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Dieudonné vs Patrick Cohen. Quand fascisme et journalisme voguent sur le même bateau

Dieudonné est un facho. Un facho qui s’affiche sans vergogne et comme il y en a de plus en plus. Ses propos antisémites sur le journaliste de France Inter, Patrick Cohen, sont accablants et sans appel : « Tu vois, lui, si le vent tourne, je ne suis pas sûr qu'il ait le temps de faire sa valise. Moi, tu vois, quand je l'entends parler, Patrick Cohen, j'me dis, tu vois, les chambres à gaz… Dommage. »

Mais en cherchant à dépasser l’indignation sans frais, on peut tout de même se demander pourquoi ce Dieudonné s’en prend-il ainsi à ce Cohen-là, à ce Patrick de la radio publique.

Alain Pontvert, un lecteur du Monde (20/12/2013), déplace quelque peu l’angle de vision dans ces termes :

« Patrick Cohen un journaliste irréprochable et exempt de tout esprit partisan ou communautariste ??? C'est une blague ??? Lisez Schneidermann puisque l'article ne le met même pas en lien : les gens que le "service public" vu par Patrick Cohen ne doit pas inviter car "ils ont contrevenu à un dogme" (lequel?) ».

Voilà ce que raconte Daniel Schneidermann dans Libération (17/03/13) : « Cela se passe au micro de l’émission C’est à vous (France 5). Chroniqueur de cette émission, Patrick Cohen reçoit son collègue Frédéric Taddeï, animateur de Ce soir ou jamais, qui vient d’être transférée de France 3 à France 2. Et Cohen ne va pas le rater, Taddeï. A présent qu’il est passé sur France 2, chaîne amiral, Taddeï continuera-t-il d’inviter les maudits, comme il le faisait à l’abri de la (relative) confidentialité de France 3 ? «Vous invitez des gens que l’on n’entend pas ailleurs, mais aussi des gens que les autres médias n’ont pas forcément envie d’entendre, que vous êtes le seul à inviter.» Et Cohen cite quatre noms : Tariq Ramadan, Dieudonné, Alain Soral et Marc-Edouard Nabe. Un théologien, un humoriste, un publiciste inclassable, un écrivain : voici la liste des proscrits, des interdits, des bannis, dressée pour la première fois, tranquillement, sur un plateau de télé convivial et sympathique. Instant de vérité. »

Le débat s’engage alors, ainsi que poursuit Schneidermann :

« Cohen : «Moi, j’ai pas envie d’inviter Tariq Ramadan.» Taddeï : «Libre à vous. Pour moi, y a pas de liste noire, des gens que je refuse a priori d’inviter parce que je ne les aime pas. Le service public, c’est pas à moi.» «On a une responsabilité. Par exemple de ne pas propager les thèses complotistes, de ne pas donner la parole à des cerveaux malades. S’il y a des gens qui pensent que les chambres à gaz n’ont pas existé.» […] «Si je dis "j’ai des doutes sur le fait que Lee Harvey Oswald ait été le seul tireur de l’assassinat de Kennedy à Dallas", vous m’arrêtez ?»«Évidemment pas.»«Quelle différence ? Tout ce qui n’est pas défendu est autorisé. Je m’interdis de censurer qui que ce soit, à partir du moment où il respecte la loi.»

Voyons même la vidéo de l'émission en question :

 

Et Schneidermann de mettre les pieds dans le plat : « Même si la liste Cohen mélange tout (quoi de commun entre les quatre ?) […] chacun en entend bien le point commun : les quatre proscrits, sous une forme ou une autre, ont dit des choses désagréables sur les juifs, Israël, ou le sionisme. »

Nous voilà bien au cœur de ce débat souvent éludé, presque toujours faussé, autour de la question de la politique d’Israël en Palestine et, par delà, des autres questions se rapportant aux juifs dans la société.

Ainsi, notamment, s’agissant des communautarismes, il est tout à fait permis de nos jours, sinon encouragé et même de bon ton, de s’en prendre aux musulmans – par principe amalgamés aux islamistes les plus fanatiques. Il faut dire que ces derniers, partout dans le monde, s’appliquent à donner de l’islam la vision la plus obscurantiste, rejoints en cela par la cohorte des autres intégristes de tous bords, chrétiens, juifs et même bouddhistes !

