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CUBA. Nouvelle grève de la faim d’un opposant, durcissement du régime

Tandis que le régime cubain se durcit encore davantage sous le double effet de la crise et d’un accès de protestations, un autre dissident a entrepris une grève de la faim. Guillermo Fariñas, psychologue et journaliste de 48 ans, prend ainsi le relais de Orlando Zapata Tamayo qui, lui, est mort le 23 février à La Havane. Il avait cessé de s’alimenter durant plus de deux mois pour protester contre ses conditions de détention et celles de plusieurs dizaines d’opposants incarcérés. La détermination désespérée de Guillermo Fariñas bute sur l’intransigeance du régime castriste. Un affrontement qui fait craindre le pire, une fois de plus. D'autant qu'on apprend qu'il a perdu connaissance hier.

L’interview de Guillermo Fariñas a été menée par le journaliste espagnol Mauricio Vicent et publiée dans le quotidien madrilène El Pais mardi dernier. En voici la traduction.

20100303elpepuint_3.1267811207.jpgLe psychologue et journaliste dissident Guillermo Fariñas a 48 ans et 23 grèves de la faim derrière lui. Depuis qu'il a rendu sa carte de l'Union des Jeunes Communistes, en 1989, en protestation contre l'exécution du général Arnaldo Ochoa*, il est entré dans l'opposition, et a passé, depuis, 11 ans et demi en prison. Il est considéré comme un dur. Sa dernière grève de la faim, en 2006, pour demander le libre accès à internet pour tous les Cubains, dura plusieurs mois et il fallut l’opérer à plusieurs reprises pour lui sauver la vie. Il en garde de nombreuses séquelles et sa famille, cette fois redoute un rapide dénouement fatal.

Dans sa maison de Santa Clara, accompagné d'une vingtaine d'opposants, Fariñas reçoit El Pais alors qu'il en est à son septième jour sans nourriture ni eau [l’interview a été publiée le 02/03/2010]. Il est extrêmement faible, bien que conscient, et il peut encore marcher. Il a le regard illuminé, et dit – c'en est effrayant – qu'il veut mourir pour devenir un « martyre » et prendre le relais de Orlando Zapata. Il voit son corps comme un instrument de plus pour « faire parvenir Cuba à la liberté ». Sa mère, Alicia Hernandez, et sa femme, Clara, s'opposent radicalement à cette protestation, bien qu'elles respectent sa décision. Deux médecins lui rendent visite chaque jour, un dissident et un autre de l'État, qui suivent en permanence son évolution.

Quels objectifs recherchez-vous au travers de cette grève ?

– Premièrement, que le gouvernement paie un coût politique fort pour l'assassinat de Orlando Zapata Tamayo. En second lieu, si les autorités ne sont ni cruelles ni inhumaines, qu'elles libèrent immédiatement les prisonniers politiques qui sont malades et qui pourraient bientôt devenir d'autres Zapata. Le troisième objectif est, si je meure, que le monde s'aperçoive que le gouvernement laisse mourir ses opposants et que ce qu'il s'est passé avec Orlando n'est pas un cas isolé.

Mais quelle est votre demande concrète ?

– Que le gouvernement libère ces 26 prisonniers politiques qui sont malades, et que, jusqu'aux propres services médicaux du ministère on considère qu'ils doivent être mis en liberté, puisqu'ils ne survivront pas en prison.

Et s'ils ne les relâchent pas ?

– Je continuerai jusqu'aux dernières conséquences...

Vous voulez mourir ?

– (Silence)... Oui, je veux mourir. Il est temps que le monde s'aperçoive que ce gouvernement est cruel, et qu'il y a des moments dans l'histoire des pays où il doit y avoir des martyres.

Vous voulez devenir un martyre consciemment ?

– Même les psychologues du ministère de l'intérieur disent que c'est mon profil : j'ai une grande vocation de martyre... Orlando Zapata a été le premier chaînon dans l'intensification de la lutte pour la liberté de Cuba. Moi j'ai été celui qui a saisi le bâton de son relais, et quand je mourrai, un autre le prendra.

Vous êtes sûr ? Vous croyez que cela va provoquer un stimulant pour le changement dans votre pays ?

– Moi je suis pessimiste. Je pense que le gouvernement ne va pas changer. Je n'ai pas d'espérance. Le gouvernement cubain se trouve dans une passe difficile, mais il ne va pas changer, jusqu'à que nous soyons 50 opposants en grève de la faim, ce qui serait un problème au niveau de toute la société.

Votre père a combattu aux côtés de Che Guevara au Congo. Votre mère était révolutionnaire. Vous-même avez été militaire et avez étudié en Union soviétique. Comment en êtes-vous arrivé à la dissidence ?

