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Philippe de Villiers et la mémoire assassinée

Quand un pays et son peuple perdent leur mémoire, on peut y voir un effet de sénescence historique, la pente inéluctable du vieillissement. Un si vieux pays, la France… Mais quand l’oubli est voulu, ou du moins programmé en arrière-fond selon quelque effet de remise à zéro… Alors, on touche au pire, à ce que Philippe de Villiers qualifie de mémoricide, néologisme repris en titre pour son récent ouvrage (Éd. Fayard).

Vu du Camp du Bien, ce descendant de la noblesse et de la résistance vendéenne contre-révolutionnaire présente tous les atours de l’homme à abattre : l’énarque lustré au long d’un bon demi-siècle de maroquins préfectoraux et ministériels ; l’écrivain prolixe et dédaigné ; le catho de fond, estampillé Manif pour tous ; le lanceur du Vendée Globe, le créateur du Puy du Fou – parc de loisir et de spectacles à grand succès populaire, décrié en proportion – et, en prime, la marionnette des Guignols, l’« agité du bocage » selon le Canard enchaîné. Et, comble de tout, le chroniqueur hebdomadaire sur CNews, la chaîne du « milliardaire Bolloré » tant dénoncé par les médias des autres milliardaires, des bienfaiteurs ceux-là : Patrick Drahi, Xavier Niel, Matthieu Pigasse, Daniel Křetínský – les plus médiavores actuels, pour ne citer qu’eux – qui détiennent tous, plus ou moins, au gré des petits arrangements, des titres aussi « indépendants » que Le Monde, Libération, Télérama, L’Obs, Le Monde diplomatique, L’Express, BFM, Elle, Télé 7 Jours, Marianne, France Dimanche, Ici Paris, Usbek & Rica, Franc-Tireur… J’en passe, tant l’écheveau s’étire, et tant il se dissout dans les tours de passe-passe du politiquement correct.

Ce livre est considérable – au sens strict à considérer ; je pèse le mot, sachant à quoi je m’expose dans la gamme des condamnations idéologiques : croire ce qu’on croit et non ce qui est. J’ai donné : interviewer un adjoint de Le Pen en 1975, fallait être fasciste ; ou bien, plus tard, agent de la CIA pour avoir dénoncé in situ le totalitarisme castriste. Rien de plus tranchant, que les idées fixes. Un Courteline pouvait en rire : « Seuls les idiots n’ont pas de doute. — Vous en êtes sûr ? — Certain ! » Ainsi de Villiers fut-il, de longue date, ostracisé par les Fouquier-Tinville médiatiques et leurs émules toujours à la tâche, forts de leurs certitudes, du bon droit, de la bien-pensance autocertifiée. « Les Guignols fournissaient la partition, explique-t-il. Le reste de la presse suivait. La malveillance était un critère déontologique pour paraître honnête aux yeux des confrères. Les articles commençaient tous avec la même entame : “Monsieur le Vicomte sur ses terres…” On m'appliquait  le “ça ira” de la cérémonie des Jeux à la Conciergerie. J’était décapité tous les jours. »

Il fallait bien dans les quatre cents pages d’un livre d’érudit, solidement charpenté et documenté, d’une écriture incisive et élégante, pour contrer ce déni du réel qui frappe tant de nos beaux esprits. En cause, et pas seulement, un journalisme de convention et panurgien, reflet de surface d’une pensée appauvrie, faible émanation du monde consanguin de l’entre-soi. Plus grave : l’appauvrissement par amnésie historique. Encore qu’une amnésie puisse être accidentelle et non voulue. Là, c’est pire : un effacement prémédité et délibéré de la mémoire historique et ainsi, selon l’auteur, un assassinat : un mémoricide.

