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Titanic amer 2015 – en avant toute vers la cata !

par Serge Bourguignon*

Prenons cet article pour un signe des temps : celui d'un (possible) retour vers les utopies. À preuve, cette référence (ci-dessous) à l'An 01, de feu Gébé, de la bande d'Hara-Kiri et co-auteur avec Jacques Doillon, Alain Resnais et Jean Rouch, du film du même nom (1973). À preuve, surtout, l'objet même de ce raccourci stimulant qui donne à (entre)voir le cargo Capitalisme lancé plein cap sur la catastrophe. En quoi il serait grand temps de repenser l'avenir !

Aujourd'hui plus qu'hier, la grande majorité des habitants des pays surdéveloppés est comme abasourdie par une prolifération fantastique d’absurdités criantes. Le confort minimal garanti hier encore par l’Etat Providence est désormais remis en question par l’immondialisation de l'économie,  et ce sont les mieux lotis qui expliquent aux moins bien lotis qu’il est temps d’expier la grande dette économique par une grande diète sociale.

La liberté despotique des mouvements de capitaux a détruit des secteurs entiers de la production et l’économie mondiale s’est transformée en casino planétaire. La règle d’or du capitalisme a toujours été, dès la première moitié du XIXe siècle,  la minimisation des coûts pour un maximum de profits, ce qui impliquait logiquement les salaires les plus bas pour une productivité la plus haute possible. Ce sont des  luttes politiques et sociales qui ont contrecarré cette tendance, en imposant des augmentations de salaires et des réductions de la durée du travail, ce qui a créé des marchés intérieurs énormes et évité ainsi au système d’être noyé dans sa propre production.

Le capitalisme ne conduit certainement pas naturellement vers un équilibre, sa vie est plutôt une succession incessante de phases d’expansion – la fameuse expansion économique – et de contraction – les non moins fameuses crises économiques. Les  nouvelles politiques d’interventions de l’Etat dans l’économie, dès 1933 aux Etats-Unis, pour une meilleure répartition du produit social ont été rageusement combattues par l’establishment capitaliste, bancaire et académique. Pendant longtemps les patrons ont proclamé qu’on ne pouvait pas augmenter les salaires et réduire le temps de travail sans entraîner la faillite de leur entreprise et celle de la société tout entière ; et ils ont toujours trouvé des économistes pour leur donner raison. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale qu’augmentations des salaires et régulation étatique ont été acceptées par le patronat, ce qui a entraîné la phase la plus longue d’expansion capitaliste : les « Trente Glorieuses ».

Dès les années 1980, cet équilibre entre le capital et le travail a été détruit par une offensive néo-libérale (Thatcher, Reagan et, en France, dès 1983, Mitterrand) qui s’est étendue à toute la planète. Cette contre-révolution économique a permis  un retour insensé au « libéralisme » sauvage, qui a profité aux grandes firmes de l’industrie et de la finance. Par ailleurs, la monstruosité devenue évidente des régimes soi-disant communistes et réellement totalitaires (ce n’était pas la dictature du prolétariat, mais la dictature sur le prolétariat) a discrédité pour longtemps l’idée même d’émancipation sociale. L’imaginaire capitaliste a fini par triompher.

À tremper sans vergogne dans les eaux glacées du calcul égoïste, les décideurs ont perdu toute lucidité. Ils ont ainsi éliminé les quelques garde-fous que 150 ans de luttes avaient réussi à leur imposer. Les firmes transnationales, la spéculation financière et même les mafias au sens strict du terme mettent à sac la planète sans aucune retenue. Ici il faudrait accepter de se serrer la ceinture pour être concurrentiels. Les élites  dirigeantes se goinfrent  de manière décomplexée, tout en expliquant doctement à la population médusée qu’elle vit  au-dessus de ses  moyens. Aucune « flexibilité » du travail dans nos vieux pays industrialisés ne pourra résister à la concurrence de la main-d’œuvre « à bas coût » (comme ils disent) de pays qui contiennent un réservoir inépuisable de force de travail. Des centaines de millions de pauvres sont mobilisés brutalement dans un processus d’industrialisation  forcenée. Et là-bas comme ici, ce sont des hommes que l’on traite comme quantité négligeable,  c’est notre Terre patrie et ses habitants que l’on épuise toujours plus.

Toujours plus, toujours plus … mais toujours plus de quoi ? Plus d’intelligence et de sensibilité dans nos rapports sociaux ? Plus de beauté dans nos vies ?  Non. Le superflu prolifère, alors que le minimum vital n’est même pas toujours là, et que l’essentiel manque. Plus de téléviseurs extra-plats, plus d’ordinateurs individuels, plus de téléphones portables. C’est avec des hochets qu’on mène les hommes. « Nulle part il n’existe d’adulte, maître de sa vie, et la jeunesse, le changement de ce qui existe, n’est aucunement la propriété de ces hommes qui sont maintenant jeunes, mais celle du système économique, le dynamisme du capitalisme. Ce sont des choses qui règnent et qui sont jeunes ; qui se chassent et se remplacent elles-mêmes. », écrivait déjà Guy Debord en 1967 dans La Société du spectacle.

