Afrique(s)

Cessez de vouloir « sauver » l’Afrique !

L'humanitarisme "sexy" en vogue sert le paternalisme colonial et le sentiment de supériorité culturelle des Occidentaux. Tel est le thème de cette tribune de l'écrivain nigérian Uzodinma Iweala, parue dans Le Monde du 28.07.07.

 

« A l'automne 2006, peu après mon retour du Nigeria, je fus interpellé par une blonde et guillerette étudiante dont les yeux bleus paraissaient assortis aux perles du bracelet "africain" qu'elle portait au poignet. "Sauvez le Darfour !", criait-elle derrière une table couverte de brochures exhortant les étudiants à "agir tout de suite !", à "arrêter le génocide au Darfour !". Mon aversion à l'égard de ces étudiants qui s'impliquent à corps perdu dans des causes à la mode faillit me faire tourner les talons, mais le cri qu'elle jeta ensuite m'immobilisa.

« "Vous ne voulez donc pas nous aider à sauver l'Afrique ?", hurla-t-elle.

Il semblerait que depuis quelque temps, rongé de culpabilité par la crise humanitaire qu'il a provoquée au Moyen-Orient, l'Occident se tourne vers l'Afrique pour y chercher la rédemption. Des étudiants idéalistes, des célébrités comme Bob Geldof et des politiciens comme Tony Blair se sont fixé pour mission d'apporter la lumière au continent noir. Ils arrivent en avion pour effectuer un internat ou participer à une mission d'enquête, ou encore pour adopter un enfant, un peu comme mes amis et moi, à New York, prenons le métro pour aller adopter un chien abandonné à la fourrière.

C'est la nouvelle image que veut se donner l'Occident : une génération sexy et politiquement active dont la méthode préférée pour faire passer son message est de publier de pleines pages de magazines avec des célébrités au premier plan et de pauvres Africains déshérités derrière. Et tant pis si bien souvent les stars dépêchées pour secourir les indigènes ont un air délibérément aussi émacié que ceux qu'elles veulent aider.

Mais ce qui est peut-être plus intéressant encore, c'est le langage employé pour décrire l'Afrique que l'on entend sauver. Par exemple, la campagne lancée par l'association Save the Children, intitulée "I am African", présente des portraits de célébrités occidentales majoritairement blanches avec des "marques tribales" peintes sur le visage au-dessus du slogan I am African imprimé en grosses capitales. Dessous, en lettres plus petites, apparaît la phrase : "Aidez-nous à arrêter l'hécatombe."

Même bien intentionnées, ces campagnes propagent le stéréotype d'une Afrique qui serait un trou noir de maladie et de mort. Articles et reportages ne cessent d'évoquer les dirigeants africains corrompus, les seigneurs de guerre, les conflits "tribaux", les enfants exploités, les femmes maltraitées et victimes de mutilation génitale. Ces descriptions apparaissent sous des titres tels que "Bono peut-il sauver l'Afrique ?" ou "Les Brangelina parviendront-ils à sauver l'Afrique ?" La relation entre l'Afrique et l'Occident n'est plus fondée sur des préjugés ouvertement racistes, mais de tels articles rappellent les beaux jours du colonialisme européen, quand on envoyait des missionnaires en Afrique pour nous apporter l'éducation, Jésus-Christ et la "civilisation".

Tout Africain, moi compris, ne peut que se réjouir de l'aide que nous apporte le monde, mais cela ne nous empêche pas de nous demander si cette aide est vraiment sincère ou si elle est faite dans l'idée d'affirmer sa supériorité culturelle. Je ressens toujours un certain malaise lorsque, dans une soirée caritative, l'organisateur récite une litanie de désastres africains avant de faire monter sur scène une personne (généralement) riche et blanche qui s'empresse d'exposer ce qu'il ou elle a fait pour les pauvres Africains affamés.

Chaque fois qu'une étudiante pourtant sincère évoque les villageois qui ont dansé pour la remercier de son aide, je fais la grimace. Chaque fois qu'un réalisateur hollywoodien tourne un film sur l'Afrique dont le héros est occidental, je secoue la tête - parce que les Africains, alors que nous sommes des personnes bien réelles, ne font que servir de faire-valoir à l'image fantasmée qu'a l'Occident de lui-même. Et non seulement de telles descriptions ont tendance à ignorer le rôle parfois essentiel qu'a joué l'Occident dans la genèse de nombreuses situations déplorables dont souffre le continent, mais elles ignorent également le travail incroyable qu'ont accompli et que continuent à accomplir les Africains eux-mêmes pour résoudre ces problèmes.

