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Sarkozy. Du masque d’acteur à la personne

« I’ s’voyait déjà… » Il s’y voit même sacrément en haut de l’affiche – sur la plus haute marche –, et d’ailleurs il y sera peut-être. Cette possibilité serait dans l’ordre normal de toute élection – enfin, de toute élection normale consistant à choisir un président ou un(e) autre, selon les usages plutôt démocratiques, moyennant quelques excès – d’ailleurs surtout oratoires. L’Histoire récente a ainsi pu en voir passer une palanquée : des de Gaulle, des Pompidou, Giscard, Mitterrand et jusqu’à Chirac qu’on aura bien charrié et qui l’avait tant mérité. Mais de tous ceux-là, et sans remonter au Déluge politicien, on s’est toujours accommodé, et même lors des scrutins sans autre appréhension exagérée. Quand on est allé jusqu’à flairer le dictateur sous le képi du Général, ce fut, il faut le reconnaître, en une sorte d’enflure d’opérette, une de ces pagnolades dont avec le recul on ne se lasse pas de rigoler.

Mais Lui… Nous fera-t-il rire, sinon jaune ? La question est bien celle-là, posée autour de sa personne. Tant le propos et le geste, le parleur et l’acteur semblent multiples, insaisissables et comme tels angoissants. Persona en latin a d’abord désigné le « masque d’acteur » ; puis le « rôle » et le « caractère », enfin l’« individu ». Amalgame tissé par l’étymologie, expression du destin des mots et de leurs sens. La « personne », incarne les choses et des mots dans la confrontation à la vie. Dépouillée de ses guillemets, la personne – toi, moi – c’est l’expression de sa propre histoire, de ce qui nous a faits au fil du temps et des expériences, qui illumine ou éteint notre regard, forge esprit et corps, jusqu’aux rides et cicatrices. C’est le fameux style, selon Paul Valéry.Peu ou prou, toute rencontre entre humains en passe par cette sorte d’évaluation autour de la personne. Qui est-il, qui est-elle ? Quid du masque et de sa parole ? De cette congruence de l’être chez qui, en bon équilibre interne, la bouche et les yeux et le corps entier parlent un même langage.

Cela vaut pour chacun, y compris pour tout aspirant au Pouvoir. Et chaque rencontre humaine se voit plus ou moins assujettie à cette appréciation mutuelle. Alors on s’apprécie, ou pas. Selon les réglages réciproques des codes d’expression, ceux qui vont nous faire apparaître à l’autre, donner envie ou pas de se connaître.

Bien sûr, ces processus d’approche sont par définition subjectifs et agis par des codes complexes, résultant eux aussi de ce que nous sommes et de la propre perception que nous avons de nous-même – l’idée de soi, plus ou moins haute, on le sait, et ça se voit… A quoi se mêlent les acquis culturels et idéologiques. Un fatras que cette « cybernétique » humaine, cette « mécanique » du vivant par laquelle chacun va tenter de se « gouverner » dans la vie.


Se gouverner, chacun se débrouille en n’engageant que lui – et aussi son entourage, certes. Mais quand il s’agit de cette prétention à gouverner les autres… Oui, quand il s’agit bien de cela, alors un peuple digne se doit d’y regarder à deux fois, de savoir à quoi l’autre va l’engager – en son nom et peut-être même dans son dos ! D’où les interrogations sur la personne – ou les deux personnes candidates, si on veut. Mais c’est l’une des deux qui me préoccupe, et même me fait peur comme jamais. Car tant de démonstration de sa part à prétendre qu’il a changé ; tant de mouvements d’impatience, de brutalité rentrée, de tensions corporelles, d’attitudes calculées ; tant de témoignages sur ses explosions colériques ; tant de puérilité confondante dans ses appels à l’amour des 60 millions de Français ; tant de refus à l’introspection, au questionnement de soi ; tout cela, soudé à une aussi insatiable boulimie de Pouvoir, tout cela m’effraie assez pour ne pas retenir un cri d’alerte !

C’est fait. 

Et en même temps, je sais bien que la moitié de mes semblables humains, ci-devant citoyens de la République française, s’embarquent avec leur candidat dans les limbes d’une identification bienheureuse, sinon béate. Comme s’il s’agissait de la perception d’un autre monde, d’autres valeurs, d’une vision toute autre. C’est d’ailleurs le cas. 

