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République française. Trois cas de censure – et d’indignation – sur fond de Palestine et d’antisémitisme

Allez, je vais encore me faire des copains… Trois faits, trois nouvelles raisons de s’indigner – ce sport à la mode. De la faute à ce vieux Hessel à la peau blindée. Du haut de ses 93 hivers, il était donc là, sous son bonnet phrygien – avec cocarde aux couleurs de la Palestine – à affronter le froid devant 400 personnes place du Panthéon. Motif de sa nouvelle indignation : l’annulation d’une conférence qu’il devait tenir ce 18 janvier à l’École normale supérieure (dont il est issu…) Annulation ? Interdiction conviendrait mieux.

Stéphane Hessel en 2002. Peut-on être grand résistant et défenseur de la Palestine ? © Ph. gp

En tout cas il s’agit bien d’une censure : celle par laquelle la directrice de l'ENS, Monique Canto-Sperber, a répondu en obtempérant à la ministre de l’enseignement supérieur, Valérie Pécresse, elle-même fortement conseillée par le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et le Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme (BNVCA), dénonçant ce qui leur apparaissait comme un acte de soutien à la campagne de boycott de produits israéliens " Boycott, désinvestissement et sanctions ", campagne qui avait déjà reçu l'appui de Stéphane Hessel.

Comme le rapporte Le Monde du 20 janvier, « Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut ou encore Claude Cohen-Tannoudji, prix Nobel de physique, ont été félicités par Richard Prasquier, le président du CRIF, pour avoir " recommandé l'annulation du débat. "» Parmi les protestataires devant le Panthéon on relevait la présence de Cécile Duflot d'Europe Ecologie, Daniel Garrigue, député villepiniste, Alain Krivine, du NPA, ainsi que… Leïla Shahid, déléguée générale de l'Autorité palestinienne auprès de l'Union européenne, qui devait prendre part à la conférence interdite.

Deuxième affaire de censure : où l’on retrouve la même Leïla Shahid, à Marseille cette fois, dont la mairie UMP de Jean-Claude Gaudin lui a fermé la porte de l'école des Beaux-arts, où elle était invitée mercredi dernier à une conférence sur Jean Genet, dont elle était une amie proche. Motif ? "L'impossibilité d'assurer, dans des conditions optimales, la sécurité de cette personnalité mais également de l'ensemble des participants". On connaît ce genre d’argument sécuritaire, vieux comme la police politique. Heureusement, la conférence a pu se tenir à la Maison de la Région – président Michel Vauzelle (PS). Vive le pluralisme !

Troisième cas et non des moindres, l’exclusion de Céline des « célébrations » nationales de 2011. Voilà deux ans que l’événement se préparait en grandes pompes avec l’édition du Recueil des célébrations nationales dont c’est le 25e anniversaire. Le ministre de la culture a condamné les 10 000 exemplaires au pilon. Motif : la présence, dans cette brochure de 300 pages, de l'écrivain Louis-Ferdinand Céline (1894-1961), aux côtés de Philippe de Commynes, Théophile Gautier, Blaise Cendrars ou Frantz Fanon. Une présence jugée incompatible avec les "valeurs fondamentales de la nation et de la République", a avancé Frédéric Mitterrand.

Là, je cite à nouveau Le Monde [23/1/11] : « Un homme peut savourer sa victoire : Serge Klarsfeld. Mercredi 19 janvier, le président de l'Association des fils et filles de déportés juifs de France avait réclamé " le retrait immédiat de ce recueil ". A ses yeux, "les immondes écrits antisémites" de Céline rendaient en effet un tel hommage inadmissible. "Frédéric Mitterrand doit renoncer à jeter des fleurs sur la mémoire de Céline, comme François Mitterrand a été obligé de ne plus déposer de gerbe sur la tombe de Pétain", a déclaré l'avocat, qui se dit aujourd'hui "soulagé".

