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Cuba. Fidel Castro en apothéose funèbre

Mort, Fidel Castro peut désormais accéder à l’apothéose, dernier grade qui manquait à sa gloire. Il était temps car l'icône se craquelle. Les cérémonies d’adieu au « commandante » s’annoncent grandioses – de vraies pompes funèbres. Mais les « grands » de ce monde modèrent leurs élans « obséquieux »… Ils ne feront pas tous le voyage, pressentant que l’Histoire se garde désormais d’absoudre à l’aveuglette. Une page de Cuba s’est déjà tournée pour les centaines de milliers d’exilés. Cette fois, c’est le livre du mythe révolutionnaire qui va se refermer sur un peuple abusé, gavé de palabres. Un peuple qui va enterrer le Père sans l’avoir tué.

Un 1er mai, place de la Revolucion à La Havane [dr]
Un 1er mai, place de la Revolucion à La Havane [dr]
[dropcap]Il[/dropcap] y en eut tant d’autres de ces cérémonies à la gloire du « Commandante » rassemblant son million et plus de « communiants » ! Ce jour-là, c’était jour de fête : la Revolucion offrait la journée de congé, les sandwiches et la bière. Il aurait fait beau snober l’événement ! Sans parler de la vigilance des CDR, Comités de défense de la révolution quadrillant le pays jusqu’aux blocs d’immeubles. Un flicage intégré aussitôt la prise de pouvoir. Au départ, tout peut se justifier dans un processus révolutionnaire. D’autant que l’ennemi ne tarde pas à surgir. Et que cet ennemi sera toujours menaçant, utilement menaçant. Castro en fera son dogme : « Dans une forteresse assiégée, toute dissidence est une trahison ». C’est une phrase de Saint Ignace de Loyola – n’oublions pas que Fidel Castro a fréquenté l’école des jésuites à Santiago…

Le castrisme est enfant de l’Oncle Sam. Il lui a ouvert un boulevard idéologique et surtout politique, selon la pratique impérialiste constitutive des Etats-Unis, celle de la force immanente, mue par le dollar, les armes et bénie de la « main de Dieu » – In God we Trust. Il en fut ainsi des Amérindiens, d’abord, puis des innombrables interventions de la CIA et des militaires[ref] Pour rappel : Iran (1953), Guatemala (54), Cuba, Baie des Cochons (61), Brésil, Sud-Vietnam (64), République dominicaine, Uruguay (65), Chili (73), Argentine (76), Grenade (83), Nicaragua (84), Panama (89).… Sans oublier la Guerre du Golfe, le Koweït, l’Irak, l’Afghanistan…[/ref] Avec son embargo qui resta inefficace en fin de compte[ref]J’ai déjà souligné à quel point cette mesure servit à masquer l’incurie du gouvernement des Castro, en particulier l’échec de la politique agraire décidée par Fidel lui-même. Voir à ce sujet la clairvoyante analyse de René Dumont dans son ouvrage Cuba est-il socialiste ? (La réponse est dans la question…) Dans la terminologie castriste et sa propagande, l’embargo a toujours été traduit par bloqueo. Or, il ne s’agit nullement d’un blocus au sens maritime et aérien. Les échanges commerciaux avec Cuba ont été compliqués mais non bloqués. Même des compagnies étasuniennes ont commercé avec Cuba, où un cargo américain assurait une navette commerciale par semaine, ainsi que je l’avais relevé sur place.[/ref], le régime américain ne laissa plus d’autre choix à Castro que de se tourner vers l’Union soviétique. De même que la faillite de l’URSS en 1990 imposa le mariage avec le Venezuela de Chavez.

