jazz

Jazz à Vitrolles. Les quatre chapeaux de l’Art Ensemble of Chicago

08/07/2007

De Chicago ils sont, certes. Ensemble surtout. L’art ensemble de Chicago, j’insiste : l’art de jouer ensemble. Ça dure depuis 41 ans, moins l’œuvre maléfique du temps. Trois sont morts : Malachi Favors (contrebasse), Joseph Jarman (anches et flûtes), Lester Bowie (trompettiste). Du quintette fondé à Paris un an après Mai 68, il reste Roscoe Mitchell (anches et flûtes), 67 ans, et Don Moye (batterie, percussions), 61 ans. Les voilà donc, ce samedi 7 juillet, qui touchent terre à Vitrolles, haut-lieu du jazz en Provence, avec son dixième « Festival Charlie Free ». Ce sera leur seul concert européen de l’année. Les réunir, même en quartette aujourd’hui, relève du sport jazzistique de compétition. Leur âge, c’est celui où l’on évite la dispersion. Charlie Free, ils ont bien voulu d’un coup d’aile et retour. Donc les voilà, nos quatre Dalton d’outre-Atlantique, en un si improbable attelage enchapeauté.

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Par ordre de gabarit : Le plus grand et enjoué, « Famoudou » Don Moye, toque musulmane colorée, oreille gauche piquée d’une pointe de flèche en ivoire d’éléphant, maillot rouge frappé de l’œil d’Osiris. Traînant la patte et un peu courbé par les ans. Suit Harisson Bankhad, un quintal et  quelques surmonté d’un p’tit galurin de paille d’Italie, les abattis d’un Mingus XXXL – c’est le contrebassiste. Sous son Borsalino, Rasul Siddik, baraqué aussi, lunettes, barbichette poivrée, un air de Lester Bowie, moins la blouse d’apothicaire – d’ailleurs c’est son successeur à la trompette. Enfin Roscoe Mitchell, chapeau modèle « plantations » du Mississipi, mais qu’on croirait un berger chenu descendu des hauts-plateaux d’Éthiopie, sec comme un marathonien, tout dans le souffle et l’endurance : alto, soprano et flûte.

Certes on peut entendre toute musique sans en bien connaître l’histoire. Mais pas vraiment non plus. Raconter l’aventure de l’AEC nous mènerait trop loin. D’autant qu’il faudrait en passer par un épisode révolutionnaire : la création de l’AACM, Association for the Advancement of Creative Musicians – tout un programme. Et remonter plus avant encore, aux sources du Free-jazz, mouvement artistique et politique chevillé à l’Amérique étatsunienne et à ses douloureuses convulsions : traite des Noirs et esclavage, mouvement des droits civiques, guerre du Vietnam – qui croirait que l’art pût ignorer l’ « air du temps », surtout s’il est devenu puant et irrespirable ?

L’Art Ensemble of Chicago, émanation et partie prenante de l’AACM, groupement de musiciens contestataires, Noirs, constitués dès 1965 en coopérative, bousculant l’establishment du business musical, chamboulant les canons jazzistiques et donc politiques. Oui « donc », puisque l’art est politique, surtout l’apolitique.

Simple rappel ici pour ne pas écouter idiot un manifeste musical, comme on le ferait d’une musaque d’ascenseur. Et pour revenir à nos quatre lascars, entamant leur concert de Vitrolles par une doucette ballade, prélude à une tempête sonore éclaircissant les travées. On n’est pas là pour se faire amadouer. Pas encore cellophanée, la Great Black Music ! On en aura plein nos esgourdes toujours menacées d’ensablement marchand. Pas la violence gratuite du discours teigneux ou revanchard, non, le verbe haut qui dit le chaos du monde, d’ici-bas, guette l’harmonie des humains comme l’éternelle utopie. La voûte des platanes de Fontblanche comme une galaxie spiralée à deux heures-lumière de là. Deux ou trois cents voyageurs avaient pris la navette céleste. Il y eut un bis et encore un rappel pour étirer le temps au possible. La nuit était en sursis, raison de plus pour l’achever au bar, rejoints par nos quatre gaillards, pas si pressés de l’escale hôtelière, prélude au retour vers Chicago. C’est qu’ils étaient heureux, sûr. Et nous donc !

© Photos Gérard Ponthieu

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