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Côte d’Ivoire. Le jeudi noir des Éléphants

Abidjan, jeudi 7/2/08

minuci_globe.1202847538.jpgLa victoire sur la Guinée avait enivré tout le pays. Mais les Pharaons ont “sorti” les Éléphants. Traduction pour les ignares du foot : l’Égypte a battu la Côte d’ivoire dans la Coupe d’Afrique des Nations. Et pas d’un peu : 4 à 1. La nuit est doublement tombée sur Abidjan. Les autorités avaient craint les débordements, comme lors des précédents matches victorieux : bus détruits, vols, blessés et même viols. Ce sera la gueule de bois.

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Mobilisation générale pour la patrie du sport en danger. Abidjan, février 2008.

Au “Saint-Germain”, boulevard de Marseille [tiens tiens…], zone 4 de Biétry, la sono d’enfer a eu du mal à redémarrer une fois les écrans géants mis en berne. Et les minettes mobilisées, tout en beauté svelte sous leur minimale vêture orange – couleur de l’équipe nationale – n’avaient plus « le cœur aux fesses » pour faire rouler la rumba congolaise. Soir de défaite, à deux heures du rêve, le temps d’un match. Futilité du foot et du sport ; grandeur aussi dans la vaine gratuité – enfin, on le voudrait.

Le rêve dans un ballon plein de vide. Bouffée d’oxygène, sans doute. Un seul but, le but adverse, contre l’autre. Un peu de pain et plus de bière. Les peuples ne sont pas si exigeants. La fête sera courte, autant se la payer à fond, comme une défonce. Rappelons-nous la Coupe du monde vue de l’hexagone. Plus près encore le Mondial de rugby. Pour la première, la «France Bleu Black Beur» – tu parles ! juste un prologue à la révolte des banlieues… Transposés à la Côte d’ivoire, les enjeux de la Coupe d’Afrique n’étaient pas moins politiques – non, seulement mille fois plus. En France, il y allait d’un point de PNB, d’un surcroît de baume dans la sarkozie glorieuse. Soit. Ici, victoire ou défaite, ça annonce «seulement» plus ou moins de chaos.

Côte d’ivoire, pays béni-maudit, c’est selon. Avers / revers. Pile ou face. On a beau la chercher, l’Espérance ne niche guère dans le rationnel. Sinon, comment expliquer le déchirement ? Ce pays, magnifique, regorgeant de tout, ou presque. Et cette capitale, vibrante, bosseuse, fière. Parures d’Europe et parlures de France, trésors de cette Afrique quasi mythique, au sens des rêves de colons ; pénétrée du nord au sud, d’Alger au Cap, en de grandes explorations posant des pierres blanches de-ci de-là. Abidjan, le « pays d’ici », halte inspirée en plein golfe de Guinée : un havre lagunaire. Le village de pêcheurs du début du XXe siècle ploie aujourd’hui sous ses, peut-être, trois millions d’habitants, dont des milliers de “déplacés de guerre”. La folie urbaine aggravée. À la mode africaine, dénuement en prime. À la fois bon enfant et explosive, incontrôlable, incertaine, terrifiante à l’occasion.

La nuit est tombée donc sur Abidjan et, comme un signe, l’harmattan aussi et son souffle brûlant à 35°. Comme si le vent mauvais venu du Ghana – pays de la défaite – se doublait d’une douche froide– enfin, tiède…

Ce match, comme le sport d’aujourd’hui, joue dans le stade politique. «On gagne ou bien on gagne !», m’avait lancé un jeune supporter à l’heure du coup d’envoi. Il répétait un slogan des partisans de Gbagbo, l’actuel président. Des présidentielles, en effet, s’annoncent ici dans les mois prochains. « Si la Côte d’ivoire gagne, il est sûr d’être réélu ! » : pronostic d’un chroniqueur… non sportif, de l’un des quelque vingt quotidiens de la capitale économique – la plupart « QG » d’autant de partis politiques… Le temps de la Libération n’est pas achevé. D’autant moins que les Ivoiriens peinent à sortir de la guerre civile qui a coupé le pays en deux, par le milieu, autour des démons du refus de l’autre, au nom d’un concept dévoyé d’ «ivoirité», relayé par le tribalisme et ceux qui, surtout, trouvent avantages de pouvoir et d’argent au poison de la division.

Abidjan paraissait donc apaisée cette nuit, comme ces temps-ci. L’espoir ? On berce l’idée, savourant le reflux de la folie imbécile, dévastatrice, assassine. Le réalisme, cependant, commande moins d’angélisme. La presse, les médias en général, veillent sur les braises noires, prompts à les ranimer. L’Olped, Observatoire de la liberté de la presse, de l’éthique et de la déontologie – le premier du genre en date en Afrique, 1995 – continue, dans ses réunions de chaque jeudi, à relever par dizaines les manquements au métier d’informer ! Leur hantise, à ses membres, c’est le spectre du génocide au Rwanda (94) et le fameux syndrome de la radio des Mille-collines.

Les prochaines présidentielles, donc… Trois principaux candidats selon les clivages historiques indélébiles comme des histoires de famille, de clans, de tribus – véritables tatouages culturels rehaussés d’animisme, de sorcellerie et autres satanées croyances. L’imagerie actuelle voudraient les effacer, quand elles reviennent par la fenêtre pour renforcer les forteresses démoniaques. Trois candidats, soit un tiers gagnant deux tiers perdant, à moins d’un cocktail combinatoire. Que faire ?

La télé de ce soir (première des deux chaînes publiques, pas de télé privée hors satellites) fait danser du monde joyeux dans une émission « à l’ancienne » autour d’un animateur débonnaire. Ça rigole, ça se trémousse, cul contre cul ; les rituels de semailles surgissent des cultures immémoriales ; comme d’ailleurs au « Saint-Germain » tout à l’heure, en moins moderne, en moins «DJ ». Des fesses de Baoulé, des fesses de Bété, des fesses de Dioula, comme de la soixantaine de tribus du pays. A l’image, a-t-on dit, des footballeurs de l’équipe ivoirienne – on y revient. Une défaite qui ne manquera pas d’être politique, on peut le parier. Politique comme l’est le sport et tout particulièrement le foot. Peu avant le match, la présentatrice du JT avait lancé : « Ce n’est pas un pharaon, aussi noble soit-il, qui va empêcher l’éléphant de barrir ! » Ben si. Le pharaon a vaincu. À quatre reprises, ses représentants se sont prosternés vers La Mecque. Les Éléphants, eux, n’étaient pas en reste avec leurs signes de croix… La télé retransmettait ce micmac anti-laïque dans le monde entier, ou presque. Nord-Sud, les clivages ancestraux, leurs versions séculières et sécularisées… On n’en sort pas.

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Post scriptum. Ces Éléphants-là s’en remetrront bien. Quant aux autres, ceux sans majuscule, ceux de l’espèce emblématique du pays, les derniers ont sans doute péri lors de la folie guerrière des humains.

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