Parmi les adorateurs de « Fidel » (et de Chavez), son camarade Jean-Luc Mélenchon qui, lui, entrera bien dans l’Histoire avec deux fameux tweets (cliquer pour les agrandir) :

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La grande force de Castro – au risque même d’un conflit nucléaire ! – a été d’internationaliser sa résistance à l’empire voisin[ref]Résumé par la formule de Guevara :« Allumer deux, trois, plusieurs Viêtnam »[/ref]. tout en exploitant à fond l’image biblique du David barbudo affrontant l’affreux Goliath, se prêtant objectivement à cette mise en spectacle dans lequel il tenait le sale rôle. D’où le capital de sympathie accumulé par le régime de Cuba et sa « révolution des Tropiques » à base de rhum, cigares, salsa et petites pépées. De quoi séduire plus d’un Hemingway, et des cohortes de touristes bien canalisés, sans oublier les précieux relais idéologiques que constituaient les intellectuels ébahis, à l’esprit critique en berne.

Ils accoururent à toute vitesse, pour se limiter aux Français, les Gérard Philipe, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, les Agnès Varda, Chris Marker, Jean Ferrat, Bernard Kouchner, Claude Julien, les écrivains Michel Leiris, Marguerite Duras, Jorge Semprun ou l'éditeur François Maspero. Même François Mitterrand, et Danielle surtout, présentèrent leur dévotion au « commandante », sans oublier évidemment Régis Debray – qui en revint sur le tard… Même de Gaulle, de Villepin et jusqu’à Dupont-Aignan saluaient Castro le souverainiste !

Je dois dire que je fus – un peu – de ceux-là, ayant commis quelques articles pas très regardant sur les dessous d’un système manipulateur, avec l’excuse non absolutoire de la jeunesse – c’était de surcroît en mai 68 ! Je n’en fus pas pour autant récompensé : ayant émis quelques timides critiques, Cuba me priva de visa professionnel et dut, par la suite, me contenter d’une visite « touristique », libre mais malgré tout un peu risquée.[ref] Journaliste sans visa professionnel, touriste incertain débarquant à La Havane parmi les 400 touristes français quotidiens. J’avais été photographié ici-même en 68 pour les besoins d’une carte de presse cubaine – que j’ai gardée…. Il est vrai que c’était avant l’informatique. Mais je venais de lire ou relire toutes ces histoires terribles de répression, ces témoignages des Golendorf, Valladarès, Huber Matos et leurs années de geôles ; parcouru les rapports de Reporters sans frontières, du CPJ (Centre de protection des journalistes) et de l’IFEX (Échange international de la liberté d'expression) sur la répression des journalistes et des militants des droits de l’homme ; pris contact avec des confrères de retour de reportage… Tout ce qu’il fallait pour lester de parano mon équipement de base.[/ref] Cependant tout se passa sans encombres. J’en tirai quelques articles, dont celui-ci, ci-dessous, jusque là inédit.

Place d’Armes, dans la vieille Havane, novembre 2008.

[dropcap]Agitant[/dropcap] un petit drapeau russe, le guide rassemble son troupeau du jour. Les bouquinistes vendent la révolution et ses produits dérivés plus ou moins jaunis. Le Che, Camilo Cienfuegos, Hemingway et même Sartre, de Beauvoir. Et Fidel, certes. En bonne place sur son présentoir en bois peint, trône le Cien horas con Fidel, récit des cent heures que le lider maximo a passées en compagnie d’Ignacio Ramonet, qui fut patron du Monde diplomatique

Je m’interroge sur la couverture du livre, sur la photo de Castro, casquette et tenue « olive verde » de rigueur, regard noir, étrange, œil déjouant l’autre ; un œil troublant, comme absent. Il se tient la barbe, entre pouce et index qui semblent aussi obliger le sourire. Sourire ou rictus ? Pose ou attitude de doute – il serait temps… L’image date d’avant la maladie déclarée.