“ Le ministre s'est bien sûr défendu d'avoir agi "sous le coup de l'émotion ou de pressions contradictoires". Sa décision, a-t-il indiqué, a été prise "après mûre réflexion". Il est pourtant difficile de ne pas y voir une volte-face : si la présence de Céline l'embarrassait tant, comme il l'a affirmé devant son auditoire vendredi soir, pourquoi n'a-t-il pas décidé de s'y opposer avant que le recueil ne soit imprimé […], c'est-à-dire dès l'automne 2010 ? Un recueil dont il a lui-même signé un avant-propos enflammé où il se félicite qu'y soit évoquée " une histoire de France propre à charmer nos imaginations et nos esprits contemporains ».

Philippe Sollers s’est dit atterré, dénonçant “le ministre de la censure ». Tandis que pour Bernard-Henri Lévy (tiens !) « cette commémoration doit précisément servir à explorer l'énigme qui fait que l'on peut être à la fois un très grand écrivain et un parfait salaud." Tandis qu'on ne saurait prétendre être à la fois un grand résistant et un défenseur de la Palestine ?

Quant à Alain Finkielkraut (salut Alain, ça va ?), il ne craint pas davantage la contradiction puisqu’ "Il faut assumer l'héritage contradictoire de Céline » Et d’ajouter cependant : « Je suis surtout très inquiet des conséquences de cette décision, car cela va accréditer l'idée que le "lobby juif" fait la pluie et le beau temps en France."

« Lobby juif »… des lampes clignotent dans les officine spécialisés. Mais ce n’est pas moi qui l’ai dit !

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4 réflexions sur “République française. Trois cas de censure – et d’indignation – sur fond de Palestine et d’antisémitisme

  • Oui, tout cela est bien triste…
    En ce qui concerne le cas des com­mé­mo­ra­tions… et de Céline, c’est en outre stu­pide, car, comme le dit BHL, ça peut être inté­res­sant de s’in­ter­ro­ger sur ce qui peut paraître incom­pa­tible (mais en réa­li­té ne l’est pas): une intel­li­gence du mot, de la phrase, une sen­si­bi­li­té aigüe au monde… et une imbé­ci­li­té poli­tique abyssale.
    Les nazis aus­si pou­vaient être très sen­sibles à cer­taines formes d’art!!! C’est donc sur autre chose qu’on doit s’in­ter­ro­ger : sur la haine, et ce qui la fonde.

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  • faber

    Sans oublier le chef de gare Pépy et sa repen­tance tar­dive et obs­cène pour le rôle de la SNCF dans la dépor­ta­tion. Tout cela pour séduire les mar­chés amé­ri­cains et vendre du TGV outre atlan­tique. Qui a par­lé de lob­by juif ? Oh le vilain mot. Que les trains arrivent à l’heure et acces­sible pour tous serait déjà pas mal.

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  • agarrat rené

    pour info

    Cher Monsieur Hessel, chère Madame Shahid, chers participants,

    Je suis déso­lée de ne pou­voir assis­ter à cette impor­tante confé­rence. Mais je tiens à expri­mer mon admi­ra­tion à Monsieur Hessel, et à tous les par­ti­ci­pants et à vous assu­rer que je suis de tout cœur avec vous.

    J’ai lu l’é­di­to­rial du pré­sident du CRIF se féli­ci­tant de l’in­ter­dic­tion de notre confé­rence et remer­ciant des phi­lo­sophes et écri­vains hypo­crites et igno­rants, qui pérorent sous les ors des salons pari­siens et pensent briller en éta­lant leur prose « poli­ti­que­ment cor­recte » tout en igno­rant de manière éton­nante la vie réelle des gens dans les Territoires pales­ti­niens occu­pés et le carac­tère dic­ta­to­rial du gou­ver­ne­ment israé­lien actuel.

    L’ignorance et l’hy­po­cri­sie de ces gens n’est pas une négli­gence, mais un crime, car ils encou­ragent la ten­dance fas­ciste qui menace de nous noyer tous, en Israël, en Palestine et en France.