De l’insecticide au féminicide, de l’infanticide au génocide en passant par le climaticide, la liste est lourde des actes mortifères imputés à l’homo sapiens. Celui accolé par de Villiers à la mémoire collective atteint l’identité d’un pays, d’un peuple, d’une patrie, d’une nation – tous ces vocables rendus désuets, suspects, ringards et surtout dangereux à l’heure où il s’agit de remettre les compteurs à zéro, de déconstruire pour entrer dans la post-modernité wokiste porteuse de l’individu Nouveau enfin libéré des atrocités patriarcales, coloniales, raciales, transphobes et bien sur islamophobes… 

On peut oublier par accident, certes – par oubli ! – mais aussi par volonté d’effacement. Transposé à l’Histoire, cela donne des sous-citoyens, incultes, et aussi des déculturés, ce qui est pire encore. Plutôt qu’un vouloir d’oubli – en fait impossible – il s’agit alors d’une négation et, par idéologie, d’un négationnisme. C’est précisément ce que déplore et dénonce de Villiers, constatant ce phénomène particulièrement à l’œuvre lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques 2024, version nouvelle de la transgression historique et spectaculaire mise en scène en 1989 pour le Bicentenaire de la Révolution. N’est-il pas significatif que ces deux événements se soient inspirés de la Terreur révolutionnaire comme référence commune ? En y ajoutant sa pincée de dérision régicide, le plus récent, en effet, procédait bien du mémoricide, dans la lignée révolutionnaire de la Table rase annonçant l’ère merveilleuse de l’homme Nouveau. L’actuel wokisme et sa cancel culture sont à cet égard les héritiers des phases historiques des grandes remises à zéro – décapitations, déportations, épurations, génocides… Toutes les dictatures s’abreuvent au sang « révolutionnaire » annonciateur des lendemains qui chantent… Il suffit de biffer le passé, de « naître à nouveau », de gaver d’illusion les têtes de linotte comme celles de Mai 68 et ses mantras vaseux : « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi ! ». Ils y ont cru, nous avons pu y croire. L’effacement… Place au Nouveau ! Alléluia ! Voici enfin la « fin de l’Histoire » et la mondialisation heureuse, au bonheur du Grand marché économique et multiculturel, sa suite européiste, Maastricht et la perte de souveraineté des nations. De Villiers décrit le processus : « Les séquences s’emboîtaient avec ardeur, passant du “grand métissage », de la France multicolore des “citoyens du monde”, à la “décontraction” de 2024 consistant à  “prendre le passé et le tourner en parodie pour faire ricaner les quais du Boboland, sous les parapluies de chez Hermès”. » Bien vu, bien envoyé. 

Quand il s’agit de la France – vieux pays, vieux peuple – l’auteur a la mémoire au long cours : deux millénaires de chrétienté, en passant par Clovis, Bouvines, Jeanne d’Arc, un ardent cheminement qui mène à la civilisation en portant le « roman national », cette mémoire commune qu’on célèbre et qu’on entretient. « Or, que voit-on aujourd’hui ? La désaffiliation de tous nos songes, la rupture de la transmission. […] Une nation, ce n’est pas qu’une mémoire partagée, c’est aussi un art de vivre. Aujourd’hui, nous sommes pris dans une tenaille entre le wokisme qui s’emploie à nous déculturer et l’islamisme qui se prépare à nous reculturer. » En quoi il n’y a plus d’espace commun mais une France éclatée en trois :

– la France de la créolisation, celle de Mélenchon, « la France de Robespierre en keffieh » qui dénie l’enracinement et mise son avenir politicien sur l’immigration ; 

– la France de l’ubérisation, « la start-up nation de la macronie » ou tout s’échange sous le règne du virtuel, du nomade, du zapping ;

– reste « la France de la Tradition, la France des Rescapés […] qui implore qu’on garde encore la maison quelque temps »… Cette France déclassée, désormais pays de consommateurs et non plus de producteurs, ou de moins en moins. Ce pays que de Villiers ne reconnaît plus, dans lequel il se sent trop souvent étranger, quand l’étranger même fait nombre, revanche du colonisé sur l’ex-colonisateur ; quand l’antique hospitalité s’est alliée à la moderne rentabilité marchande du travail et au calcul politique « droit-de-l’hommiste ». Le mouvement s’est emballé en 1992 avec le traité de Maastricht faisant de l’Europe un protectorat économique, démographique et culturel par abandon de la souveraineté de ses États : le numérique aux États-Unis, le technologique à l’Asie, le démographique à l’Afrique, le culturel à l’islam…