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La Havane, place d’Armes. La bouquiniste a juré ses grands dieux qu’elle n’était pour rien dans ce rapprochement pour le moins sacrilège entre Pinocchio et les cent heures d’entretien Castro-Ramonet… [Ph. gp]
Cent heures…, soit, disons, vingt jours à palabrer… Vingt jours, la durée de mon périple à travers l’île, à la rencontre « des gens » ; à les observer et les écouter, à tenter de comprendre dans sa complexité ce pays si attachant et déroutant. Au pluriel et en espagnol, palabras veut dire discours. En cubain, il ne peut s’agir que des grand-messes castristes. Des offices pagano-religieux voués au culte du lider, place de la Révolution, sous l’œil statufié de José Marti, l’Apostol et père de l’Indépendance, désormais secondé par l'effigie grandiose du Che, devant une foule millionnaire (mais si pauvre) soumise au prêche interminable d’un bonimenteur de carrière…

Roi du baratin pompeux autant que redondant et démagogue, Fidel Castro aura passé au total des mois entiers, voire des années à palabrer. Ses discours ont parfois dépassé les sept heures, à l’image de l’enflure du personnage, de son ego sans limites. Assurément, un tel désir d’adoration par la multitude est bien le propre des dictateurs et de leurs structures caractérielles ; ou bien aussi, il est vrai, des prédicateurs et autres évangélistes si en vogue en ces temps de désespérance.

Je suis toujours devant ce bouquin, m’interrogeant sur la motivation d’un Ignacio Ramonet cédant lui aussi, façon « Monde diplomatique », à une forme d’adoration complice, fût-elle mâtinée de quelque audace critique. Car l’autre tient le beau rôle, côté pouvoir, et le dernier mot – au nom du premier, « L’Histoire m’absoudra », que lançait Castro lors de son procès pour l’attaque en juillet 1953 de La Moncada, caserne de Santiago, l’autre grande ville cubaine. Un slogan de tribunal prononcé tout exprès comme une formule de com’, et une manifestation, déjà, du plus monstrueux des orgueils. Car d’entrée de jeu – il s’agit bien de l’acte théâtral fondateur de la saga castriste –, il exigeait l’Absolution. Tout comme Hitler qui, avant lui, avait lancé la même prédication. La comparaison s’arrête là. Là où l’Histoire questionne les fondements des pouvoirs et de leurs plus virulents agents, avant de passer le relais aux scrutateurs de l’inconscient.

Tandis que reculant d’un pas, je découvre, jouxtant le Castro-Ramonet, un autre livre, bien malicieux celui-là, dans le fond comme dans la présence, si incongrue sur le présentoir…  Las Aventuras de Pinocho voisine, là, juste à côté d’un Commandante soudainement gêné par cette marionnette au nez accusateur… La bouquiniste, que j’interpelle en blaguant, elle-même rigolant de bon cœur, jure ses grands dieux qu’elle n’y est pour rien, que c’est là un pur fait du hasard ! Je ne la crois pas.

Le mensonge… Sur un mur, à Guantanamo – la ville, pas la base états-unienne –, je relève ce graffiti décrépi : « Revolucion es no mentir jamas ». Ne mentir jamais… La brave injonction, comme on en trouve tant, aux couleurs désormais souvent délavées. À Baracoa, pointe orientale de l’île, assis à la porte d’un entrepôt vide, un jeune gardien encadré par deux longues citations murales de José Marti. Qu’en pense-t-il ? Il se lève pour les lire comme s’il les découvrait à l’instant : « Son palabras antiguas », des vieux mots, résume-t-il avant de se rasseoir. Comme si la bonne et vieille propagande s’était usée d’elle-même, polie par les ans, fatiguée. Comme si le mensonge d’État n’opérait plus, même pas par opposition.

A l’aéroport régional, dans la petite salle d’attente pour le vol vers La Havane, une télé diffuse son émission d’éducation politique. Il y est justement question, une fois de plus, de la Moncada et du fameux slogan « L’histoire m’absoudra ». Je suis le seul étranger, semble-t-il – et le seul à regarder cet écran dont tout le monde se contrefout.

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Santiago. Même si des améliorations récentes ont été apportées, les Cubains continuent à s’entasser dans des sortes de bétaillères pour se rendre au travail. [Ph. gp]
La propagande élevée comme un art politique suprême. Une pratique redoutable et ancienne. Voici comment j’en fus victime –  en mai 68 !…Jeune Tintin débarqué là-bas pour son premier grand reportage, regroupé à l’arrivée avec cinq ou six autres journalistes européens. Proposition de mise à disposition d’un minicar, d’une interprète – Olga, charmante blonde… – et d’un « accompagnateur » à fine moustache noire, Eduardo, non moins affable. Programme de visite alléchant. Le Che venait de mourir en Bolivie et le régime castriste s’affairait à orchestrer son immortalité. Mai 68 était amorcé, en France et ailleurs dans le monde, la Tchécoslovaquie pas encore remise au pas – une affaire de semaines. La crise des fusées, 1962, déjà lointaine. Cuba cueillait les dividendes d’une sympathie internationale pas seulement de gauche.