    En 2010, trente lois racistes visant les citoyens pales­ti­niens d’Israël ont été pro­po­sées en Israël et, pour la plu­part, approu­vées. Elles séparent des familles.

    Elles per­mettent de confis­quer des mai­sons et des terres, de refu­ser les trai­te­ments médi­caux néces­saires à des inva­lides, de détruire les mai­sons des Bédouins, de dis­cri­mi­ner des écoles quand elles sont druzes ou pales­ti­niennes, d’in­car­cé­rer des enfants.

    Bien plus, la jus­tice, qui devrait de pro­té­ger les gens contre cette ter­reur, obéit aux lois racistes d’un régime d’apartheid.

    Comme en Afrique du Sud autre­fois, toutes les dis­cri­mi­na­tions anti-pales­ti­niennes en Israël sont légales : nul n’est jamais puni pour les crimes per­pé­trés contre ces « non-citoyens ».
    En revanche, ce gou­ver­ne­ment où un Liebermann joue un rôle déci­sif consi­dère comme un péché mor­tel la résis­tance non-vio­lente à l’oc­cu­pa­tion, qui se déve­loppe dans les socié­tés pales­ti­nienne et israé­lienne contre les crimes et la répres­sion décou­lant de l’occupation.

    Ces der­niers temps, la police et l’ar­mée israé­liennes arrêtent des mili­tants des droits humains lors­qu’ils sont juifs, comme Yonathan Polack, et les tuent s’ils sont pales­ti­niens, tels Bassem Abu-Rahma et sa sœur, Jawahr.
    Les orga­ni­sa­tions droits-de-l’hom­mistes en ques­tion sont désor­mais sou­mises à des enquêtes bru­tales et humi­liantes par… les cri­mi­nels contre l’Humanité qui nous gouvernent.
    De sur­croît, la pau­vre­té touche plus l’Israélien que jamais, et ses prin­ci­pales vic­times sont les citoyens arabes.
    Et le monde se tait… Et le CRIF soutient.

    Cet appui au gou­ver­ne­ment le plus extré­miste de l’his­toire d’Israël, engen­dré par une peur irra­tion­nelle à l’é­gard de tous les goyim (non-juifs) et aus­si par la crainte réflexe de toute cri­tique, nous met tous en danger :
    c’est la cause prin­ci­pale de la mon­tée de l’an­ti­sé­mi­tisme en Europe.

    Ce sont ces Juifs-là, ces phi­lo­sophes et écri­vains igno­rants et hypo­crites qui ali­mentent la haine qui s’af­firme contre les autres Juifs. D’autant qu’ils com­battent la liber­té de pen­sée en France et ailleurs, et pré­tendent inter­dire toute cri­tique contre la poli­tique cri­mi­nelle et raciste d’Israël.
    Ainsi la fas­ci­sa­tion nous menace vous et nous, ici et là-bas. Les Juifs fran­çais devraient com­prendre que sou­te­nir un régime fas­ciste et cruel n’est ni juif ni humain et se rap­pe­ler la leçon de Hillel : « Aimez votre pro­chain comme vous-mêmes, voi­là à quoi se résume toute la Torah. »

    Ici, à Jérusalem, notre pro­chain, c’est le Palestinien. La moi­tié de la popu­la­tion domi­née par Israël est palestinienne.
    C’est pour­quoi sou­te­nir Israël, c’est sou­te­nir les citoyens d’Israël, juifs comme arabes. Soutenir Israël signi­fie sou­te­nir des per­sonnes comme Haneen Zoabi, qui lutte avec un cou­rage et une téna­ci­té admi­rables pour une vraie démocratie.
    Lutter pour un Etat d’Israël démo­cra­tique, c’est insé­pa­ra­ble­ment lut­ter pour une Palestine libre,
    C’est aus­si mili­ter pour les droits des « non-citoyens » d’Israël, c’est-à-dire les Palestiniens des Territoires occu­pés, trai­tés comme des esclaves, concen­trés et incar­cé­rés dans des camps énormes au sein même de leur propre pays, pri­vés de tous les droits humains et civils.

