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Retour en force du nucléaire. « L’être humain n’est pas fait pour le nucléaire. », témoigne un sous-traitant accidenté

Je viens de recevoir, sur ce blog, un touchant témoignage venu en commentaire d’un précédent papier (« Encore un incident nucléaire au Tricastin : cent personnes contaminées »). Frédéric Rage apporte son témoignage personnel qu’il intitule « Le mensonge nucléaire » : « Ancien salarié d’un société sous-traitante pour le nucléaire, je travaillais sur des conteneurs de transport de type A en casmat à la SOCATRI, j’ai été contaminé, j’ai pris à moi seul 300 millirems de cobalt, depuis je fais des crises de tachycardie (16 g. de mauvais cholestérol) preuves à l’appui, j’aurai dû être dans le coma. j’ai mon aînée qui a fait de l’eczéma à la naissance, maladie très rare chez un nourrisson (preuves à l’appui). L’être humain n’est pas fait pour faire du nucléaire. 
Je n’ai jamais eu mon dossier médical, aucune indemnisation, tout est caché à Eurodif.
 Si une personne a les moyens, je voudrais bien récupérer mon dossier à Eurodif.
 J’ai été contaminé en 1992. »

« L’être humain n’est pas fait pour faire du nucléaire », ponctue Frédéric, qui sait de quoi il témoigne, jusque dans sa chair. Avec d’autres, déjà innombrables, de Tchernobyl à Tricastin en passant par toute la chaîne des « incidents » nucléaires, il pointe d’un doigt accusateur les limites d’une technique censée apporter le Progrès. La technique ne rend jamais l’homme meilleur, ni plus sage. Elle lui permet de mieux griller sa tartine du matin. Mais que fera-t-il ensuite de sa journée ?

Revenons sur ce qu’il faut bien appeler le retour en force du nucléaire, réchauffé sur le dos du climat…

En tant que sceptique « patenté » (par moi-même…), je n’ai rien a priori contre les climato-sceptiques. Du moins jusqu’à ce qu’ils rappliquent avec leurs autres certitudes, les mêmes, en négatif, qu’ils opposent à ces néo-croyants que sont les prêcheurs de l’apocalypse. Je ne saurais dénier, comme une probabilité, la perspective de ladite apocalypse – celle de la fin d’un monde fini, si l’on s’en tient aux lois physiques et non pas aux spéculations surnaturelles. Mais si tout ça n’est quand même pas pour demain, ce n’est pas une raison pour en hâter la venue, ni surtout pour gâter cette « bonne vie » sur terre ; ni pour s’interdire d’espérer en elle et de se battre pour la faire advenir – du moins pour ceux, les plus nombreux, qui en sont exclus.

Alors, même en admettant que la question du réchauffement climatique puisse se discuter, je ne vois rien qui empêche de préserver la qualité de vie ici bas et donc d’empêcher autant que possible la pollution éhontée de la planète, c’est-à-dire son exploitation la plus vorace. En quoi la lutte écologique ne peut manquer d’être scientifique – et politique.

Mais l’animal humain s’avère particulièrement tordu et même vicelard. Ainsi, spéculant sur l’Apocalypse (majuscule) à qui mieux-mieux claironnée, peut-il oser sans vergogne en vanter une autre, encore plus possiblement terrible ! C’est ce qu’on a pu voir hier soir sur France 3 dans un excellent documentaire, « Nucléaire en alerte »*. On y voit entre autres – c’est ce qui m’a le plus horrifié –, deux représentants (comme on dirait des VRP) d’Areva, se pourlécher les babines à l’idée de se goinfrer avec les commandes de centrales nucléaires en train d’affluer du monde entier !

Ainsi les alerteurs par excès en arrivent-ils à produire des effets contraires à ceux qu’ils souhaitent produire. Tandis que nous serions tous perdants. A la fois sur le plan climatologique : car, même en décuplant dans les cinquante ans qui viennent, le nombre des réacteurs nucléaires dans le monde, on sait que cela n’aurait pas d’incidence notable sur l’effet de serre et sur les dérèglements climatiques. A fortiori si ces dérèglements, comme le prétendent les climato-sceptiques, étaient dus pour partie aux cycles du soleil. Mais plus encore nous serions perdants sur le plan de la sécurité physique et sanitaire, ce qu’a bien montré le documentaire « Nucléaire en alerte ». En multipliant par dix, ou plus, le nombre d’installations nucléaires dans le monde, on multiplierait d’autant les risques d’accidents et la production de déchets, leur transport, leurs retraitements, leurs stockage, sans oublier les tentations et tentatives terroristes aboutissant à d’inévitables disséminations et contaminations dans le monde entier. Sans ignorer la tension qui se produira sur les réserves, elles aussi limitées, de minerai d’uranium.