Et la petite bordée de journalistes allait se faire avoir dans la grande longueur, Tintin y compris, bien sûr. On nous balada ainsi – c’est bien le mot – dans le décor révolutionnaire en construction, de plantations de tabac en plage du « débarquement » (Playa Giron, « Baie des Cochons », mercenaires, CIA, Kennedy,1961), de la ferme de Fidel et son élevage de crocodiles en match de base-ball, etc. Que la révolution est jolie !

Manquait tout de même le pompon, qui allait nous être proposé, comme supplément au programme, par l’aimable Eduardo et néanmoins commissaire politique – comment aurait-il pu en être autrement ? Le soupçon ne m’en vint toutefois que tardivement, un matin très tôt où ayant rendez-vous avec un opposant (car il y en avait déjà !), je m’aperçus qu’Eduardo me filait de près, m’obligeant à renoncer et à rebrousser chemin…– J’ai une proposition à vous faire, nous dit-il un matin, en substance : aller à l’île des Pins, tout juste rebaptisée « île de la Jeunesse », afin d’y visiter l’ancienne prison de Batista, où Castro lui-même fut enfermé, et aujourd’hui transformée en lycée modèle…

Comment ne pas adhérer à une telle offre ? La chose s’avérait bien un peu compliquée à organiser, mais voilà l’escouade embarquée, puis débarquée dans l’île au trésor castriste. On n’y séjournerait qu’une journée et une nuit, selon un emploi du temps chargé. Chargé et contrarié par quelques aléas malencontreux. Ce qui n’empêcha pas la visite d’une ferme elle aussi modèle, ni de la maison qu’Hemingway avait dû fréquenter jadis. Mais de la fameuse ex-prison, nous ne pûmes rien voir. Ce n’était pas si grave, puisqu’elle s’était inscrite dans nos imaginations. Quelques « détails » suffiraient à nourrir nos papiers. Ce qui fut fait…

Extrait de mon reportage paru en juillet 68 dans plusieurs quotidiens régionaux : « Quelle est l’image la plus hallucinante ? La crèche des bambins de San Andrès parachutée en pleine Sierra de los Organos ? […] Ou encore cette prison de Batista transformée en école technique à l’île de la Jeunesse ? » Bien joué, non ? Car il s’était bel et bien agi d’une manœuvre grossièrement subtile. Si grossière qu’elle ne pouvait que marcher ! Comment eussions-nous pu suspecter un tel stratagème alors que rien n’avait obligé nos « hôtes » à organiser une telle expédition à l’île de la Jeunesse ? Les difficultés pratiques pour nous y amener ajoutait encore à l’évidente bonne foi de ses organisateurs…

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Or, ce n’est que huit années plus tard que j’eus la révélation de l’entourloupe : lorsque parut, fin 76 chez Belfond,  7 ans à Cuba – 38 mois dans les prisons de Fidel Castro. Pierre Golendorf [ancien correspondant de L’Humanité à La Havane] y racontait par le détail les conditions de son arrestation et de son incarcération à La Havane, puis… à l’île des Pins. Dans ce qui était bel et bien demeuré une prison-modèle !

