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Jazz à Vitrolles. John Tchicaï et André Jaume en un “sextet” fraternel et heureux

Le jazz, cette aventure. Le concert comme un saut en parachute. Exploration de l’inattendu, virée dans l’inouï, culbute dans les envolées. Ivresse. Tout ce jazz – All that jazz qui devrait affoler les programmateurs. Une centaine d’heureux pourront dire « j’y étais ! ». Une centaine plus cinq, baignant dans ce même partage d’une soirée dans et hors du temps. Cinq fautifs, bien fêlés aux instruments, shootés aux sons, dealers pour paradis d’Eustache. Toujours ça de pris sur la noirceur du monde et ses sinistres reflets télévisés. Horizon dégagé ce samedi soir [10 mai 2008] au Moulin à jazz de Vitrolles.. Ils allaient jouer de concert et de conserve, comme on dit dans la marine, qui en connaît un bout aussi au rayon des souffles et des courants voyageurs. Princes des anches, voici John Tchicaï et André Jaume. Une histoire du jazz à eux deux, pas seulement au privilège des années, davantage à celui de l’expérience, qui a nourri le talent – inspiration et transpiration liées.

John est Danois par les papiers – des papiers de sans-papier, dirait-on de nos jours : papa congolais, boy au service d’un ethnographe allemand en mission vers Brazzaville et Kinshasa ; il revient avec lui, dans ses bagages, à Berlin ; puis se retrouve comme serveur à Copenhague… A John raconte : « À la première rencontre de ma mère, une Danoise, il lui a dit “Vous êtes la femme que j’aime”… Et voilà. Ils vivront une vingtaine d’années ensemble. Je suis né en 1936 et mon frère deux ans plus tard »

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[© photo Gérard Tissier]

Passons sur l’enfance danoise et l’apprentissage musical du jeune métis – violon, saxo et clarinette. Rencontre avec Archie Shepp qui l’ « envoie » à La Mecque du jazz, New York. De 62 à 67, John Tchicaï va se frotter à la « new thing », dont le tromboniste Roswell Rudd avec qui il monte un quartet, et une certaine Carla Bley (À questionner là-dessus lors de son passage au prochain festival de Charlie Free début juillet). Il enregistre alors une dizaine de disques, entre autres  « Ascension » avec John Coltrane et, avec Albert Ayler, la musique d’un film, « New York Eye and Ear Control ». On le retrouve ensuite dans d’innombrables enregistrements (Voir son site).

John Tchicaï vit depuis une dizaine d’années près de Perpignan : y trouverait-on l’explication de sa rencontre avec André Jaume, le Marseillo-catalan vivant en Corse ?… Totale spéculation, s’agissant de ces purs métèques que l’universalité musicale aura placés aux mêmes croisées de chemins. Le jazz libre – quasi pléonasme – renverse les frontières pour recréer des mondes en mouvement. André est de ceux-là, parmi les tout premiers. Hors sphère jazzistique, dans l’étroitesse hexagonale, on tarde encore à le reconnaître comme tel. Nul n’étant prophète, et caetera, il a lui aussi trouvé sa voie en dehors, par exemple aux côtés de Jimmy Giuffre – qui vient de mourir. (On leur doit de somptueux concerts et disques. Le quintet de samedi jouera un de ses morceaux en hommage). Mais s’il est parti, un peu, André Jaume, c’est sans aigreur, pas son genre de s’en faire pour la notoriété. Samedi soir donc, lui à l’alto, au soprano et à la flûte. John au tenor. Ne tentons pas de dire l’inracontable. Les mots sur la musique, ça ne parle qu’en douce, par allusions, analogies. Un peu comme en gastronomie. Rien ne vaut le plat [pas vrai Evelyne, private joke intra Charlie Free]. Plutôt tenter les demi-mots, qu’on enfilerait en grappes poétiques, sonores, en tons et nuances de tons. Même le disque ne rend pas le concert. Sans doute peut-il en donner un goût, provoquer des réminiscences, aiguiser les désirs. Lu l’autre fois sur un dos de t-shirt : « La meilleure façon d’écouter le jazz, c’est de le voir ». De le vivre même, chipotons pas et voyons large ! Tant pis pour les absents – oh pôvres ! – qui ont raté ce moment pour le moins historique. D’autant que trois autres musiciens de haute volée se tenaient en embuscade sur la « grande scène mondiale » du Moulin à Jazz – la gare de Perpignan étant bien le centre du monde dalinien… A ma gauche et à la guitare, Alain Soler, tout en élégance et précision, l’arôme de framboise – métaphore limite, j’avais prévenu… Au centre, caché derrière grand-maman, Bernard Santacruz – magnifique son des profondeurs, imagination et tenue rythmiques. A droite, Marc Mazzillo, maître des peaux et cymbales – que je ne vous dis pas ce duo avec Tchicaï !

Oui mais, quelle « sorte » de jazz est-il donc sorti de tout ça ? Be-bop, hard bop, free ? Ah la belle affaire des étiquettes rassurantes ! Le secret d’une telle soirée, plus sans doute, que bien d’autres – et à colporter sans réserve –, un secret tout bête s’agissant de musique : l’écoute. A commencer par celle des musiciens entre eux, attentionnés à l’extrême, pas tendus, sinon vers la musique des autres, de chaque autre, comme les doigts de la main qui joue. Et qui serre la main du public, en un « sextet » fraternel et heureux.

>> Voir aussi, à propos du même quintet au Festival 2007 de La Seyne-sur-Mer.

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