Je regarde cette photo [Michael Zumstein / Œil Public, Le Monde] ; elle me sidère. Ce sont des jeunes UMP, salle Gaveau à l’heure des résultats du premier tour. Serait-ce si différent au siège du PS au même moment ? L’euphorie militante ne conduit-elle pas à des emballements semblables avec perte du sens critique, et du moins de toute distance avec l’objet d’adulation ? Cette jeune fille au bord de la crise de larmes. Que recouvre au fin fond d’elle-même cette croyance qu’elle manifeste ainsi en une attitude de transe ? Et le cri si profond de ce jeune homme… quelle angoisse tout aussi profonde conjure-t-il ainsi avec tant d’énergie tendue ? Effet de miroir renvoyant l’image de l’icône adulée, le prophète qui conjure l’apocalypse : le Messie qui va apparaître.

« Je ne trahirai pas !… Je ne mentirai pas !… » martèle le présidentiable – sans doute à son intention, puisque personne ne lui en demande tant, comme s’il s’agissait de se persuader d’une non-évidence. Son plus grand ennemi : lui-même. Celui qu’il ne voudrait surtout pas connaître, ni rencontrer dans un miroir non complaisant, étalant ses ressorts intimes. Je repense à ce passage de son entretien avec Michel Onfray [voir à ce propos, sur ce blog : « Dans le comment de Sarkozy, le bruit de ses mots, le vacarme de son corps même »] , tel que celui-ci le raconte : «Dans la conversation, il confie qu’il n’a jamais rien entendu d’aussi absurde que la phrase de Socrate «  Connais-toi toi-même ». Cet aveu me glace – pour lui. Et pour ce qu’il dit ainsi de lui en affirmant pareille chose. Cet homme tient donc pour vain, nul, impossible la connaissance de soi ? Autrement dit, cet aspirant à la conduite des destinées de la nation française croit qu’un savoir sur soi est une entreprise vaine ? Je tremble à l’idée que, de fait, les fragilités psychiques au plus haut sommet de l’État, puissent gouverner celui qui règne ! » 

L’ego, rien de mal en soi ! Comment faire sans d’ailleurs ? Là encore, question de mesure – ou de démesure. Quand l’amour de soi atteint des dimensions exorbitantes, il exprime sans doute un manque de taille proportionnelle et aussi une grande souffrance. Tant d’effusions démonstratives, tant d’exigence d’amour. Avec Onfray encore : « Il affirme faire de la politique pour être aimé. “Comme tout le monde dit-il, parce que tout le monde a envie d’être aimé“. Étrange d’avoir choisi la politique, un monde en noir et blanc où l’on aime si peu, et où l’on déteste tant, même et surtout avec les protagonistes de son propre camp. En politique, il n’y a que des alliances opportunistes, des amitiés de tactique, des liaisons de stratégie aussi vite conclues que dénoncées. »

L’élection se noue autour de cette perception de la personne. De l’un ou l’autre des candidats. Pas tant sur les programmes, déjà largement étalés et, au fond, secondaires – qu’on le déplore ou pas. La surmédiatisation, surtout par l’image, a fait passer au second plan le débat de fond. La forme l’emporte. Mais la forme aussi fait sens – c’est « …le fond qui remonte à la surface », disait Victor Hugo. Je pense aussi à Charles Péguy : « Ne me parlez pas de ce que vous dites ! Parlez-moi de comment vous le dites ! » En quoi le débat du 2 mai sera déterminant pour la vérité exprimée par les personnes opposées. Non pas, je crois, qu’il fasse beaucoup changer les choix électoraux déjà prédéfinis depuis les profondeurs de chacun, selon son histoire, ses croyances et ce qui aura produit son systèmes de valeurs et sa vision du monde. Je ne saurais imaginer qu’un de mes confrères, rencontré il y a peu, appelant Ségolène Royal « la salope » puisse être sensible à quelque argument que ce soit… 

Mais le débat prendra date pour l’Histoire. Et s’y chacun se reconnaît dans l’un(e) ou l’autre, que ce soit aussi au bénéfice du précepte socratique qui en effraie certain : « Connais-toi toi-même ». A quoi le philosophe grec ajoutait comme une promesse céleste: « Et tu connaîtras l’univers et les dieux ».

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