J’avais – nous avions tous, ces journalistes « baladés », été enfumés, mouchés, abusés. Mais la leçon, il faut le reconnaître, apparut magistrale.[ref]Ce fut aussi ma plus belle leçon de journalisme : pratiquer strictement le scepticisme méthodique. En 1986, Albin Michel publia Mémoires de prison, Témoignage hallucinant sur les prisons de Castro. Il s'agissait du récit de l'écrivain cubain Armando Valladarès, détenu durant 22 ans, torturé, libéré après une vaste campagne internationale.[/ref]. Chapeau l’intox ! On reconnaissait là un vrai savoir-faire sans doute acquis dans quelque école soviétique. Les élèves cubains montraient de réelles dispositions à égaler sinon à dépasser les maîtres formés à la redoutable propagande stalinienne. Dépasser, non : surpasser, puisque le régime a tant bien que mal survécu à l’effondrement de l’URSS et qu’il continue à œuvrer avec constance et efficacité dans son art consommé de la propagande.

À n’en pas douter, aujourd’hui, dans toute l’île, de La Havane à Santiago, la machine mystificatrice est en chauffe maximale pour monter au zénith de la propagande mondiale le spectacle des obsèques du « lider maximo », dieu du socialisme…

Cette machine-là n’a jamais cessé de tourner, durant plus d’un demi-siècle ! Deux générations y ont été soumises ; à commencer par les Cubains, bien sûr, mais aussi l’opinion mondiale abreuvée au mythe entretenu de l’héroïsme castriste et guevariste.[ref]Il y aurait tant à dire sur l'icône Guevara, nommé en 1959 par Fidel Castro commandant et « procureur suprême » de la prison de la forteresse de la Cabaña. Il est ainsi surnommé le carnicerito (le petit boucher) de la Cabaña. Pendant les 5 mois à ce poste il décide des arrestations et supervise les jugements qui ne durent souvent qu'une journée et signe les exécutions de 156 à 550 personnes selon les sources. [/ref]

L’historien – et a fortiori le « pauvre » journaliste sont bien démunis face aux tornades mystifiantes dont les récits prennent force mythique de Vérité éternelle et risquent ainsi de les emporter. Ce que décrit bien, entre autres, l’écrivain et philosophe suisse Denis de Rougemont :

« […] les mythes traduisent les règles de conduite d'un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc de l'élément sacré autour duquel s'est constitué le groupe […] un mythe n'a pas d'auteur. Son origine doit être obscure. Et son sens même l'est en partie […] Mais le caractère le plus profond du mythe, c'est le pouvoir qu'il prend sur nous, généralement à notre insu […] »[ref]D. de Rougemont, L'Amour et l'Occident, 10/18, 2001[/ref]

Le mythe est insidieux, il nous pénètre aisément par le biais de notre aptitude à la croyance, ce désir de certitude autant que de rassurance. Les révolutions s’y alimentent et l’alimentent par nécessité de durer. C’est ainsi qu’elles commencent « bien » (ça dépend pour qui, toutefois…), avant de s’affronter à la dure réalité, qu’il faudra plier par la violence et le mensonge. Il n’en a jamais été autrement, de la Révolution française à la bolchevique, en passant par le castrisme, le maoïsme et jusqu’aux « printemps arabes ».

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Trinidad. Croisement d’américaines. Entre les deux ailes de la Plymouth, le gamin en tee-shirt « Miami Beach » tire la langue au photographe… et à un demi-siècle de castrisme. [Ph. gp]
Restons-en au castrisme et une illustration de son caractère monstrueux, dont certains se souviennent peut-être car elle fit grand bruit. Il s’agit de l’affaire Ochoa, soldée par des exécutions, en 1989 :

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Arnaldo Ochoa. Complice forcé et victime d'un procès stalinien.

Arnaldo Ochoa, général de tous les combats, héros national – Sierra Maestra, Santa-Clara avec le Che, Baie des Cochons, puis Venezuela, Éthiopie et Angola – condamné à mort et exécuté en 1989 pour « trafic de drogues ». Il avait eu le tort de résister aux Castro et peut-être même de préparer une évolution du régime. Démasqué, Fidel lui avait imposé un marché de dupes : prendre sur lui ce trafic de drogues entre Cuba et les narcos de Colombie que la CIA s’apprêtait à mettre au grand jour, en échange d’une condamnation à la prison avec une libération arrangée ensuite. D’où la confession autocritique de Ochoa, qui fut cependant exécuté, avec d’autres, un mois après sa condamnation à mort. Le régime fit de ce procès littéralement stalinien, tenu par des juges militaires, retransmis en direct à la télévision, une opération de propagande dont il a le secret. On peut en suivre les principales phases sur internet. C’est stupéfiant – sans mauvais jeu de mots.

