Coup de cœur

Henry Miller : « Pour que notre cœur chétif puisse battre à l’unisson du grand cœur du monde »

De la guerre russe contre l'Ukraine à celles d'Israël contre le Hamas et le Hezbollah, sans omettre les interminables et meurtriers conflits secouant  la planète, on est à des années lumière de « la paix du cœur »  idéalisée par l'écrivain américain Henry Miller. Revoici, car déjà publié ici même, au lendemain du 7 octobre 2023, ce passage de son Colosse de Maroussi, écrit à la veille de la seconde guerre mondiale…, un texte qui, par son degré de sagesse résonne fortement dans notre tragique actualité. Tragique ou pitoyable, à l'image de cette politique politicienne, cette « popol »   franco-française qui se révèle de jour en jour comme la désastreuse avant-garde des idéologies de Haine.

« Ce que l’homme veut, c’est la paix, afin de pouvoir vivre. La défaite du voisin n’assure pas plus la paix que la guérison du cancer, la santé. La vie, pour l’homme, ne commence pas avec la victoire sur l’ennemi ; pas plus qu’une série de cures interminables n’est pour lui le début de la santé. La joie de vivre est le fait de la paix, qui est, non pas statique, mais dynamique. Personne ne peut se vanter de savoir ce qu’est la joie tant qu’il n’a pas connu, d’expérience, la paix. Et sans la joie il n’y a pas de vie, quand bien même on aurait douze automobiles, six majordomes, un château, une chapelle privée et un abri à l’épreuve des bombes. La maladie, elle est dans nos attachements : habitudes, idéologies, idéaux, principes, biens de ce monde, phobies, dieux, cultes, religions, peu importe, tout ce que vous voudrez. […] Et quant à se cramponner à Dieu – il y a belle lurette qu’il nous a abandonnés, pour nous permettre de savoir ce qu’est la joie d’atteindre par nos propres efforts à la divinité. Toutes ces pleurnicheries sans fin dans le noir, cette piteuse et insistante prière pour la paix, qui ne cessera de grandir concurremment avec la souffrance et la misère, qu’en attend-on ? La paix, les gens s’imaginent-ils que ça s’engrange comme le maïs ou le blé ? Qu’on peut se jeter sur elle et la dévorer comme une charogne que se disputent les loups ? J’entends les gens parler de paix, avec des visages qu’assombrissent la colère, la haine, le mépris et le dédain, l’orgueil et l’arrogance. Il en est qui voudraient se battre pour que règne la paix – ce sont les plus aveugles de tous. La paix ne régnera que lorsqu’on aura définitivement extirpé du cœur et de l’esprit le meurtre. Le meurtre est le sommet de cette vaste pyramide qui a pour base le moi. Ce qui est debout devra s’écrouler. Tout ce pour quoi l’homme s’est battu, il faudra qu’il le répudie avant de pouvoir commencer à vivre en homme. Jusqu’à présent, il n’a été qu’une bête féroce malade ; il n’est jusqu’à sa divinité qui ne pue. Dire qu’il est le maître de tant de mondes, et que dans le sien il est esclave ! Ce qui régit le monde, c’est le cœur, non le cerveau. Il n’est pas de domaine où nos conquêtes apportent autre chose que la mort. Nous avons tourné le dos au seul règne où se tienne la liberté. À Épidaure, dans le silence, dans la grande paix qui m’envahirent, j’ai entendu battre le cœur du monde. La cure, je la connais : c’est d’abandonner, de renoncer, de se rendre, pour que notre cœur chétif puisse battre à l’unisson du grand cœur du monde. »

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