    Soutenir Israël, cela veut dire libé­rer Israël de son régime cri­mi­nel, des accords illé­gaux, des colo­nies de lar­rons, boy­cot­ter leurs mar­chan­dises – pro­duits de terres volées, de l’eau volée, et chan­ger Israël en un pays où cha­cun peut vivre dans la dignité.

    Tels sont les prin­cipes de sa Déclaration d’Indépendance d’Israël que les juifs du CRIF ont oublié – à moins qu’ils ne l’aient jamais lue ?

    Moi, mon grand-père a signé cette Déclaration, et je ne peux donc pas l’oublier.

    J’espère que ce mes­sage arri­ve­ra aux oreilles de ces Juifs fran­çais que rend sourds la pro­pa­gande du régime raciste d’Israël, des oreilles bou­chées par le ter­ro­risme intel­lec­tuel du CRIF.

    Nurit Peled-Elhanan, mère israe­lienne d’une vic­time d’attentat,
    pro­fes­seur à l’u­ni­ver­si­té hébraique de Jérusalem,
    prix Sakharov du Parlement européen.

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  • Gérard Ponthieu

    Mme Monique Canto-Sperber, direc­trice de l’Ecole nor­male supé­rieure (rue d’Ulm), a fait valoir sa posi­tion sur cette affaire dans Le Monde du 28 jan­vier. En voi­ci un extrait :

    « Voici les faits. A la mi-décembre 2010, une demande de réser­va­tion de salle éma­nant d’un cher­cheur de l’ENS m’a été sou­mise. Il s’a­gis­sait de réunir autour de Stéphane Hessel des nor­ma­liens et quelques per­son­na­li­tés pour débattre de la liber­té d’ex­pres­sion. A cette requête, j’ai don­né évi­dem­ment mon accord. Stéphane Hessel sera tou­jours accueilli dans notre école pour expo­ser ses idées et dis­cu­ter avec nos élèves. J’ai eu maintes fois l’oc­ca­sion de le lui dire.

    Le 7 jan­vier, des amis m’ont trans­mis l’an­nonce de la réunion telle qu’elle cir­cu­lait très lar­ge­ment sur de nom­breux sites. Je regrette qu’au­cun des articles qui ont consa­cré tant de colonnes à com­men­ter ma déci­sion n’ait jugé bon de repro­duire cette affiche. Chacun aurait pu consta­ter qu’il ne s’a­gis­sait aucu­ne­ment d’une réunion interne à notre école entre Stéphane Hessel et des élèves, mais d’un mee­ting orga­ni­sé par le col­lec­tif Paix Justice Palestine​.org, qui sou­tient, entre autres, le boy­cot­tage des uni­ver­si­taires israé­liens. L’appel lar­ge­ment dif­fu­sé lais­sait pré­voir une assis­tance impor­tante et tota­le­ment exté­rieure à l’é­cole. J’ai aus­si­tôt pris la déci­sion d’an­nu­ler la réser­va­tion de la salle.

    J’avais été trom­pée sur la nature exacte de cette réunion, ce qui est à soi seul un motif d’an­nu­la­tion. L’Ecole nor­male supé­rieure est un éta­blis­se­ment de recherche et d’en­sei­gne­ment. Elle est aus­si un lieu de débat, de réflexion, et de cri­tique. Elle abrite de nom­breux cercles d’é­tudes poli­tiques. Y sont sou­vent orga­ni­sées des réunions sur des sujets liés à l’ac­tua­li­té, y com­pris celui du Moyen-Orient, avec le sou­ci d’une plu­ra­li­té mini­male de points de vue et le sou­hait d’un appro­fon­dis­se­ment dans la connais­sance et la réflexion. »
    Le direc­trice de l’é­cole dément par ailleurs toute pres­sion du CRIF dans cette affaire.

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