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Élections. “On nous refait le coup de la ligne Maginot”, par Philippe Torreton

Valls était beau l’autre soir à la télé, drapé de soieries yvette-hornérienne un soir de 14 juillet, il appelait à voter pour la droite en citant nommément les candidats. Ça y est, il peut la dire fièrement cette phrase, sans s’emmerder à trouver des astuces et des combines pour s’affirmer de gauche. Et c’est ainsi qu’au lendemain d’un vote particulièrement extrême, le front républicain nous refait son numéro de duettistes comme les derniers cachetons de Stan Laurel et Oliver Hardy qui ne se parlaient plus mais tentaient encore de faire rire à l’ancienne dans un monde passé au sonore et à la couleur. On nous demande de voter à droite pour barrer la route au Front national. Cela fait plus de trente ans que l’on nous remet les mêmes couverts pour manger la même soupe à la grimace, ce n’est pas bon mais ça fait du bien. Mais ça fait du bien à qui ? Ça rassure qui ce vote républicain ? Ça permet quoi ? L’eau monte à chaque marée d’équinoxe électorale mais le front de mer républicain résiste, on rebâti en hâte la digue en rajoutant un rang de parpaings et on se dit qu’on a fait le boulot.

Sauf que là, on nous demande de voter entre autres pour un Bertrand ou un Estrosi, c’est-à-dire ce que la droite fait de pire, les Las Vegas de la droite, des prêts-à-tout… Au nom d’un soi-disant front républicain, on nous demande d’aller voter pour des olibrius qui ont mené une campagne pratiquement indifférenciable de celle du FN pour contrer justement les candidats FN. C’est absurde, c’est tristement absurde. On peut manger de la merde sous la menace d’une arme, mais je crois qu’il y a des limites à l’humiliation. On voudrait renforcer le vote FN que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Il faut permettre au peuple de gauche de voter et, pour qu’il puisse voter, il lui faut des candidats. Ce n’est pas en s’asseyant à plusieurs sur le couvercle de la Cocotte-Minute en surchauffe que l’on fera retomber la pression, pour moi le front républicain c’est cela et pas autre chose. Plus de trente ans que l’on nous ressert avec les airs finauds et graves qui vont avec le coup du « vote de colère » et du « vote message » qu’il faut savoir écouter, évidemment, et que l’on a bien sûr compris. Trente ans que tout ce beau monde y va des mêmes phrases creuses, trente ans que les citoyens qui votent FN n’ont pas compris que vous les aviez compris, mais trente ans de colère, ce n’est plus de la colère, c’est un programme, Messieurs du front républicain, c’est une adhésion en parfaite connaissance de cause, on vote FN sans se cacher, sans prendre un air bougon, on vote FN tranquillement avec les enfants juste avant d’aller voir Mamie qui nous a préparé une blanquette de veau. Il est curieux de demander le retrait de ses candidats arrivés troisième mais de ne pas exiger la réciproque pour le camp d’en face. C’est moi qui vois le mal partout où se cacherait-il par là un petit calcul politique, comme un espoir de réciproque si jamais on se retrouve seul face au FN au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2017, plus on s’affichera grand seigneur aujourd’hui moins il sera possible à l’autre camp de ne pas appeler à voter « républicain » à son tour ? L’heure est grave et on nous refait le coup de la ligne Maginot républicaine…

Il faut entrer en résistance et résister, c’est d’abord étudier précisément ce que l’on va combattre et pour commencer ce combat il faut admettre un résultat, être capable de le constater, la France est majoritairement de droite et dans cette droite le FN est le parti phare. Ce n’est pas en s’abstenant ni en démissionnant des conseils régionaux que l’on va résister, c’est en y étant présent, en écoutant les débats, en participant aux votes, en dénonçant l’inadmissible qui ne tardera pas à pointer son nez, même si je pense qu’ils vont tout faire durant cette pauvre année qui nous sépare de la kermesse présidentielle de 2017 pour ne pas choquer le citoyen qui ne vote pas FN.

Ce front républicain est un abandon, c’est de la politique de tapis vert. Pour contrer le FN, il eût été préférable de ne pas hurler en sueur : « J’aime l’entreprise ! » Ou de déclarer sans sourciller que les Roms n’ont pas vocation à s’intégrer, mais au contraire donner le droit de vote aux étrangers extracommunautaires aux élections locales, au lieu d’abandonner cette promesse au lendemain d’une défaite électorale affichant une fois de plus un score important du FN, comme un acte d’allégeance ; c’était ne pas appeler les pays de l’Union européenne à restreindre l’accueil des réfugiés quelques jours après le 13 novembre, accréditant du même coup les thèses du FN qui voit en chaque réfugié un possible terroriste ; c’était ne pas marteler qu’il n’y a qu’une politique possible ; c’était ne pas couper les budgets de la Culture à peine arrivé au pouvoir mais au contraire soutenir les festivals au lieu de constater leurs fermetures avec un air de circonstance ; c’était ne pas abandonner les intermittents à la vindicte méprisante du Medef mais au contraire les défendre immédiatement, totalement. C’était de profiter d’un voyage au Luxembourg pour taper du poing sur la table en condamnant cette politique de dumping fiscal que pratique le grand-duché. Ne pas supposer le chômeur fraudeur et l’assuré social tricheur surtout lorsque des centaines de milliards nous échappent chaque année par l’exil et l’optimisation fiscale de nos si chers plus riches et de nos si aimées entreprises. C’était de ne pas appeler de ses vœux une jeunesse se rêvant milliardaire, c’était oser les Scop lorsque le grand capital détruit nos industries ; c’était ne pas se découvrir à moins d’un an de la COP21 une âme d’écologiste.

