ActualitéAfrique(s)Dessin de Faber

Ce que nous dit aussi la révolution tunisienne

Comme pour l’avenir, on ne sait prédire les révolutions. Au mieux peut-on les pressentir par quelques signes avant-coureurs, quelques alertes. La tunisienne nous aura bien pris de court. Tellement qu’elle n’en finit pas de nous interroger sur notre aveuglement général, ainsi que sur celui des analystes plus ou moins patentés. Sa survenue nous interpelle, comme on dit, en ce sens tout particulier qu’elle indique la fragilité de ce qu’on prend facilement pour des « équilibres » socio-politiques.

tunisie-revolution-petit.1295459150

Dessin-édito de faber ©

Un demi-siècle de post-colonialisme – avec ce qui précède donc –, n’aura guère résisté à cet embrasement à dominante pacifique et à si haute détermination qu’une dictature se sera effondrée en moins d’un mois. Et c’est bien ce caractère apparemment spontané, aux causes quasi mystérieuses – vu de cet aveuglement sourd des « élites » – qui ne cesse d’inquiéter toute la sphère politique, au plan mondial d’ailleurs, partout où prédominent le néo-impérialisme de la macro-économie et de la finance en folie. Quand « un » directeur du FMI, grand oracle à prétention pontifiante, décerne à la Tunisie son brevet de « bonne santé », c’est bien à cause d’une vision autistement « macro » (c’est tentant : comment ne pas penser « maquereau de la finance » ?).

Quand Dominique Strauss-Kahn voit en la Tunisie « un modèle pour les pays émergents », il ne distingue pas plus loin que son écran d’ordinateur, c'est-à-dire le bout de son nez [à TV7-Tunisie, 18 novembre 2008]. Pas plus que la carte n’est le territoire, les statistiques ne reflètent la réalité vécue du quotidien des pauvres gens. D’ailleurs les chiffres les ignorent superbement, ne considérant sous leurs courbes et tableaux que flux, tendances et compagnie. De ce seul point de vue, la mort par le désespoir et le feu du jeune Mohamed Bouazizi n’aurait jamais dû croiser la courbe exponentielle de croissance des clans Ben Ali-Trabelsi. C’est ce qu’on appelle un « accident » de l’Histoire – qui en est pleine, de ces accidents…

Quand deux journalistes du Monde rejoignent par leur aveuglement le dogme des modèles dominants, ça donne un article époustouflant de bêtise – pour rester poli. [Tout l'article en PDF]. Je l’avais mis de côté, tandis que semble surgir l’heure de sa deuxième vie. Le 16 septembre dernier donc, Florence Beaugé et Alain Faujas co-signaient un papier titré « L'Afrique bien partie pour prendre son envol ». En voici le premier paragraphe : « L'afro-pessimisme est en train de prendre un coup de vieux, car les cabinets de conseil et d'études, tout comme les investisseurs - et pas seulement asiatiques ou brésiliens -, découvrent, les uns après les autres, que l'Afrique est devenue un continent d'opportunités promis à un développement rapide. Les statistiques du Fonds monétaire international (FMI) disent que de 2000 à 2009 son taux de croissance annuel a atteint, en moyenne, 5,1 %, malgré une année 2009 médiocre (+2,5 %). »

Il en est de certains journalistes comme des sbires du FMI ou des « agenciers de notation » : des sous-espèces de fonctionnaires ignorant tout des réalités du « terrain » – où ils se gardent bien de s’aventurer. Pas plus que « DSK » et Mohamed Bouazizi ne risquaient de se rencontrer, les 5,1% de croissance n’auraient dû croiser la misère sur les marchés de Tunis. C’est bien ce qui devrait foutre les jetons aux économiste « macro », de même qu’aux journalistes également « macro » si prompts à répéter ce que leur dictent les premiers. Échantillon tiré du même article : « […] En effet, les gouvernements africains ont su conduire un assainissement douloureux dans les années 1990 pour réduire leurs déficits et privatiser leurs entreprises publiques. » Un assainissement douloureux !

Encore un morceau de bravoure : « Une autre raison à ce palmarès tient "aux évolutions sociales et démographiques, en particulier l'élargissement du marché du travail, l'urbanisation et l'émergence concomitante des classes moyennes". En 1980, 28 % des Africains vivaient en ville. En 2030, la proportion passera à 50 %. " Cette transition n'est pas une garantie de croissance, souligne M. Tazi-Riffi [auteur d’une étude commandée par McKinsey Global Institute], mais un vivier de croissance. "

Quand on sait à quoi correspond le fait de « vivre » dans les mégalopoles d’Afrique… pour cause d’agriculture ruinée, entre autres par les exportations du Nord !… Bref.

