Siné, Charlie Hebdo et la fabrique d’antisémitisme
S’en prendre au clan Sarkozy, donc à l’arrivisme ; en particulier à celui de l’un de ses membres hyperactifs, lui aussi, à savoir le prénommé Jean, déjà préempté par le système hypermédiatique et propulsé sur la scène hyperpoliticienne. Voilà donc ce qui vaut à Siné son exclusion de facto de Charlie Hebdo dont le patron, Philippe Val, taxe le dessinateur- chroniqueur d’antisémite. Rien de moins ! Et pourquoi donc ? Jugeons sur pièce, soit le passage incriminé, écrit par Siné :
« Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l'UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n'est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! ».
Scandaleux, n’est-il pas ?
L’allumeur de mèche de cette cabale, affligeante de mauvaise foi, c’est un journaliste du Nouvel Observateur, Claude Askolovitch qui, sur RTL, a exploité au profit de sa cause la phrase en question pour la monter en épingle antisémite. Quelle cause ? Celle du complot anti-juif qui frappe la France et tous ceux qui, dans la généralisation, pourraient s’aventurer en terre judaïque sans en avoir l’Onction – je mets une capitale pour désigner, par antinomie, une sorte de fantasme amalgamant toute critique, toute libre expression portant sur une religion, son histoire, sa culture, ses rites, ses martyrs (par millions, il est vrai), son pays de fixation (Israël), puis sa communauté et ses clans, pendant qu’on y est. Tant et si bien que toute expression portant sur ces domaines se trouve comme soumise à un terrible surmoi non identifié, à un puissant refoulement empêchant toute expression spontanée, non passée au crible du possible procès d’intention, pesée au trébuchet du judaïquement correct. Et, bon sang, ne suis-je déjà pas en train d’amorcer un début de dérapage ? N’aurais-je pas mis un doigt dans l’engrenage de cette mécanique à fabriquer de l’antisémitisme ?
Siné n’a jamais fait dans la nuance. C’est son charme. On y est sensible ou pas. La question n’est pas là. La question est celle de la libre liberté d’expression ! Y aurait-il diffamation à décrire l’itinéraire, le comportement, les attitudes d’un Rastignac déjà clairement identifié ? Siné explique : « Je reproche à Jean Sarkozy de se convertir par opportunisme. S'il s'était converti à la religion musulmane pour épouser la fille d'un émir, c'était pareil. Et la fille d'un catholique, pareil, j'ai jamais fait de cadeau aux catholiques. »
Si encore, concède Askolovitch dans le Nouvel Obs’, Siné demeurait « dans son registre admis, l'ennemi personnel des bondieusards... Là, son texte joue avec les registres magiques de l'antisémitisme, l'image du juif favorisé, riche et puissant... On est dans la veine de Bruant, ce troubadour d'il y a un siècle qui aimait le populo mais vomissait les youpins. On est du côté de Céline, de l'antijudaïsme populacier... Dans un recoin obscur du patrimoine génétique des gauches... »
Il y aurait donc du génétique dans l’air ? Et on parlerait d’antiracisme, vraiment ?
En fait, le vrai contentieux semble plutôt se jouer entre le dessinateur et Val. Ils se détestent. Notamment depuis les options euro-oui-ouistes de Val et le soutien inconditionnel de Siné à Denis Robert dans l’affaire Clearstream.
Les réactions fusent à la pelle sur les sites, notamment ceux de l’Obs’ et du Monde. Morceaux choisis :
– « Bien que juif, je n'arrive pas à voir des propos antisémites dans le texte de Siné... Je lis l'arrivisme de Jean Sarkozy, ça oui mais pour le reste... M. Askolovitch ne souffrirait-il pas du syndrome Finkielkraut qui voit des antisémites derrière chaque réverbère ? »
– « En lisant les propos de MM Askolovitch et Val, j'ai compris pourquoi Le NouvelObs et Charlie Hebdo ne m'intéressaient plus. C'est vrai que je montre parfois de la fatigue en lisant Siné, mais au moins il bouge et ne nous sert pas les poncifs de ses pairs. Sur l'antisémitisme, il faudra que l'on m'en reprécise la définition... »
– « Paris vaut bien une messe. Une fille de milliardaire vaut bien une conversion. La bienveillance de Sarkozy et du groupe Clearstream valent bien un licenciement. »
– « M. Askolovitch manie la logique avec une redoutable légèreté. Si Siné avait "accepté de s'excuser", il avouait du même coup avoir commis une maladresse, au pire un méfait. On ne plaide pas coupable pour un crime qu'on n'a pas commis ! […] Je me permets de signaler l'existence d'un texte de soutien à Siné, qu'on peut lire ici : http://susauvieuxmonde.canalblog.com/archives/2008/07/17/9951140.html »
– « Il y a une grave dérive en France sur la notion d'antisémitisme. Des critiques ou des violences sur un juif pour un autre motif que sa religion deviennent de l'antisémitisme. A l'inverse caractériser TOUS les musulmans comme terroristes (caricatures de Mahomet) est de la liberté d'expression. On alimente la suspicion, le sentiment de deux religions deux mesures. Ce n'est pas ainsi que l'on combat la vrai antisémitisme, ni toute forme de discrimination. Sommes nous toujours au pays de Voltaire ? »
– « À Chris qui écrit: "J'ai l'impression que la liberté d'expression recule en France à pas gargantuesques." Classement Mondial de la liberté de la presse. (Reporters sans frontières) Les résultats pour la France sont: 2002: 11ème. 2003: 26ème 2004: 19ème 2005: 30ème 2006: 35ème 2007: 31ème http://www.rsf.org/article.php3?id_article=24011 »
Et le dernier, pour la chute – et l’humour salvateur :
– « Tiens Charlie fait de l'antiSinétisme, HAHA! ».
>>> Signatures de soutien : Rémi Malingrey <remi.malingrey@wanadoo.fr>
Il y a cinq ans, Bernard Langlois dans la ligne de mire
À l’été 2003, Claude Askolovitch s’en était pris sur le même registre de l’antisémitisme à mon ami Bernard Langlois, de Politis : « Il y a dans la fraternité des choses moins claires. Bernard Langlois, directeur de la revue « Politis », un des organes du mouvement altermondialiste, a récemment exécuté le PS, coupable de ne pas rompre avec Israël, pointant nommément trois de ses dirigeants d’origine juive - Moscovici, Fabius et Strauss-Kahn, « époux d’Anne Sinclair, elle-même militante sioniste acharnée » (Le Nouvel Observateur, 14/08/2003).
Dans son droit de réponse, Langlois précise notamment, à propos de ces trois dirigeants du PS, qu’il les avait pointés « pour la part personnelle qu’ils avaient prise dans cette lamentable affaire [l'exclusion de facto du PS de Pascal Boniface] : M. Moscovici en endossant la responsabilité de la sanction envers Boniface ; M. Fabius en démissionnant du conseil d’administration de l’Iris que dirige Pascal Boniface ; M. Strauss-Kahn, enfin, pour avoir fait huer le nom de son camarade de parti dans une réunion publique des " amis d’Israël ". »
Dans son Bloc-notes du 28, Langlois relevait : « […] Je suis même plutôt content de cette attaque imbécile, qui démontre précisément ce que voulait illustrer mon papier : qui critique Israël (...) est quasiment un complice du génocide ! »
Plein accord avec vous.
J’ai écrit un article, qui comporte d’autres éléments (convergents), sur le même sujet, accessible ici :
http://www.combatenligne.fr/article/?id=2584
Cordialement.
Gilles