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Chronique congolaise – 2. Où même le Coca n’arrive pas

congo.1183369651.jpgKinshasa, Congo-RDC, mercredi.

Six, peut-être huit millions d’habitants agglomérés dans cette mégapole qu’est la capitale du Congo, la plus importante d’Afrique après Le Caire et Lagos. Le centre historique, la Gombe, s’est concentré près du fleuve où s’épanouissent les résidences d’ambassadeurs – tant qu’à faire. Le port, bien sûr, occupe aussi son bout de rivage : terminus des quelque 1.600 km navigables (sur ses 4.700 km) entre Kisangani (ex-Stanleyville) et Kinshasa (Léopoldville). En aval, rapides et chutes empêchent évidemment toute navigation.

Des bords du fleuve – où loge aussi la présidence de Joseph Kabila – on entend le grondement du monstre. Ici, on est bien loin des «cités», amas populeux qui s’étend jusqu’à plus de trente kilomètres. Pas de réseau de transport sinon celui de l’ «informel», à l’image de toute l’économie, ou presque. Minibus où l’on s’entasse comme dans des bétaillères ; autos de toutes conditions physiques bondées jusqu’à la gueule. Dès 16 heures, des files s’allongent le long des rues dans l’attente du retour au bercail. Même épreuve en sens inverse le matin, évidemment.

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Tombé au trente-sixième dessous, exsangue, l’État tente de se reconstruire. Par quel bout empoigner le chantier ? Certes colmater la misère… mais comment, avec quels moyens ? Se placer sous transfusion des coopérations internationales et en même temps soigner l’incurable dette qui, de réduction en rééchelonnement, laisse encore le pays sous une tutelle de 25 ans. Les Congolais se consoleront, s’ils le peuvent, avec l’admission au club des PPTE…, Pays Pauvres Très Endettés, qui accordent quelques réductions de «peine» de la part des pays riches. Qu’en obtiendra la population d’en bas, d’en très bas : revenu annuel par habitant de moins de 75 euros ! Deux euros par mois… Un quart des Congolais souffrent de malnutrition. Plus de routes ou presque, plus de chemin de fer, des infrastructures en ruines. Seul l’avion maintient un minimum d’échanges. Hier, un membre de Médecins du monde de retour du Kasaï oriental (centre du pays), me racontait que là-bas, même le Coca-Cola n’arrive pas – c’est dire l’isolement…

Et il y a la politique. C’est-à-dire les tribus, les clans, les factions armées qui se disputent le gâteau. Diamant, métaux précieux autant que rares. Prenez la carte de localisation des mines, c’est celle des zones de conflits. De l’Ituri aux confins du Soudan jusqu’au Katanga vers la Zambie, dans l’axe nord-sud, jusqu’au Bas-Congo à l’ouest, cette terre regorge de la malédiction de ses richesses. Que croyez-vous que vinrent y faire jadis nos hordes de glorieux coloniaux précédés de nos missionnaires, à part «apporter la civilisation aux sauvages» ? Que croit-on que traficotent dans les parages, de nos jours, les Shell, Exxon et Total, de la philanthropie en barils ?

Pendant ce temps, on se gave de séminaires, d’ateliers et de colloques de toutes sortes
. On s’y cause en langue de bois, à coups de DSRP – quoi, vous pas connaître le Document stratégique de réduction de la pauvreté ? C’est beau comme l’antique. D’ailleurs c’est une vieille sornette servie en sauce à pleines louches de « bonne gouvernance » et autre « développement durable ».

Si bien que les médias, surtout les télés (une cinquantaine de « chaînes », un délire), et en particulier les trois ou quatre qui se targuent d’information, en ont ras les micros et caméras. Les journaux télés – comme si souvent en Afrique – se déroulent immanquablement en une litanie d’encravatés roulant 4×4, rassemblés sous des calicots tonitruants, tenant des laïus aussi imbitables qu’inaudibles et ayant graissé la patte des « communicateurs » – journalistes, si l’on peut dire, et techniciens, ravis de mettre ainsi un peu de condiments dans leur pondu (feuilles de manioc). Cette pratique est entrée dans les mœurs para-journalistiques sous le nom de «coupage» – version congolaise de la «perdiemite» qui frappe la plupart des médias africains.

Quelques dollars et voilà canards et télés qui se mettent à jouer le même pipeau à encenser. Pas le moindre recul critique, pas de sujets sur le quotidien des habitants – sauf rares exceptions, tout de même, comme Radio Okapi, dont je parlais hier. On cherche en vain des reportages, y compris dans les journaux dont certains, pourtant et parfois, savent se piquer d’une bonne plume acérée. Mais le propos demeure moraliste ou politicien, ou même polémique.

C’est dire qu’un journalisme digne de ce nom fait ici défaut, même si des volontés s’affichent de plus en plus en ce sens. On peut l’expliquer et le comprendre à maints égards, à commencer par des paies à moins de 50.000 francs congolais (75 euros) par mois et au noir.

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>>> Photo : Ce matin, des « chevaliers de la plume », selon l’expression locale, ont protesté contre l’assassinat de leur confrère Serge Maheshe il y a quinze jours dans l’est du Congo. Ils devaient se rendre jusqu’à l’état-major général des armée et devant le ministère de la défense. Une façon de pointer du doigt la responsabilité possible de militaires dans cet assassinat. Une manière aussi, pour les journalistes de contourner leur propre autocensure : des policiers de la garde présidentielle pourraient en effet être impliqués dans cette affaire – ce qu’aucun journal n’ose écrire explicitement.

>>> Suite du chapitre “lumières” – et pour saluer Argoul – la panne a frappé Kinshasa toute la nuit cette fois, jusqu’à 8 h du matin.

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