« Les musulmans » sont ainsi devenus une catégorie essentialisée, selon cette même généralisation qui amalgame « les juifs », « les catholiques », etc. [sans oublier "les communistes" sous le maccarthysme…], toutes catégories qui, à un moment ou autre de l’Histoire, ont été, sont (ou seront ?) marqués de l’infamie et de la persécution. Tel est le lot des boucs émissaires sur lesquels se déchargent, dans le monde entier, les frustrations, les haines, les refoulements, selon des processus qui ne se limitent pas aux seules données religieuses, s’étendant ainsi à des considération ethniques. Les attitudes hostiles envers les Roms, les Arabes, les Noirs, les Asiatiques, etc. relaient, en quelque sorte, les charges « ordinaires » portées contre les boucs émissaires.

À ce qu’on appelle – par commodité non innocente – l’islamophobie, viennent se greffer et se nourrir les mouvements extrémistes d’exclusion, du Front national aux innombrables officines fondamentalistes – n’excluant pas certains apôtres d’une certaine « laïcité » –, chacun trouvant là le paravent derrière lequel masquer ses propres turpitudes.

Comme le dit si bien Danièle Sallenave dans son remarquable ouvrage dieu.com (Gallimard, 2004) :

« Ne faisons pas de l'Islam le miroir où toutes nos difformités s'effacent. Ne renouvelons pas l’erreur de nous forger un ennemi pour éviter de nous interroger sur nous-mêmes. Il nous faut retrouver une parole libre. Désigner haut et fort la menace que font peser les communautés, les identités collectives, les religions — toutes les religions — sur la paix civile et la liberté individuelle. Refuser le scandale d'une pensée asservie à des dogmes. »

Et, justement, revenons-en aux dogmes. Je cite à nouveau Schneidermann :

« Mais soudain, Taddeï renvoie la balle. «Vous voulez que je vous fasse la liste des ministres condamnés, y compris pour racisme, que vous avez reçus dans votre émission de radio ?» […] Taddeï ne prononce pas le nom de Hortefeux, mais là aussi tout le monde a entendu pointer son nez l’éternelle concurrence victimaire : il est légitime d’être désagréable aux Arabes, mais pas aux juifs. Qu’on s’entende bien : c’est parfaitement le droit de Cohen, de ne pas inviter Ramadan, Soral, Nabe ou Dieudonné. Aucun cahier des charges du service public ne l’oblige à le faire. On a le droit d’estimer que Dieudonné n’est pas drôle, ou que Nabe n’est pas un grand écrivain. Cohen serait parfaitement fondé à dire «j’estime qu’il existe des théologiens plus pertinents, des humoristes plus drôles». […] Mais aucune raison d’en faire une question de principe, et de proclamer que même la baïonnette dans les reins, on n’invitera pas Bidule. En reprochant à Taddeï d’inviter les proscrits, Cohen dit en fait «ce n’est pas parce que je ne les juge pas intéressants, que je leur barre l’accès au micro de France Inter. C’est parce qu’ils ont contrevenu à un dogme».

On touche ici au fond de l’affaire, le dogme : il est des sujets, (des faits aussi peut-être ?), que l’on décrète interdits, tabous. Qui « on » ? Moi, journaliste lambda du service public, parce que de confession juive, ou seulement de communauté… Au nom du fait, par exemple précis, qu’un humoriste (même facho) n’admettrait pas cet ostracisme ? Qui, dès lors, alimente l’antisémitisme tout en le dénonçant ? Les mêmes, par exemple tout aussi précis, qui vont jusqu’à qualifier Edgar Morin d’antisémite parce qu’il dénonce le colonialisme d’Israël ?…

Certes, c’est bien le moins, je ne saurais reprocher sa judaïté au citoyen Patrick Cohen. Mais en tant que journaliste, je lui reproche, de ne pas respecter un autre dogme, professionnel celui-là, concernant l’impartialité dans le traitement de l’information. Oui, c’est quasiment mission impossible – quasiment ! Et la porte est étroite entre le conflit d’intérêt et le « penser contre soi-même » cher à Péguy (catholique et anarchiste ! c’est dire s’il a dû bagarrer contre ses démons internes…)

« Se priver d’invités intéressants,, conclut Schneidermann, parce qu’on n’est pas d’accord avec eux est, pour un journaliste payé par le contribuable, une faute professionnelle. Et non seulement c’est indéfendable, mais c’est contre-productif. Aujourd’hui, les dissidents n’ont plus besoin de Cohen et de ses homologues, pour trouver un écho sur Internet. Avant, il était possible de décider qui étaient les «cerveaux malades», et de les condamner pour crime de pensée, comme dans 1984. Mais aujourd’hui, pour un animateur en vue, déclarer qu’il n’invitera pas Bidule, c’est hisser Bidule sur le piédestal de victime de la censure. »