un-pas-de-côté
Dessin de Gébé.
La société libérale avancée (pour ne pas dire avariée…) est en phase de décomposition et, comme au temps de la décadence de l’Empire romain, Du pain et des jeux est le credo abrutissant des immenses foules solitaires. Toutefois, de belles et bonnes âmes prônent l’adoption d’un développement durable, plus doux pour les humains et leur environnement : on ralentirait  les processus dévastateurs, on consommerait moins de combustibles fossiles, on ferait des économies, etc. Mais c’est  un peu comme si l’on conseillait au commandant du Titanic de simplement réduire la vitesse de son vaisseau pour éviter l’iceberg naufrageur, au lieu de lui faire changer de cap.Le dessinateur utopiste Gébé était beaucoup plus réaliste quand il écrivait dans L’An 01, au début des années 1970, cette formule provocante :« On arrête tout. On réfléchit. Et c’est pas triste. »Un tel propos peut sembler dérisoire, pour ne pas dire révolutionnaire. Mais tout le reste, toute cette réalité qui se morcèle  sous nos yeux, n’est-ce pas  plus dérisoire encore ?Nous avons toute une multitude de chaînes à perdre. Des douces et des moins douces…Et nous avons un monde tout simplement vivable à reconstruire.Ce sera maintenant ou jamais...

* Un simple citoyen, Paris, le 25 mai 2015 onreflechit@yahoo.fr

 • Une première version de ce texte est parue le 1er mai 2010 sous le titre "Titanic Amer"
sur le Blog de Paul Jorion, consacré au déchiffrage de l'actualité économique (www.pauljorion.com/blog).

• Pour mieux comprendre dans quel monde étrange nous vivons, on peut lire La  "rationalité" du capitalisme (dont la première partie de ce texte est librement inspirée), de Cornélius Castoriadis, disponible en poche dans Figures du pensable (1999).

• Le film L'An 01 peut être vu en entier ci-dessous - tout de suite (1h 24). 

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4 réflexions sur “Titanic amer <span class="numbers">2015</span> – en avant toute vers la cata !

  • Je le dis depuis tou­jours : Arrêtons de TRAVAILLER ! On a le temps de par­ler, on ne pol­lue plus du tout pen­dant ce temps-là et on enri­chit per­sonne. LA GRÈVE !!! que diable !

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  • Méc-créant

    Au hasard de mes explo­ra­tions dans la jungle du Net, far­cie de pages pas très au net (jeu de mots!), j’ai atter­ri sur votre article.J’ai consta­té avec un (tout petit) fré­mis­se­ment d’es­poir que le terme « immon­dia­li­sa­tion » com­mence petit à petit à s’ins­crire et à s’é­crire dans un lan­gage de véri­té en atten­dant que ce soit dans un nou­veau dic​tion​naire​.Je n’en reven­dique nul­le­ment la pater­ni­té (encore qu’en bonne socié­té capi­ta­liste il y aurait sûre­ment un com­bat juri­dique à mener dans la pers­pec­tive que la pri­mau­té de « l’in­ven­tion » puisse garan­tir des reve­nus sub­stan­tiels) mais j’a­vais uti­li­sé ce mot ‑simple néologisme…néolibéral- en rédi­geant un texte à pro­pos des pre­mières élec­tions au par­le­ment européen…pour lequel je n’ai jamais voté, car simple ins­tru­ment de mani­pu­la­tion idéo­lo­gique et psy­cho­so­ciale visant à don­ner un ersatz de ver­nis à une construc­tion essen­tiel­le­ment anti­dé­mo­cra­tique, une façon de faire ren­trer par la fenêtre une « Europe » que les popu­la­tions indis­ci­pli­nées auraient pu vou­loir foutre à la porte. Aussi, j’ai fini par réa­li­ser un blog dont le titre annonce la cou­leur : Immondialisation:peuples en solde ! dans lequel je pré­sente des vieux textes, me disant qu’ils auraient peut-être main­te­nant une réso­nance dif­fé­rente. Si cer­tains vont y voir, tout avis cri­tique sera le bienvenu.
    Méc-créant.

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      • Méc-créant

        Comme mon adresse cour­riel le laisse peut-être à pen­ser, je suis par­ti­cu­liè­re­ment ignare en ce qui concerne les mys­tères éso­té­riques de l’in­for­ma­tique et d’Internet, tant pour les mani­pu­la­tions à accom­plir que pour le déco­dage de termes ou sigles, tota­le­ment her­mé­tiques pour moi.J’ai signa­lé dans mon com­men­taire le titre du blog : « Immondialisation:peuples en solde ! ». Il suf­fit de le taper, de l’ins­crire dans le rec­tangle de « recherche » pour pou­voir le décou­vrir. J’ai cepen­dant essayé à nou­veau de l’ins­crire dans votre cadre « site (ou blog) éven­tuel » mais je ne sais pas si cela se révè­le­ra plus appro­prié. Désolé pour mon igno­rance, bien que ce ne soit pas celle qui m’ob­sède le plus. Mais, petit à petit…
        Méc-créant.

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