Les dirigeants cubains ont toujours voulu masquer toute dissidence et même tout désaccord avec la ligne politique. Le régime ne peut admettre que des « déviances » ("folie", "perversions sexuelles")  ou des « fautes morales » personnelles. À Cuba, la presse est unique, sous contrôle étatique total ; de même la magistrature ; et aussi toute l’économie, en grande partie aux mains des militaires… Il n’y a plus que les Cubains abusés, ou résignés à la servitude volontaire, faute d’avoir pu s’exiler – j’en ai rencontré ! Ailleurs, notamment en France, la désillusion a commencé à poindre, y compris à Saint-Germain-des-Près ; il n’y a plus que le restant des communistes encartés et des Mélenchon mystico-castristes pour allumer des cierges en hommage au Héros disparu.

Tandis que, de La Havane à Santiago, « on » s’échine à faire perdurer le mythe de la Revolucion éternelle – ¡ Hasta siempre ! Patria o muerte ! Les derniers acteurs de cette pièce dramatique s’effacent peu à peu ou meurent avec cette hantise : Que l’Histoire ne les acquitte pas.

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

6 réflexions sur “Cuba. Fidel Castro en apothéose funèbre

  • Gian

    Etrangement, si j’ai pu encen­ser le Che, j’ai tou­jours eu une répul­sion ins­tinc­tive pour Fidel, comme si j’a­vais repé­ré d’emblée, dès 1959 (j’é­tais bien jeune, mais déjà assez intui­tif), qu’il serait lider maxi­mo et donc contre les hommes libres.

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  • \"Gérard Bérilley

    Alors là, super article, encore meilleur, plus fort, que le pré­cé­dent. Il serait sou­hai­table qu’il puisse être lu par des cen­taines de mil­liers de lec­teurs. A chaque fois c’est pareil, et tu le montres très bien, Gérard. Cela me ren­voie à tout ce que j’ai pu lire autre­fois sur la révo­lu­tion russe et ses débuts, les témoi­gnages de Kropotkine âgé, d’Emma Goldman, de Voline, de Gaston Leval sur­tout, ce jeune délé­gué oh com­bien cou­ra­geux de la CNT espa­gnole au 3ème congrès de l’Internationale Communiste en été 1921 à Moscou, et qui à son retour révé­la la ter­rible répres­sion sur toutes les autres com­po­santes du socia­lisme par les bol­che­viks et la Tchéka, et grâce à qui la CNT espa­gnole res­ta liber­taire, non-inféo­dée au mar­xiste et au léni­nisme. A chaque fois c’est pareil. Mais com­ment des peuples, des « intel­lec­tuels » peuvent-ils être à ce point aveugles, igno­rants du fait que par­tout où sont l’idolâtrie, le culte du chef – ce nar­cis­sisme qui dépasse l’en­ten­de­ment, sont imman­qua­ble­ment la répres­sion, l’a­lié­na­tion, le men­songe, la ser­vi­tude qu’elle soit for­cée ou volon­taire ? Comme ne pas savoir cette évi­dence qui crève les yeux (c’est jus­te­ment pour cela qu’elle n’est point pen­sée) : là où est l’i­do­lâ­trie est la non-valeur. Pour ma part je n’ai jamais vu un auteur, une oeuvre de valeur, être ido­lâ­trés. Aimés oui, ido­lâ­trés jamais.
    Comme nous payons tous très chers la non prise en compte des aver­tis­se­ments des grands pen­seurs socia­listes libertaires :

    « La plus désas­treuse com­bi­nai­son qui puisse se for­mer serait celle qui réuni­rait le socia­lisme avec l’absolutisme ».
    Pierre-Joseph Proudhon (1809 – 1865)