Lutter contre le FN, c’eût été avoir de la constance et des convictions, avoir encore un idéal autrement plus motivant que l’équilibre des comptes public et nous y emmener, oser le bonheur pour tous, c’était laisser le corps enseignant un peu tranquille pour une fois, l’écouter et lui donner de quoi enseigner, les profs connaissent leur métier, c’est leur passion et ils en ont marre qu’on leur dise ce qu’il faut faire à coup de réformes obscures et indéchiffrables dont le seul but est de transformer l’école en un tube par lequel on entre « espérant » pour en ressortir à l’autre bout « consommateur ». 

Lutter contre le FN, c’était être capable d’abandonner la rigueur budgétaire européenne pour une autre cause que notre sécurité immédiate, par exemple pour venir en aide à nos 5 millions de pauvres, pour construire ces logements qui manquent à plus d’un million et demi de personnes, c’était faire en sorte que les Français ne dépensent pas plus de la moitié de leur paye pour se loger ; bref lutter contre le FN, c’était rester de gauche, vraiment, réellement, de gauche à en mourir, de gauche à en tenir bon sous la mitraille, c’est revenir au plus vite et le plus farouchement possible aux valeurs de la gauche prolétarienne, redonner du sens au travail, à la culture du travail, son honneur et sa grandeur, au lieu de le détruire en faisant du travail une tâche à accomplir, tous les trois jours un homme ou une femme se suicide à cause de son travail qu’il ou elle ne reconnaît plus, le peuple de gauche avec ses valeurs et son honneur se fait humilier depuis des années sur l’autel de la croissance, des fonds de pension, du libre-échange, ce peuple d’un autre âge qui ne comprendrait pas l’évolution du monde et à qui on demande dimanche de voter comme un seul homme pour des candidats de droite en invoquant Jaurès.

Philippe Torreton, comédien et auteur.
VENDREDI, 11 DÉCEMBRE, 2015 - L'HUMANITÉ
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4 réflexions sur “Élections. “On nous refait le coup de la ligne Maginot”, par Philippe Torreton

  • faber

    Bravo le Torreton. Pas facile d’en pla­cer une, du coup. Résister, jouer dans une autre cour… Quand la « gauche » appelle à voter à droite, effec­ti­ve­ment, on peut res­ter au plu­mard et attendre les croissants.

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  • Ces gens-là ne sont pas sim­ple­ment une insulte à l’hu­ma­ni­té, ils sont un outrage à l’univers…

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  • Gérard Bérilley

    Voilà un texte revi­go­rant. Et même si je ne suis pas en accord avec tout, par­ti­cu­liè­re­ment avec l’a­vant-der­nier para­graphe consa­cré à l’Education Nationale, ins­ti­tu­tion dont la réa­li­té est loin d’être idyl­lique ! Cette Education Nationale qui par­ti­cipe à l’ac­crois­se­ment des inéga­li­tés sociales, et où, l’on nous dit, 10% des enfants souffrent de har­cè­le­ments de la part d’autres élèves, fait qui est pro­pre­ment inad­mis­sible, scan­da­leux, et qui pour le coup devrait pro­vo­quer la révolte et l’ac­tion de tous ces gens qui se disent de gauche, etc… Non, cette Education Nationale où il n’y a pour ain­si dire aucune expé­ri­men­ta­tion de péda­go­gies alter­na­tives, où les parents ont si peu de place (à peu près limi­tée à de la figu­ra­tion) est vrai­ment à réfor­mer. Pour le reste le texte de Philippe Torreton fait pen­ser. Il oublie aus­si, selon moi, la néces­si­té de mettre en place un véri­table Revenu de Base pour tous, c’est-à-dire pour cha­cun, pour mettre fin dans un pre­mier temps à la misère, ce qui devrait être une prio­ri­té abso­lue pour toute poli­tique véri­ta­ble­ment de gauche.

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  • Gian

    Jaurès, fon­da­teur de « L’Humanité », deve­nu après sa mort le tor­chon des stals : une autre belle tra­hi­son de l’Apôtre de la paix !

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