Réac, de Villiers ? Non pas : réaliste, il ne prône nul retour en arrière, se voulant résolument conservateur, au sens de sauveur, sauveteur et comme tel optimiste, pariant sur « des jeunes gens d’une trempe nouvelle qui se lèveront… » Il en veut pour preuve la montée en puissance d’un réveil souverainiste dans l’Europe disloquée « façon puzzle ». Peut-être est-ce ainsi que l’espérance se rappelle à l’homme de foi… Question de croyance, certes, toutefois riche de questionnements, d’analyses fines, de références historiques reliées à l’expérience personnelle d’un honnête homme, comme on disait jadis, attentif au mouvement de l’Histoire et au temps long – un homme de mémoire qui sait que les nations vieillissantes, comme les civilisations, sont mortelles. 

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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité mais pas inactif. Blogueur depuis 2004.

3 réflexions sur “Philippe de Villiers et la mémoire assassinée

  • Gérard Ponthieu

    Coucou c’est moi ! Le pre­mier et seul à oser me com­men­ter, si on peut dire, après cet article inqua­li­fiable – du moins publi­que­ment et selon ses propres et indé­bou­lon­nables croyances et convic­tions… Certes il n’a pas atteint des records d’au­dience (65 au comp­teur contre 6551 à « De la Revue Sexpol à #MeToo »…), ni des records de com­men­taires (mes pro­duc­tions peuvent aus­si lais­ser indif­fé­rent). Mais tout de même, zéro poin­té sur ce sujet : le per­son­nage de Villiers et ses troubles idées… tout de même… Ce serait-il que des griffes se soient ren­trées dans le but de ne point me grif­fer ? Pour me pro­té­ger, en somme, ce pôvre atteint de gâtisme réac” lié au grand âge… Ou alors quoi ?

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  • Bernard_H.