Il est une variété de scientifiques particulièrement dangereuse, agissant comme des néo-croyants, pèlerins de leur dogmatique infaillibilité et à ce titre se prenant même pour Dieu. Ils ne sont peut-être pas majoritaires mais demeurent très influents auprès de leurs pendants intégristes qui sévissent dans les sphères politiques et économiques. Un Claude Allègre serait de ceux-là, bien qu’il semble ajouter quelques gouttes de moindre suffisance dans son vin de certitude (serait-il, à ce prix, à nouveau ministrable ou retraitable en sarkozie ?). Ainsi, dans Le Monde [4/3/10] vient-il d’en rabattre un coup en recentrant l’affaire du climat sur plus de réflexion questionnante. Extraits : « La planète est-elle menacée de réchauffement ? Oui, de deux ou trois degrés dans… un siècle. Mais elle est aussi, peut-être, menacée de refroidissement. Faut-il continuer à s’agiter dans des colloques sans rien faire ou faut-il, comme nous le suggérons, s’adapter à toutes les éventualités ?

« Le CO2 est-il une menace ? L’excès de CO2, évidemment. Et cet excès doit être combattu car, par exemple, il acidifie l’océan et, de toute manière, il est de bonne pratique d’économiser les énergies fossiles. Mais, en l’état, tout lui imputer – donc tout imputer à l’homme -, c’est s’égarer.

«  Y a-t-il une idéologie du réchauffement climatique ? C’est une évidence. Il faut retrouver les lois élémentaires du débat scientifique – ouvert, contradictoire, sans a priori -, mais certains écologistes (ou se présentant comme tels) s’arc-boutent : hors de notre pré carré, disent-ils, point de salut. De quoi ont-ils peur ? »

Certes, les écologistes, – la plupart sans doute – ont peur. Il y a de quoi et c’est pourquoi leur frousse est devenue contagieuse, sous des allures parfois messianiques. On l’explique, s’agissant du nucléaire – j’y reviens – qui constitue le vrai risque majeur, autrement menaçant à plus court terme que le réchauffement du climat. Parce que la probabilité d’un accident est liée en proportion à la complexité des techniques, donc à leurs faiblesses, aggravées par les propres faiblesses humaines (huit accidents sur dix sont dus à l’homme). C’est en quoi les VRP d’Areva – et leurs complices politico-marchands – se comportent en vulgaires et irresponsables profiteurs. Ils spéculent notamment sur le temps qui a émoussé les mémoires à propos de Tchernobyl (1986) et aussi, avant et après, d’une litanie d’incidents et d’accidents plus ou moins passés à la trappe de l’actualité spectaculaire. Le documentaire montré hier sur France 3 a bien rappelé l’impérieuse réalité du risque nucléaire, qui n’a rien à voir avec le risque industriel « ordinaire ». Une catastrophe nucléaire cause des dégâts humains, écologiques, économiques exorbitants – c’est-à-dire sortant de l’acceptable, même comptablement, dans le rapport « avantages/coûts ».

L’exercice de crise montré hier à la télévision, tel que EDF et ses partenaires de sûreté les pratiquent régulièrement, est censé rassurer les populations tout en faisant admettre la probabilité de l’accident… Douteux et putassier paradoxe, enfoncé à coups de « com’ » envers une citoyenneté résignée, les habitants du Cotentin en l’occurrence à qui l’on a imposé – hors consultation démocratique, car personne n’en aurait voulu –, de vivre dans la zone la plus nucléarisée du monde : deux réacteurs nucléaires et un troisième en construction (EPR), la plus grosse usine de retraitement des déchets radioactifs (La Hague) et en prime une base de sous-marins nucléaires (Cherbourg).

S’ils ont vu le film « Nucléaire en alerte » (diffusé de 23 heures à minuit et demi…), ils auront pu en faire quelques cauchemars. En découvrant par exemple que les fameuses enceintes de confinement en béton (le dôme) s’avèrent poreuses aux gaz radioactifs et que, de plus, elles ne résisteraient pas à une surpression interne liée à la fonte du cœur d’un réacteur en perte de contrôle. Une simulation a d’ailleurs montré son explosion, qui aurait les effets d’un autre Tchernobyl. C’est pourquoi, les nouveaux réacteurs EPR en construction (problématique) ajoutent une protection en acier doublant le dôme de béton. Et quoi d’autre encore pour protéger l’enceinte d’acier ? et continuer ainsi à habiller la poupée russe qui symbolise bien, hélas, la fuite en avant face à une énergie injustifiable. Comme disait jadis le slogan, « l’assurance ne paraît chère qu’avant l’accident ».

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* Nucléaire en alerte, de Thomas Johnson, France 2009. 105 mn. Rediffusion ce 5 mars à 2 h 30…

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