Voilà pourquoi, entre autres, la révolution tunisienne est si importante pour nous-mêmes, de l’autre côté de la Méditerranée – et d’ailleurs partout dans le monde, de Washington à Pékin, de Moscou à Rio, et aussi de Tunis à La Havane [je reviendrai sur ce raccourci]. Parce que cette révolution, tout bonnement, replace l’Homme au cœur de la vie en ce bas monde, remet les pendules à l’heure – si on veut bien recaler à leur juste hiérarchie les valeurs de notre humanité. Si on veut bien en finir avec le mortifère "toujours plus" qui ignore le bien commun, la solidarité, la ftarernité. Tel est bien d’ailleurs le sens de l’« Indignez-vous ! » de Stéphane Hessel et auquel répond comme en écho le peuple tunisien.

C’est donc bien d’une révolution qu’il s’agit, en ce sens qu’elle nous apporte aussi une autre vision de l’Histoire et du monde – ou du moins une vision renouvelée après des décennies de torpeur néolibérale et de diabolisation islamiste. Sur ce dernier point, ne soyons pas pour autant angéliques – si j’ose dire… Même si Allah s’est fait discret jusqu’ici dans les rue de Tunis et du pays, ses bandes fanatiques ne manqueront pas de menacer le moment venu. C’est une autre loi de l’Histoire. Elle concerne aussi la horde des « justiciers », la Terreur, les purges et pseudo procès.

Aux forces démocratiques et laïques de se prémunir de ces terribles périls. A nous autres aussi, épris des mêmes idéaux, d’organiser notre solidarité en conséquence. Non, la mondialisation n’est pas qu’économique !

Partager

6 réflexions sur “Ce que nous dit aussi la révolution tunisienne

  • Pipeau

    C’est aus­si qu’au pays des aveugles les borgnes sont rois. donc les révo­lu­tions avancent mas­quées avant de sur­gir au coin du bois. tou le monde doit en prendre de la graine (d’a­nar)…

    Répondre
  • faber

    Mais oui ! Cette révo­lu­tion, c’est un coup de pied dans les choses et sur­tout dans l’ordre des choses. Un coup de pied dans la cal­cu­lette du monde. C’est étrange – naïf pour­quoi pas – de pen­ser que la révo­lu­tion tuni­sienne, le livret de Stéphane Hessel, les manifs en Belgitude, nos rires du same­di soir, pen­ser que tout cela est en lien et pour­tant. Je le vis comme ça. Quelque chose est pos­sible qui ne relève pas d’un plan comp­table. La parole est revenue.

    Répondre
  • BION

    « Voilà pour­quoi, entre autres, la révo­lu­tion tuni­sienne est si impor­tante pour nous-mêmes » :

    Pour nous ?
    Nous, on fait les soldes …

    Répondre
    • Henri

      Parle pour toi ! 😉 Et n’ou­blions pas que nous avons aus­si à sol­der cinq ans de ben Sartko…

      Répondre
  • Vincent Boucault

    Cette révo­lu­tion me rap­pelle qu’en novembre 2000, j’é­tais pas­sé par la Tunisie pour rejoindre, depuis Djerba, la Libye lors d’un voyage orga­ni­sé. Etait-ce une période pré­élec­to­rale ? J’avais été frap­pé par la den­si­té des affiches à la gloire de Ben Ali : une inva­sion. Bien plus qu’en Libye pour Khadafi.

    Répondre
  • Chibani

    Le Monde n’est pas le seul :

    J’étais au Maroc pen­dant cette révo­lu­tion. Les jour­naux étant extrê­me­ment dis­crets sur les évé­ne­ments de Tunisie – y com­pris le pâle « Libération » local- j’ai ache­té mar­di le « Libé » Français de la veille. Le jour­nal était plié et j’ai eu en l’ou­vrant un double choc : le plai­sir d’une « une » plu­tôt réus­sie (à qui le tour ? avec la pho­to bar­rée de Ben Ali et celles des sui­vants pos­sibles, Moubarak, Bouteflika, Kadhafi, al-Assad, Abdallah II), mais aus­si la gêne de ce qui pou­vait pas­ser pour une pro­vo­ca­tion aux yeux de cer­tains Marocains.
    Tu parles ! les per­sonnes pré­sentes dans la bou­tique se sont pré­ci­pi­tées là des­sus comme la vérole sur le bas cler­gé, ont bien rigo­lé et se sont éton­nées que leur monarque bien aimé ne figure pas sur la liste.

    C’est vrai que « sa majes­té » devrait prendre de temps en temps les petits taxis. Les chauf­feurs énu­mèrent main­te­nant ce qu’ils consi­dèrent comme des injus­tices avec une totale liber­té. Les guides, du Routard et autres, peuvent ren­gai­ner leurs recom­man­da­tions de dis­cré­tion sur les sujets poli­tiques. Si vous ne les abor­dez pas, on les abor­de­ra pour vous.

    Reste cette ques­tion, pour­quoi pas le Maroc et pour­quoi la Jordanie ? Je ne veux pas croire que c’est une tri­viale ques­tion de rési­dences secon­daires… peut être sim­ple­ment un pro­blème de mise en page, Six por­traits c’est plus facile à caser que sept !

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Translate »