« La carte n’est pas le territoire ». Le cas de la Corse, cette presqu’île…
La représentation que nous nous faisons de la réalité n'est pas la réalité elle-même. Cette constatation, qui paraît frappée au coin du «bons sens», a pourtant bouleversé bien des discours sur la perception du «réel». Elle ne date pas d’hier, diront déjà les routards de l’évidence, familiers de Platon, le plus fameux cinéaste de l’Antiquité et son «best of», le Mythe de la caverne.
Pourtant, la reformulation de la problématique de la perception par la théorie de la sémantique générale – excusez du peu – a permis de reconsidérer les a priori de la communication, voire de la connaissance. Car il n’est pas un domaine de l’activité humaine qui ne bute sur le précepte selon lequel «La carte n’est pas le territoire». Cette théorie, on la doit au départ à Alfred Korzybski – mais je m’arrêterai là, vous pourriez croire que j’étale ma science, laquelle ne va guère bien au delà.
Car le but ici est d’introduire la réflexion qui suit de Christian Le Meut sur les représentations politiques liées aux cartographies et à leurs interprétations. Le cas de la Corse s’étend à la représentation géopolitique du monde, et vice versa – d’où les illustrations jointes, qui en disent long. Cette question de la perception du «vrai», de l’ «objectif», etc. devrait concerner en tout premier lieu les journalistes.
La Corse, cette presqu’île…
Par Christian Le Meut
Le Prix de l'Humour politique 2004 a été attribué au président de l'assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré pour avoir déclaré à propos de la Corse: «Je n'imagine pas un instant cette île séparée du continent». Et c’est bien là le problème, car elle l’est, séparée du continent. C’est même le principe d’une île que d’être coupée du continent et entourée d’eau. Si ce n’est pas le cas, elle devient autre chose, une presqu’île, par exemple.
Il est vrai que les représentations de l’Hexagone induisent souvent une erreur d’appréciation. Beaucoup de cartes météos, à la télévision et dans les journaux, déplacent la Corse pour la rapprocher de l’Hexagone et la placer à quelques kilomètres du rivage niçois, alors qu’elle en est à 200 kilomètres... L’objectif est de prendre le moins d’espace possible, mais avec le risque de fausser la vision des lecteurs et téléspectateurs... Même mon quotidien régional préféré procède ainsi.
Quand on regarde une carte respectueuse des distances, on voit que la Corse n’est qu’à quelques kilomètres... de la Sardaigne; qu’elle est bien plus proche de l’Italie continentale que de la France continentale.
C’est ainsi, nos représentations du monde dépendent aussi des cartographes, voire des M. et Mme Météo. Loin de moi l’idée que ce soit le cas de M. Debré. Un président de l’assemblée nationale, ancien ministre de l’intérieur, a forcément une bonne connaissance de la géographie et sait où se trouve la Corse. Loin de moi l’idée qu’il soit nul en géographie...
Depuis quelques années, des associations tiers- mondistes diffusent une carte du monde diffé- rente de la représen- tation habituelle. Cette carte a été mise au point par un géographe, Peters, et tient compte de l’exacte superficie des continents.
Ainsi, l’Europe se trouve largement rétrécie par rapport à la représentation que nous en avons d’habitude. Alors que l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie sont beaucoup plus vastes que ce qui est représenté habituellement. Les géographes et les cartographes, des scientifiques pourtant, ont souvent tendance à reproduire les représentations du monde qu’ils ont apprises de leurs maîtres, sans chercher à aller voir au delà...
De ce point de vue, la phrase de M. Debré nous invite à réfléchir : quelle connaissance avons-nous de la Corse, de ses différences, de son histoire, de sa culture, si nous n’avons même pas une conscience réelle de l’endroit où elle se situe? Comment comprendre le monde si notre vision et notre représentation sont faussés ?
Je vous laisse sur ces interrogations philosophiques et sur une autre phrase remarquable, mais de notre premier ministre Jean-Pierre Raffarin cette fois. Elle est sur les rangs pour le prix de l’humour politique 2005. Je cite : «Les veuves vivent plus longtemps que leurs époux». Là aussi, il y a de quoi méditer.
––> A propos des cartes: En haut, la représentation "météo" ("La Provence") qui rend la proximité si proche… qu'un pont entre le Cap corse et le continent devient fortement envisageable.
En dessous, la représentation de la réalité semble plus conforme: l''île de beauté" se situe bien entre Sardaigne et Italie.
Le planisphère de Arno Peters (1974) représente la superficie réelle des pays et continents. Cette version retournée perturbe totalement notre perception, modelée par la carte de Mercator (1569), toujours en vigueur…, qui considère l'Europe comme centre du monde.
Exemples de la projection de Mercator : l'ex-URSS paraît deux fois plus grande que l'Afrique; or, elle s'étend sur 22 millions de km2 et l'Afrique sur 30… De même l'Europe (10 millions de km2) qui semble plus étendue que l'Amérique du sud (18 millions de km2). Enfin le positionnement de l'équateur est des plus révélateurs : un tiers au Sud, deux tiers au Nord! Faut-il encore faire un dessin?
L’expression:« La carte n’est pas le territoire », s’applique à différents champs de l’expèrience humaine(médecine, sciences exactes, sciences humaines). Le scientisme,cette foi aveugle dans la science et notamment dans les techno-sciences, nous réserve des désastres totalitaires, sanitaires, économiques et trés probablement écologiques d’une ampleur jamais égalée. Toute analyse critique hors du cadre du diktat des experts, semble désormais voué aux gémonies, puisque leur emprise médiatique omniprésente modèle l’opinion sans aucun frein. Se souvenir fréquemment de la sentence socratique : « Préférer l’autorité de l’évidence à l’évidence de l’autorité ».