XV – Chronique de la peste couronnée « Plus jamais ça » ?
Par Gian Laurens
[dropcap]Il[/dropcap] y a cinquante ans, des apprentis écologistes me demandaient, m’attribuant abusivement un rôle de voyant, ce qu’il faudrait pour arrêter le délire nucléaire qui ne faisait pourtant que commencer : une centrale qui explose et dissémine son poison, répondis-je sans trop argumenter. Il y a eu depuis Tchernobyl et Fukushima qui sont venus invalider ma thèse angélique. Les génocides du Rwanda et du Cambodge ont pareillement abrogé les vœux candides du « Auschwitz-plus-jamais-ça ». Et dans une moindre mesure, si l’on peut dire, les marées noires façon Amoco-Cadiz ou catastrophes chimiques à la mode de Seveso n’ont pas ralenti la course du capitalisme thermo-industriel.
Depuis 50 ans, les bonnes volontés soucieuses d’environnement et d’harmonie entre les hommes se sont régulièrement cassé les dents sur ce paradoxe terrible qu’avait illustré juste avant la pandémie le mouvement des Gilets Jaunes : c’est la fin du mois qui prime, et non la fin du Monde. Le court-terme prévaut sur la survie de l'humanité. L’obsession de l’instant rend aveugle ; en se déconfinant, l’immense majorité ne rêve que d’un retour à la normale, de gré ou de force (avec la pression du conformisme social dominant). Si on assimile cette majorité au prolétariat (au sens de la classe qui n’a pas de pouvoir sur sa vie), on peut en effet parler de dictature du prolétariat. Un régime de servitude volontaire dont Huxley disait que le top c’est précisément l’amour de la servitude.
La loi d’airain du Capital s’est muée du « toujours plus » en « toujours comme toujours. » Le déconfinement semble prendre la voie qu’avaient prédite la grande majorité, à savoir que l’après serait pire que l’avant, et serait alors plutôt un « pendant prolongé ». Si on laisse de côté l’hypothèse d’autres éventuelles répliques infectieuses, il reste que les retombées morbides de la pandémie sont encore à venir, et ce sur fond de crise sociale majeure avec une explosion du chômage et des faillites, entre autres errements économiques chaotiques. Et l’écologie, plus que jamais en berne.
On doit tenir pour responsable de ce potentiel entropique moins le virus – qui n’a tué « que » quelques milliers de malades, âgés, qui plus est – que l’ensemble des mesures prises pour lui déclarer la guerre, caractérisées par leur incohérence et leur versatilité. À l’énormité du surgissement de l’épidémie a fait écho une autre unanimité, celle des médias et de leur pilonnage systématique. Mais ce qui reste le plus déconcertant, c’est quand même la spontanéité de la soumission de masse de la moitié de l’humanité (l’autre étant déjà quasi-hors-circuit pour d’autres raisons). Comment fut-elle possible ?
Une voie encore inexplorée s’offre à l’investigation : et si cette soudaine « cristallisation » était le reflet d’un consensus massif latent ? La soumission, c’est la passivité, la résignation, voire l’ataraxie (la quiétude stoïcienne) même, fût-elle éphémère. C’est comme si ce pessimisme des « pire qu’avant ou comme avant » n’était finalement que l’expression de leur volonté. Volonté des sans-grades, des “sans-dents”, afin que rien ne change ou si peu. Pessimisme-fatalisme façonné par l’école, la famille patriarcale, l’idéologie dominante de la consommation, la pub infantilisante, les spectacles et loisirs de masse, le numérique ritualisé. Dans un Monde sans lendemain. Accepter l’ordre établi sans broncher, car broncher c’est risqué.
GL
XV : » …c’est la fin du mois qui prime, et non la fin du Monde… »
Vu l’infantilisation des masses « actives », irresponsables, minaudant d’abord leurs désirs de sorties, loisirs et vacances, sans tenir aucun compte des besoins de distanciations et masques sécuritaires, (un minimum), et ce pour un temps assez long où l’on va prendre conscience de pertes diverses et colossales, je crains Gian que vous ne prêchiez votre bonne parole pour un combat d’idées, qui ne se place pas au bon timing.
PS : Attention, tous problèmes de bronches actuels risquent de vous mener en réa !
Oeuvrant dans le domaine médico-social, aide aux personnes âgées, et ayant de nombreux contacts avec des confrères de différents horizons (zones rurales et urbaines, territoires déshérités et quartiers aisés…), j’ai, au contraire, été heureux de constater la multitude d’initiatives spontanées et totalement désintéressées qui se sont développées dès le début de cette période, à l’inverse du prétendu égoïsme dont on affuble nos contemporains ; portage de courses ou de repas, appel d’anciens salariés proposant même bénévolement leurs services, familles qui ont repris contact avec leurs parents âgés.…
Froid dans le dos.
Etrange coïncidence : je lis en ce moment « Journal d’un Allemand » de Sebastian Haffner (acheté lors de ma visite au camps des Milles).
Il décrit trop bien ladite ataraxie du peuple allemand à partir de 1932 quand les nazis de Hitler ont pris le pouvoir.
C’est exactement, dans les mêmes mots, comparable à notre séquence actuelle si bien décrite par vous, Gian.
Qui se lèvera ?
J’espère encore dans la politique, soyons insoumis.