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

6 réflexions sur “Dieudonné vs Patrick Cohen. Quand fascisme et journalisme voguent sur le même bateau

  • Jef de Cognac

    Vieux pote, Nabe dan­dy mais auteur d’un beau texte sur Billie , Dieudonné cari­ca­tu­ral, Ramadan comme son nom l’in­dique (OK, OK, je sais !), le plus per­ni­cieux, c’est Soral. Mais on ne lutte pas contre ces gens par décret admi­nis­tra­tif ( à mon avis, ridi­cule la loi qui ban­nit le mot « race »), mais en démon­tant leurs pro­pos, ce qui sup­pose un peu moins de paresse de la part de bien des jour­na­listes. Pas toi, of course ! ton site est rude­ment nour­ri, je l’in­dique à un ami grou­pie de Morin.
    Disposant d’un peu de temps, je viens de me réga­ler de tes chro­niques Jazz,dommage que ton fes­ti­val soit si loin (de moi). J’ai des disk de Chico H avec Dolphy, avant que ce der­nier ne vol­ca­nise. Du coup, je t’en­voie mon texte paru dans notre Anthologie de l’a­te­lier de poé­sie de Cognac (ouf), 36 ème édi­tion thé­ma­tique annuelle. En 2013 : Turbulences. Pas de PJ icitte, je passe sur ma messagerie.
    Biz

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    • Evidemment d’ac­cord avec toi ! Plus il « fait sur­face », plus il s’en­fonce, le jour­na­lisme… A l’i­mage de bien des valeurs de notre modernité.
      Côté jazz, parles-tu notam­ment de mes chro­niques sur CitizenJazz ? Si non, va donc far­fouiller ; tu y trou­ve­ras notam­ment un de mes papiers récents sur ton ami Christophe Monniot, que j’ad­mire vrai­ment. C’est là : http://​www​.citi​zen​jazz​.com/ Merci à toi et à la revoyure !

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  • Liberté

    Comme gar­çon simple, je crois, que le jour­na­lisme est là pour infor­mer le public.
    Sur une chaîne publique de quel droit choi­sir untel ou untel ? Les idées annon­cées (fachotes), en géné­ral, se carac­té­risent par leur sim­pli­ci­té. Il n’est donc pas trop dif­fi­cile de les démon­ter. C’est vrai qu’un Soral est plus per­ni­cieux, que les autres. On pour­rait même avan­cer : vicieux, peut être.
    Quand à ce racisme, au XXIème siècle, en être encore là ! Merci l’é­vo­lu­tion… Créer même un racisme spé­cial : l’an­ti­sé­mi­tisme (contre les Libanais, les Jordaniens,les habi­tants d’Israel, aus­si?.. On ne com­prend plus)
    La seule dif­fé­rence entre les hommes n’é­tant pas la femme ?
    C’est ici, la seule dif­fé­rence, un fait de nature, le reste…

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    • Aurélie

      Bien vu le « racisme spé­cial ». Pourquoi ? Parce que les Juifs son « spé­ciaux », ils sont le « peuple élu » de Dieu, ce qui marque une « race spé­ciale » et du coup une pre­mière forme de racisme par élec­tion pré­ten­due auprès de Dieu ; comme si Dieu serait source de l’in­jus­tice suprême de pré­fé­rer Simon à Charles ou Mohamed, pour se limi­ter aux trois monothéismes…Donc ne pas confondre, par exemple, isla­mo­pho­bie et judéo­pho­bie ! Surtout si on amal­game les musul­mans aux Arabes, et les juifs, à quoi au fait ? C’est tout pareil, même avec les dif­fé­rences : culture musul­mane contre culture juive (sans par­ler de la judéo-chré­tienne !) : tout un fatras de croyances et de moeurs, de légendes à dor­mir debout col­por­tées pen­dant des siècles et par mal­heur sacra­li­sées jus­qu’aux guerres !

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  • Liberté

    Dans les écoles de la République, le livre de Michel ONFRAY « Traité d’a­théo­lo­gie » devrait ser­vir de base à l’é­tude des religions…

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    • Et com­ment ! Il serait en effet sou­hai­table de sépa­rer aus­si croyances et reli­gions, cha­cun dans leurs domaines, obser­vables et dis­tu­tables comme tels selon les points de vue his­to­riques, socio­lo­giques, psy­cho­lo­giques, etc.

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