Pourquoi les médias persistent-ils à dire que les pays africains se sont vu "accorder l'indépendance par leurs anciens maîtres coloniaux", et non qu'ils ont combattu et versé leur sang pour obtenir leur liberté ? Pourquoi Angelina Jolie et Bono bénéficient-ils de toute l'attention médiatique pour leur travail en Afrique alors que Nwankwo Kanu ou Dikembe Mutombo, tous deux africains, ne sont pratiquement jamais mentionnés ? Comment se fait-il que l'on s'intéresse plus aux bouffonneries de cow-boy auxquelles se livre un ancien diplomate américain de second rang au Soudan qu'aux nombreux pays africains qui y ont envoyé troupes et vivres et ont consacré d'interminables heures à négocier un règlement entre toutes les parties impliquées dans cette crise ?

Il y a deux ans, j'ai travaillé dans un camp de personnes déplacées au Nigeria, les survivants d'un soulèvement qui avait entraîné la mort de 1 000 personnes et le déplacement de 200 000 autres. Fidèles à leur habitude, les médias occidentaux parlèrent longuement des violences, mais pas du travail humanitaire que les autorités locales et nationales accomplirent - avec très peu d'aide internationale - en faveur des survivants. Des travailleurs sociaux ont consacré leur temps et, dans de nombreux cas, donné leur propre salaire afin de venir en aide à leurs compatriotes. Ce sont eux qui sauvent l'Afrique, et, de même que pour beaucoup d'autres à travers le continent, leur travail ne trouve aucun crédit à l'extérieur.

Le mois dernier, le groupe des huit pays les plus industrialisés s'est réuni en Allemagne avec une brochette de célébrités afin de discuter, entre autres sujets, de la façon de sauver l'Afrique. J'espère qu'avant le prochain sommet du G8 le monde aura enfin compris que l'Afrique ne veut pas être sauvée. L'Afrique veut que le monde reconnaisse qu'au travers de partenariats équitables avec d'autres membres de la communauté internationale elle sera elle-même capable d'une croissance sans précédent.

Traduit de l'anglais par Gilles Berton

© 2007

LE MONDE | 28.07.07

© Le Monde.fr

Partager

Une réflexion sur “Cessez de vouloir « sauver » l’Afrique !

  • Regis AMARO

    TRISTESSE AU BLED ET TRISTE D’ETRE DE CE BLED

    Je pose le domaine de défi­ni­tion de ce papier. Je trouve utile de pré­ci­ser que ma démarche, n’a pour but, que le besoin et le sou­ci de voir le Congo avan­cer et atteindre un niveau de déve­lop­pe­ment appré­ciable. Je veux le Congo enfin sur les rails du déve­lop­pe­ment, cela est pos­sible et réa­li­sable. Cependant, il faut l’effort de tous, mais qui plus est de l’abnégation de nos dirigeants.
    Il faut du patrio­tisme de la part de tous, car le Congo est à la traine, rien ne marche sauf la ges­tion archaïque et anar­chique de l’état.

    Et je ne peux m’empêcher de pen­ser que le Congo est un pays maudit.
    On y vit comme dans une brousse, c’est le pays du désordre et de l’incurie. Tout au Congo est désordre, cham­bar­de­ment et scandales.
    Vous savez tous de quoi, il est ques­tion ici, nul n’est sen­sé l’ignorer.

    Il faut s’asseoir et obser­ver le Congo, pour consta­ter le chaos qui est le sien.
    Prenons pour exemple, notre sys­tème de san­té. Ne par­lons ni de l’hôpital de Makélékélé à Brazzaville, ni de l’Hôpital Adolph Cissé à Pointe Noire. Cela n’en vaut pas la peine. Parlons plu­tôt, du Centre Universitaire Hospitalier de Brazzaville, le CHU.
    Il s’agit de la fier­té de notre sys­tème de san­té (âpres la Caisse Nationale de Sécurité Sociale). Le CHU est le plus grand hôpi­tal du Congo, j’en suis fier tel­le­ment il a per­mis que l’on y sauve des vies…
    Non ras­su­rez-vous, je deconne, le CHU est une honte, rai­son pour laquelle on le sur­nomme le « CHTUE », pour dire Centre Hospitalier qui tue.
    Comment ne pas dire qu’il est dan­ge­reux de mettre les pieds dans cet hôpital ?