– Ce fut un long processus. Les événements de l'ambassade du Pérou en 1980** ont constitué le premier désaccord. J'avais pour rôle de maintenir l'ordre. Il y avait des dizaines de milliers de personnes qui voulaient partir. En URSS, je me suis rendu compte des nombreuses perversions de ce régime auquel, en théorie, nous devions ressembler. En 1989, avec l'exécution de Ochoa, j'ai complètement rompu. Depuis je ne me suis pas tu, et je ne me tairai pas jusqu'à ce que je meure.

Qu'est ce qu'il va se passer maintenant ?

– Moi je me sens déjà très faible. J'ai mal à la tête et je commence à me déshydrater. Il arrivera un moment où je m'effondrerai et perdrai connaissance. Alors ma famille décidera [la mère et l'épouse disent qu'à ce moment elles le feront entrer à l'hôpital et le nourriront par voie parentérale].

Et quand vous vous réveillerez à l'hôpital...

– S'ils me mettent dans une chambre fermée, où je ne pourrai pas recevoir de visite de mes frères de lutte, je demanderai l’arrêt de l'alimentation médicale. S'ils me mettent dans un endroit où je pourrai recevoir la visite de mes camarades, même si ça doit être au travers de vitres, dans la salle de soin intensif, pendant les horaires réglementaires des visites, je permettrai cette alimentation parentérale, bien que je ne boirai ni mangerai. Dans ce cas, je pourrai vivre tant que Dieu le voudra.

Que croyez-vous que pensent de tout ça votre femme, votre fille (de huit ans), votre mère ?

– Quand j'ai pris la décision de commencer cette grève de la faim, ma mère est restée seize heures sans me parler. Maintenant, bien qu'elles s'y opposent toujours, elles respectent ma décision. Je leur dis que pour le bien de la patrie, la famille doit souffrir. J'imagine que la mère de Jose Marti a souffert, et aussi celle de Antonio Maceo [deux héros emblématiques de l'indépendance de Cuba].

Traduction Marine Ponthieu

Notes de GP :

* Le général Arnaldo Ochoa , ancien de la Sierra Maestra et « héros » de la guerre d’Angola, a été exécuté sous l’accusation de trafic de drogue au lendemain d’un procès de type stalinien, avec « aveux » largement médiatisés par la télévision. L’Histoire, quand elle parlera, livrera une toute autre version. Par exemple, que les frères Castro avaient confondu Ochoa dans des intentions putschistes, avec d’autres militaires en opposition au régime ; et cela au moment même où la CIA s’apprêtait à révéler la réalité d’un officiel trafic de drogue entre Cuba et les FARC colombiens. Un marché aurait été imposé à Ochoa : la vie sauve contre la reconnaissance du trafic de drogue mené à son propre compte. Ainsi la « Révolution » serait-elle lavée de tout soupçon d’infamie… Ochoa « avoua » donc, mais fut exécuté un mois après le verdict le condamnant à mort.

** En mars 1980, l’ambassade du Pérou à La Havane avait été littéralement envahie, en deux jours, par plus de 10 000 candidats à l’émigration. L’affaire provoqua ensuite le départ vers les États-Unis de 127 000 « marielitos », du nom du port cubain de Mariel.

>>> Voilà bientôt deux mois que je suis sans nouvelles de deux amis cubains. J’ose espérer qu’il ne leur est rien arrivé de plus grave que l’interdiction totale d’envoyer des courriels depuis leurs lieux de travail.

De plus, sur son blog "Generacion Y", l'opposante Yoani Sanchez n'a plus déposé d'article depuis le 24 février – ce qui est tout à fait inhabituel.

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Une réflexion sur “CUBA. Nouvelle grève de la faim d’un opposant, durcissement du régime

  • Yoani Sanchez est reve­nue sur son blog ; elle y décrit son désar­roi après la mort de Orlando Zapata Tamayo : « Ces der­niers jours ont été trop intenses. Mon esprit ne peut que res­sas­ser le visage plon­gé dans la pénombre de Reina Tamayo face à la morgue où elle a pré­pa­ré et habillé son fils pour le plus long voyage. Ensuite, les images du mer­cre­di s’amoncellent : arres­ta­tions, coups, vio­lence, un cachot empes­tant l’urine, mitoyen d’un autre où Eugenio Leal et Ricardo Santiago reven­di­quaient leurs droits. Le reste du temps j’ai mar­ché comme une marion­nette, regar­dé sans voir, tapé rageu­se­ment sur mon clavier.
    « Dans cet état, per­sonne ne peut écrire une seule ligne cohé­rente et modé­rée. J’ai tel­le­ment envie de crier, mais le 24 février m’a lais­sée aphone.
    D’autres articles expriment tant de déses­pé­rance ! J’y revien­drai. On peut aus­si consul­ter http://​des​de​cu​ba​.com/​g​e​n​e​r​a​c​i​o​n​y​_​fr/

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