Islamisme

Flottille pour Gaza. Comment l’islamisme instrumentalise les militants occidentaux

Par Kamel Daoud (Paru dans Le Point du 10/10/2025 sous le titre Flottille et floutage)*

Aujourd’hui encore, avec la flottille pour Gaza, l’opportunisme islamiste instrumentalise les militants occidentaux, se nourrissant du conflit pour servir ses ambitions et masquer sa haine. Les Palestiniens restent, eux, absents du débat.

«Heureusement, l’indépendance a nettoyé cette terre de la présence juive ! » conclut l’orateur, fier et convaincu. La scène se déroule en juin, près d’Alger, lors d’une grande conférence de presse animée par Abderrazak Makri, ancien chef du principal parti islamiste algérien et actuel président d’un énigmatique « Forum mondial islamique pour la pensée et la civilisation ». La vidéo a été supprimée depuis, mais, sur scène, ses propos judéophobes sont d’une violence extrême : il ne vise ni l’armée israélienne ni Netanyahou mais les Juifs. Sa diatribe, diffusée sur les réseaux sociaux, regorge de discours vengeurs. À propos de la flottille de 2010, à laquelle il a participé, il affirme : « Nous [les islamistes, NDLR] avons financé le navire européen qui transportait des militants occidentaux. » Israël, selon lui ? « Chien de garde servant les intérêts de l’Occident. Comme une caserne en avant-poste dans la guerre entre nous et l’Occident. » Quant au 7 Octobre, il le voit comme une opportunité pour les islamistes, même s’il faut marcher sur les cadavres desPalestiniens. Makri raconte en détail : « Je discutais avec d’autres chefs de notre mouvement dans le monde et je leur expliquais qu’il ne nous restait plus rien à perdre, nous les promoteurs du projet islamiste. Nous avons presque tout perdu. C’est exactement ce que j’ai raconté à Haniyeh [Ismaël Haniyeh, ancien chef du Hamas, tué par Israël en 2024, NDLR]. “Écoute-moi, lui dis-je, ces paroles te paraîtront étranges […]. On doit savoir, en tant que leaders islamistes, qu’on a presque tout perdu et qu’il ne reste plus rien à perdre.” » Le leader algérien est franc dans ses échanges. « “Et comment remédier à cette situation ?” m’interrogea Haniyeh. “C’est dans vos mains. Le seuil de la résistance doit atteindre un niveau historique inédit.” C’est ce qui poussera l’Oumma à bouger, à revenir au projet islamique. Je le lui ai dit quatre jours avant le Déluge d’Al-Aqsa [nom donné par les islamistes aux attaques du 7 Octobre, NDLR]. » Ainsi, la Palestine et ses morts ne sont pour lui qu’un carburant avantageux.

Aujourd’hui, ce même personnage typique de la pensée islamiste participe à la flottille Sumud avec le même opportunisme. C’est la pratique habituelle des islamistes, qui se posent en tuteurs des idiots utiles en Occident et les poussent vers la vitrine pour se cacher derrière eux. Cette flottille impose ainsi la futilisation du conflit palestinien et un spectacle presque malsain.

Cette semaine, arrêté et transféré à Ashdod après l’arraisonnement de son navire, Makri a réclamé, dans une vidéo pseudo-testamentaire, l’assistance des ONG et des « droits de l’homme ». Il sera sans doute défendu comme humaniste par des naïfs et salué comme un militant des libertés par les ingénus. Voici le nœud de l’affaire : la tragédie mêle des morts, des opportunistes, des crédules et des indignés sincères.

Au-delà de cet épisode, la tragédie palestinienne révèle nos biais : nos émotions sont forgées par nos histoires, cultures, images et arrière-pensées politiques. Les drames oubliés, comme au Soudan, n’existent pas sans images ni assaisonnement postcolonial et judéophobie. Mon histoire personnelle diffère de celle d’un Occidental : venant d’Algérie, où les islamistes ont massacré pendant la guerre civile (1990-2000), je suis prémuni de leur rhétorique de « libérateurs » par leur messianisme sanguinaire. Ils libèrent seulement leurs haines. Je le sais, je l’ai vu.

De fait, la flottille matérialise la jonction entre théâtralisation occidentale du drame, contrition post-coloniale et usage rusé de la culpabilité par les islamistes. Les Palestiniens ? Ils sont absents des navires, des plateaux télévisés. On parle en leur nom, on endosse leurs kefiehs, on les ignore.

Dans sa vidéo, Makri en appelle précisément aux Occidentaux, car, dans son pays, démocratie et ONG n’existent pas. Pourtant, il condamnera cet Occident à son retour, appelant à son extermination.

Tel est le visage des parasites de ce drame. La vision « libératrice » islamiste est fondamentalement haineuse envers les Juifs. Le chef islamiste algérien cite un vétéran de la guerre d’indépendance : « Un moudjahid me racontait, expliqua Makri, que “les Juifs, on les égorgeait, car ils ne valent même pas la dépense d’une balle”. » Et il ajoute : « Nous avons une longue histoire avec les Juifs. C’est ce qui explique que nous sommes le seul pays à utiliser le mot “Juif ” comme une insulte. » C’est déclamé dans la fierté. Mais, sur la scène de la flottille, il dira autre chose.

En fin de compte, la Palestine est un meurtre de dos et de face. Ceux qui en profitent ne veulent pas libérer ses vivants mais se servir de ses morts.

Dilemme insupportable : libérer les Palestiniens semble parfois libérer concomitamment l’islamisme ; se taire sur le sort des morts participe à l’injustice.

* Merci à l'auteur et au Point d'autoriser cette republication.

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