    « Prenez le révo­lu­tion­naire le plus radi­cal et pla­cez-le sur le trône de toutes les Russies, ou confiez-lui un pou­voir dic­ta­to­rial… et avant un an il sera deve­nu pire que le tsar lui-même. »
    Michel Bakounine (1814 – 1876)

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    • Nos réfé­rences com­munes ! Et cette inter­ro­ga­tion de fond sur l’i­do­lâ­trie comme ten­ta­tion constante des humains ; phé­no­mène aujourd’hui mul­ti­plié par l’ef­fet Spectacle et les médias débri­dés dans les­quels s’a­bîment l’es­prit critique.
      J’y ai pen­sé après coup : j’au­rais dû aus­si, dans mon texte, évo­quer un com­por­te­ment poli­tique qui m’in­ter­roge : cette peur, à gauche, de paraître à droite… J’aurai sans doute l’oc­ca­sion d’y reve­nir, c’est une constante.

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      • Gérard Bérilley

        Deux jours après la mort d’Ousmane Sow, à ma connais­sance aucun jour­nal télé­vi­sé ni aucun jour­nal du matin sur France Inter n’en a par­lé. Le plus grand sculp­teur de la fin du 20ème siècle et du début du 21ème siècle est mort, et rien n’est dit sur cette mort, sur cette Vie, sur cette œuvre, alors qu’on nous abreuve de bana­li­tés, de conne­ries, d’anecdotes d’une futi­li­té innom­mable à pro­pos des can­di­dats décla­rés ou envi­sa­gés pour la future élec­tion pré­si­den­tielle ! Quelle misère. Tristesse et révolte dans mon cœur. Ousmane Sow, ce n’est pas inté­res­sant pour la clique des cultu­reux, de tous ces affreux qui nous disent quoi pen­ser, quoi aimer. Ousmane Sow, le sculp­teur qui me fait pen­ser au Maître de Chaource (Maître sculp­teur en Champagne Méridionale au début du 16ème siècle), cet homme, ce sculp­teur figu­ra­tif qui dans la sculp­ture fait pas­ser les sen­ti­ments et l’âme humaine, pas inté­res­sant pour tous ces cons qui se gar­ga­risent d’art contem­po­rain, d’art concep­tuel (Quelle hor­reur, l’art par essence, comme le disait Gilles Deleuze, est per­cep­tuel et non concep­tuel ; c’est la pen­sée phi­lo­so­phique qui est concep­tuelle et en aucun cas l’art.) Cela me ren­voie à tant de choses, tant de révoltes. Il y a quelques années, une expo­si­tion avait lieu en France sur l’art, les artistes et les ani­maux. Les œuvres de Robert Hainard, le plus grand peintre, sculp­teur, gra­veur « ani­ma­lier » euro­péen du 20ème siècle, celui-là même qui est en paren­té avec les peintres de Lascaux, n’y étaient pas conviées, et n’y étaient pré­sentes que les œuvres des peintres recon­nus, les cultu­reux. Ce soir, à Paris, Salle Pleyel, joue King Crimson, le groupe rock dit aus­si de rock pro­gres­sif le plus créa­tif depuis les années 1970, diri­gé par Robert Fripp, le musi­cien euro­péen le plus impor­tant de la fin du 20ème siècle. Il est cer­tain qu’il n’y aura aucun repor­tage à la télé­vi­sion sur cette pré­sence en France de King Crimson, il est cer­tain que les médias offi­ciels n’en par­le­ront pas. C’est cela qui me révolte : que tout ce qui a de la valeur soit omis, consi­dé­ré comme rien, alors que ce qui est nul est mon­té en épingle comme la chose même à ne pas lou­per. Une telle civi­li­sa­tion, si elle ne se limi­tait qu’à cette cen­sure là, s’il n’y avait la gen­tillesse et la soli­da­ri­té des gens du peuple, ne méri­te­rait pas le nom de civilisation.

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  • « …ma plus belle leçon de jour­na­lisme : pra­ti­quer stric­te­ment le scep­ti­cisme métho­dique… » Merci Gérard.
    Mais, ça paye ? Parce que je pense m’être four­voyé avec mes beaux doutes sombres (Que vous entre­te­nez, entre autres).

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