    Tout a été dit sur le CHU, pour ma part je pense que quand un hôpi­tal aus­si pres­ti­gieux est inca­pable de jouer le rôle qui lui est dévo­lu, il faut le fermer.
    Ne pas le faire, contri­bue à la misère du peuple congolais.

    Que peut-on dire d’un hôpi­tal dans lequel, même le plus basique manque ?
    Pas d’alcool, pas de coton, etc…
    Pour pro­cé­der à une trans­fu­sion san­guine, le patient doit ache­ter seul du sang. Eh oui pour ceux qui n’ont pas com­pris, on peut ache­ter du sang en détail (PS- ce sang est livré dans des sacs en plas­tiques). Tout manque, méde­cins, infir­miers, per­son­nels d’accompagnement, médi­ca­ments et autres accessoires.

    Tout manque, même l’eau manque. Ne par­lons pas des toi­lettes, ni des lits et des chambres d’hôpitaux. C’est dire qu’avant d’aller au CHU, il faut avoir pris sa douche et vider sa ves­sie. Que faire si on souffre d’incontinence uri­naire ou de cys­tite ? Que faire si on souffre de diar­rhée ? C’est effroyable.
    ‘‘Je me sou­viens, il y’a quelques années mettre fait poser un plâtre pen­dant 21 jours, alors que j’avais un simple épan­che­ment de la syno­vie. 21 jours âpres, le plâtre enle­vé, on consta­tât que mon genou avait coagulé’’
    Exemple banal en effet, mais le plus cho­quant reste à venir car quand en arri­vant au CHU, une ques­tion vous sera sys­té­ma­ti­que­ment posée à savoir : BOZA NA BONGO (signi­fiant AVEZ VOUS DE L’ARGENT, tra­duit du Lingala, langue natio­nale du Congo).

    C’est dire que si on n’a pas d’argent, il est pré­fé­rable de res­ter mou­rir chez soi, de plus si vous décé­dé au CHU, le per­son­nel n’est même pas capable de vous envoyer à la morgue. Etc…
    M. le Président de la République du Congo, mon sou­hait est que vous fas­siez votre le pro­blème du CHU car la mort y est deve­nue chose trop banale.
    M. le Président de la République, le voile de la mort à pris pos­ses­sion du CHU, le peuple souffre, le peuple se meurt, le peuple meurt.

    Mais par­lons aus­si d’éducation, quand j’habitais au Congo, j’allais à l’école de « LA POSTE », nous jouions, nous chan­tions le midi au sor­tir des cours. La vie était paisible.
    Je me sou­viens de ce temps là, de ce temps où chaque élève avait un bureau atti­tré. Aujourd’hui grand est mon cha­grin de savoir que les élèves tra­vaillent à même le sol.
    Craies et autres maté­riels manquent. J’ai l’impression que les poli­tiques se com­portent de façon à vou­loir sacri­fier le deve­nir des élèves congolais.
    Les résul­tats des exa­mens sont com­mu­ni­qués avec des mois de retard parce que les ensei­gnants étaient dési­reux d’être payés avant de com­men­cer la correction.
    Comment notre Ministre des finances, com­ment notre ministre du Budget et pour finir com­ment nos trois ministres char­gés de l’éducation, ont pu pas­ser à coté de ça ?
    Le dis­cours tenu aux ensei­gnants, c’est qu’il man­quait de l’argent pour les payer.

    En même temps, les Congolais fêtaient le FESPAM, qui à coû­té au Trésor Public, donc au citoyens congo­lais 3 mil­liards de FCFA.

    Mais où allons-nous ?
    Sommes-nous des animaux ?
    Sommes-nous comme le dit le rap­peur DIZIS LA PESTE « nègre perd toujours ».
    Nous n’en pou­vons plus, Messieurs et Mesdames, les ministres du gou­ver­ne­ment, votre indif­fé­rence nous angoisse.

    PS : A titre de rap­pel, voi­ci une défi­ni­tion de votre fonction.
    Le mot « ministre » vient du mot latin « minis­ter » qui signi­fie « ser­vi­teur » ou pre­mier serviteur.

    Par Régis AMARO
    Lyon le 13 Août 2007

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Translate »