    Je par­tage ton ana­lyse. J’ajoute que c’est plus simple de n’être plus dans la poli­tique comme de Villiers ou, comme Michel Onfray de res­ter en dehors. Est ce que le trai­té de Maastricht est la cause de tous nos maux ? C’est facile de dire ce qui serait arri­vé si nous avions quit­té cette union. C’est éga­le­ment confor­table de dire que nos diri­geants n’ont pas tenu compte du refus par réfé­ren­dum du nou­veau trai­té euro­péen. En effet la ques­tion unique, posée était un peu mani­pu­lée dans le sens où juri­di­que­ment, le vote « non » impli­quait, que c’est l’ancien trai­té qui qui conti­nuait à s’appliquer et que ce qui arrive à échéance est déci­dé par voie légis­la­tive.( le plan B de Delors). Certes, il y a de la mau­vaise foi, de ne pas avoir vou­lu entendre ce qu’il y avait der­rière les choix com­muns des oppo­sants, mais la ques­tion du fonc­tion­ne­ment de l’Europe n’était pas à l’ordre du jour.
    Cette paren­thèse faite, je pense qu’il sera inté­res­sant de mesu­rer l’emprunte du wokisme, idéo­lo­gie ou reli­gion dont nous n’avions pas vou­lu, dans la socié­té fran­çaise, expor­tée au USA par la France, dans les uni­ver­si­tés amé­ri­caines et qui s’est répan­due dans la socié­té au point de créer une forte réac­tion qui a don­né lieu à l’élection de Trump. Comme ce qui arrive outre Atlantique entre chez nous, entre quelques semaines et quelques années ou décen­nies, le wokisme nous revient. Cette reli­gion sans espé­rance, sans salut, de la décons­truc­tion qui pré­dit la dis­pa­ri­tion de notre civi­li­sa­tion et le vide éter­nel, entre par la défense des causes qui ne peuvent que sus­ci­ter l’adhésion : lutte contre le racisme, fémi­nisme et droit des femmes, condam­na­tion de l’esclavage, bien être ani­mal, pro­tec­tion des mino­ri­tés, colonisation, …
    Je ne sais plus qui a employé ce terme de reli­gion, mais en tout cas, elle mène vers le vide. Comme la nature a hor­reur du vide. C’est l’idéal pour y faire entrer une reli­gion struc­tu­rée comme la branche sala­fistes de l’Islam qui s’est ins­pi­rée au niveau de ses fon­da­teurs de l’organisation du troi­sième Reich.
    Beaucoup n’ont pas conscience de cette prise de contrôle de la socié­té qui entre par­tout notam­ment dans les médias publics. Peut ont débattre de Boualem Sansal sur la 5, alors que cet homme est rete­nu comme otage, en Algérie, comme si ce pays venait d’être indé­pen­dant, après avoir été récem­ment colo­ni­sé (colo­ni­sa­tion, racisme envers les Arabes, ..) ?
    J’espère que je suis. dans l’erreur et que de Villiers exa­gère, que Pap Ndiaye n’était pas le ministre du com­mu­nau­ta­risme à l’américaine, que des lois socié­tales du type PMA (par­fai­te­ment légi­time dans sa pré­sen­ta­tion), l’enterrement de la loi Viel avec la pos­si­bi­li­té d’avorter jusqu’à huit mois (en ça de mal­for­ma­tion), et le droit à l’avortement mis dans la consti­tu­tion suite à l’idée de Mathilde Panot, consé­cu­tive à la déci­sion de la cours suprême des USA, ne ne sont pas le signe du wokisme, j’espère qu’il serait légi­time d’augmenter les bud­gets de recherche sur tran­sexua­li­té, autant que ceux de la recherche sur le cancer, …
    Je sou­haite éga­le­ment que ceux qui m’ont exclu d’un groupe Facebook « En marche » aient eu rai­son de le faire, puisque la socié­té se porte de mieux en mieux, que nous sommes à l’abri du RN puisqu’on va condam­ner Marine le Pen, que l’action de Macron sera une des plus mar­quante (tout dépend com­ment on défi­nit ce terme) de la cin­quième République. Donc une grande par­tie de ce que je viens de dire, plus ou moins adroi­te­ment serait sans fon­de­ments, et com­mu­nique le pes­si­misme et la cri­tique systématique.
    Pour finir je te remer­cie de bien vou­loir, en tant que jour­na­liste, en mes­sage per­son­nel ou non, à la lumière de ce post, de me don­ner ton avis sur mon ton péremp­toire et mon cam­pe­ment dans mes certitudes.

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    • Merci Bernard pour ton inté­res­sant com­men­taire. Tu n’es pas dans l’erreur, d’autant que tes « cer­ti­tudes », comme tu dis, s’entourent de ques­tion­ne­ments pour pro­duire assez du doute salu­taire. Il est en effet plus facile d’émettre des cri­tiques de l’extérieur de la poli­tique – et c’est une des rai­sons pour ne pas y mettre les pieds et ne pas se ris­quer à la cen­sure, ni à l’autocensure. Sur ce néfaste wokisme, qui vise à l’annulation du pas­sé et de l’histoire, qui s’acharne à la « décons­truc­tion », note que ça ne date pas des Deleuze, Derrida, Foucault ; on en trouve déjà l’expression dans L’Internationale : « Du pas­sé fai­sons table rase »… Et on a vu ce qui s’est ensui­vi dans les régimes dits com­mu­nistes… Que res­te­ra-t-il du wokisme, reli­gion de secte, en poli­tique et dans les uni­ver­si­tés ? On lui doit déjà le trum­pisme, dont les effets risquent de durer plus long­temps. Quant au mélenchonisme…

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