de sa main. Venue vers moi pour la manche, elle est repartie avec 50 euros tout neufs, ma carte bancaire, celle des transports et la troisième des musées. L’artiste a disparu tout aussi vite que je m’apercevais de la manœuvre ; j’ai eu beau arpenter la zone du délit : nib, degun !

Là-dessus, aller raconter mes déboires au commissariat, y poireauter une heure avant d’apprendre qu’on pouvait se plaindre sur internet. (On peut tout sur internet, même se faire vider les poches de son compte en banque.) Ce qui m’a pris une bonne demi-heure au clavier – j’imagine les béotiens du oueb, comme dans la séquence du film de Ken Loach, Daniel, je ne sais plus…

Je venais d’acheter ma daurade du vendredi – soit 4 euros, à 12 le kilo ; de quoi je déduisis qu’elle devrait peser 333 grammes. Hmm… Mais sur le Vieux port, à Marseille, on chipote pas.

Fauché comme les blés d’automne, pas le moindre centime en poche, remontant à pied vers ma Bonne mère, creusé par tant d’émotions, je tente une halte place aux Huiles pour m’envoyer un aïoli et une petite mousse sous le soleil. Re nib : plus aucun gargotier n’accepte ici de chèque ! (Car il me restait encore ce recours aussi démodé que démonétisé).

Parvenu, si j’ose dire, à ma banque du coin pour tenter un ravitaillement sonnant, etc. Je me fais dire par la guichetière au large sourire que non, pas l’après-midi les sous-sous, seulement le matin. Comme dirait Raymond à Huguette : « On va pas vers le beau ma poule ! »[ref]Seuls les accros télé à Scènes de ménage comprendront…[/ref]

Je termine mon ascension pedibus (obligé : pas un euro, pas de carte de bus et, de toute façon, pas de bus non plus : grève.) Il n’aurait plus manqué que je perdisse mes clés. J’avais seulement « perdu » mon porte-monnaie, mon temps, et aussi mon appétit. Si ça pouvait me rendre plus svelte. La daurade attendra ce soir. Et ce soir, ma vieille gitane lèvera son verre à la santé du couillon de gadjo[ref]Homme qui n'appartient pas à l'ethnie des Gitans ;  gadgé ou gadgie pour une femme.[/ref] à la poche garnie. Bah! je lui dois quand même ces quelques lignes qui me renvoient à Brassens et ses magnifiques Stances à un cambrioleur… L'élégance du poète, jusque dans son avertissement : « Ne te crois pas du tout tenu de revenir / Ta moindre récidive abolirait le charme / Laisse-moi je t'en prie, sur un bon souvenir ». Une élégance que je ne suis pas sûr de faire mienne si je croise à nouveau la dame en noir… N'est pas poète qui veut.

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

12 réflexions sur “La gitane et le gadjo. C’était mon jour, c’était surtout le sien

  • Les poches dégar­nies, c’est la vraie nudi­té. Celle qui n’a rien d’érotique !
    Je t’in­vite au res­to, coin Maisonneuve et Saint-Laurent…

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  • Bernard Nantet

    Celui qui n’a plus rien n’est pas celui qui n’est rien. Mais un petit rien pour prendre un p’tit noir ou un grand blanc sec, ce n’est pas rien … pour remon­ter la côte. Mais pour­quoi diable pré­fé­rer les gitanes aux Gauloises !

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    • Alors là, tu vas loin dans l’al­ti­tude. J’évoquais Brassens, toi c’est Devos ! Respect.

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  • Faber

    Ton billet, cher Ponthieu, vaut plus de 50 balles. Bravo à l’in­for­tu­né, riche du cœur surtout.

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  • Dubreuil

    Belle fable, ou tout comme. Des his­toires de pick­po­cket ça ins­pire des récits et celui ci est sacré­ment inspiré !

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  • Bernadette Topart

    Bah c’est le tri­bu que les nan­tis que nous sommes doivent par­fois aux pauvres mendiants.
    Mais quel beau texte la gueuse nous a offert par ton talent !

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  • Le Jo

    Quel beau récit ! Et quelle morale ! Coïncidence : je sors de voir The Square, l’his­toire d’un mec qui res­sort trans­for­mé après s’être fait piquer son por­table et son por­te­feuille. Je veux pas te dire la bonne aven­ture, mon Gé, mais quand même : ça devrait mieux se pas­ser pour toi dans les jours qui viennent…

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  • jjackie

    Il m’est arri­vé la même aven­ture devant le centre bourse. je venais de tirer du liquide.. Je pense que c’est là qu’ils repèrent où nous met­tons billets et carte…

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  • jjackie

    inter­rom­pue par le tel… Je vou­lais juste pré­ci­ser que moi c’est une chan­son que mon papa inter­pré­tait en voi­ture lors­qu’il condui­sait qui m’est reve­nue … Bohémienne aux grands yeux noirs ..Tes che­veux cou­leur du soir Et l’é­clat de ta peau brune
    Sont plus beaux qu’un clair de lune… Je sup­pose qu’il m’a ain­si don­né les pre­mières notions de tolérance…

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  • Jean-François HEROUARD

    L’élégance, mon Gé, va jus­qu’à se nicher dans un sub­jonc­tif : « il n’au­rait plus man­qué que je per­disse mes clés ». Bel exemple de cor­res­pon­dance des temps, jus­te­ment évo­quée dans ton titre.
    J’ai connu la même mésa­ven­ture à Prague, juste après avoir reti­ré de l’argent au DAB (pas le mien, qui n’en avait pas beau­coup), ce n’est pas une vieille qui est venue à moi, mais une bande de jeunes filles fofolles, pouf­fant de rire, moi les jf, hein, tu me connais. Elles m’ont entou­ré avec quelques pas de danse, l’une d’elle m’a enla­cé comme pour une valse, et pfuitt elles se sont envo­lées comme étour­neaux. Je ne m’en suis ren­du compte qu’au res­to. Heureusement j’a­vais mis le gros de l’argent dans ma poche de poi­trine à fer­me­ture éclair.

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