Cuba. Castro, le tyran illusionniste
Pourtant sacralisé, immortalisé, Fidel Castro a fini par mourir. Quatre-vingt-dix ans. Tout de même, les dictatures conservent… Ses obsèques vont être grandioses, c’est bien le moins pour couronner la fin d’un tel règne. Neuf jours de deuil national ! Quatre jours à balader ses cendres, reliques d’une « révolution » sanctifiée, spectacle politique, iconographique, religieux, médiatique… Je pèse mes mots, qui pointent les angles du grand Spectacle qui, en effet, a produit, entretenu, consacré le castrisme. Comment cela s’est-il opéré ? Comment cela a-t-il tenu, durant plus d’un demi-siècle ? Comment cela perdure-t-il encore, malgré les désormais évidentes désillusions ?
Comment devient-on tyran ?
Chez les anciens Grecs, « tyran » désignait un homme qui avait pris le pouvoir sans autorité constitutionnelle légitime. Le mot était neutre, tout comme la chose, n’impliquant aucun jugement sur les qualités de personne ou de gouvernant.[ref]Les anciens Grecs, Moses I. Finley, Ed. Maspero, 1971.[/ref] Le parallèle avec Cuba et Castro, si loin dans le temps et les lieux, c’est la constance du processus d’évolution du Pouvoir. Dans la Grèce antique, de tyran en tyran, l’exercice du pouvoir passe peu à peu d’une forme disons libérale à celle d’un pouvoir militaire incontrôlé. Et les tyrans le devinrent dans le sens d’aujourd’hui.
– le contexte géopolitique de la guerre froide plaçant Cuba entre le marteau et l’enclume des impérialismes américain et soviétique ;
– l’habileté machiavélique de Fidel Castro dans sa conquête et sa soif du pouvoir avec un sens extrême de la communication, mêlant mystique et mystification ;
– la complicité objective des « élites » occidentales surtout, mais aussi tiers-mondistes, fascinées par le castrisme comme « troisième voie » politique.
Ces trois piliers principaux ont permis à Castro d’asseoir une dictature « aimable », sympathique, voire humaniste – une « dictature de gauche » a même osé Eduardo Manet, dramaturge français d’origine cubaine ! « Poids des mots, choc des photos », surtout s'il s'agit d'images pieuses, celles du héros moderne, incarnation du mythe biblique de David contre Goliath. Images renforcées par les multiples tentatives d’assassinat (plus ou moins réelles, sinon arrangées pour certaines) menées par la CIA, jusqu’au débarquement raté d’opposants dans la Baie des Cochons. Ce fiasco militaire ajoute à la gloire du « commandante », gonflant la légende commencée dans la Sierra Maestra avec la guérilla des barbudos, sympathiques débraillés fumant le cigare en compagnie de leur chef adulé, fort en gueule et belle-gueule, taillé pour les médias et qui saura en user et abuser – le New York Times et CBS envoient bien vite leurs reporters.
L'icône au service de la mythologie. Que la révolution était jolie !
Aujourd’hui, en ces temps d'homélies, on entend sur les radios claironner la doxa consistant à blanchir les excès « autoritaires » en les mettant sur le dos des méchants Américains et leur « embargo », cause de tous les maux des malheureux et valeureux Cubains ! Ledit embargo a certes causé de forts obstacles dans les échanges commerciaux, et financiers surtout, avec l’île ; mais il ne les a pas empêchés ! Les États-Unis sont même le premier pays pour les échanges commerciaux (hors produits stratégiques, certes) avec Cuba. Cet embargo – toujours qualifié de blocus par le gouvernement cubain, ce qu’il n’est nullement ! – a surtout servi à renforcer, en la masquant, l’incurie du régime, chargeant ainsi le bouc émissaire idéal. J’ai montré tout cela lors d’un reportage publié en 2008 dans Politis [L’espérance était verte, la vache l’a mangée, décembre 2008 – disponible en fin d'article] qui m’a valu les foudres de Jeanne Habel, politologue spécialiste de Cuba, et d’être traité d’ « agent de la CIA »…
Passons ici sur l’itinéraire du « futur tyran », même si les biographies sont toujours des plus éclairantes à cet égard. Rappelons juste que Castro fut soutenu par les Etats-Unis dès son opposition à la dictature de Batista. Après la prise de pouvoir en 1959, son gouvernement est reconnu par les États-Unis. Nommé Premier ministre, Castro est reçu à la Maison Blanche où il rencontre Nixon, vice-président d’Eisenhower. Les choses se gâtent quand Castro envisage de nationaliser industries et banques, ainsi que les secteurs liés au sucre et à la banane. Il se tourne alors vers l’Union soviétique – qui achète au prix fort la quasi-totalité du sucre cubain. C’est la casus belli : les États-Unis n’auront de cesse d’abattre le « régime communiste » instauré à 150 kilomètres de ses côtes.
Si toutefois ce régime a tenu sur ses trois piliers boiteux, c’est au prix d’une coercition du peuple cubain. À commencer par le « récit national » – l’expression est à la mode – entrepris dès la prise du pouvoir par Castro, propagé et amplifié par l’enseignement (gratuit !) sous forme de propagande, et par les médias tous dépendants du régime. Coercition dans les esprits et aussi coercition physique par la surveillance et le contrôle étroits menés dans chaque quartier, auprès de chaque habitant, par les Comités de défense de la révolution. De sorte que la dissidence apparaisse comme unique forme possible d’opposition – d’où l’emprisonnement politique, l’exil clandestin, la persécution des déviants.
Tyran, certes, Castro était aussi et peut-être d'abord un séducteur des masses doublé d’un illusionniste. Ses talents dans ce domaine étaient indéniables et à prendre au pied de la lettre : ainsi quand, lors d’un de ses interminables sermons, quand il fait se poser, comme par miracle, une blanche colombe sur une de ses épaules… La séquence fut filmée, pour entrer dans l’Histoire… mais la supercherie [les colombes étaient dirigées par leur dresseur,, derrière la tribune… Ce qu'on appelle une manipulation.] démontée quelques années plus tard.
Le castrisme, ai-je souligné dans mes reportages, est avant tout un régime de façade – tout comme ces façades d’allure pimpante, restaurées pour la cause, entre lesquelles se faufilent les touristes béats au long des circuits des voyagistes. Ces touristes peuvent aussi, bien souvent, être rejoints par nombre de journalistes, écrivains, politiciens et divers intellectuels en mal de fascination exotique.
La mort de Castro n’implique pas forcément celle du castrisme. Mais que survivra-t-il de cette dictature illusionniste après la mort de ses manipulateurs, une fois que l’Histoire, la vraie, aura fait surgir la réalité d’un demi-siècle de falsifications ?
>Mon reportage de 2008 dans Politis :gponthieu241208politis ; et la Tribune qui s'ensuivit de Jeanne Habel : 1038_politis-30-31-j-habel ; enfin, ma réponse : politis_1041reponse-gp-260209
Joli concours de pleureuses pour la mort d’un dictateur dans le paysage politique.… On peut s’interroger !!!
Grand bravo encore pour cet article et pour le reportage publié dans Politis. C’est toujours le même tour de passe-passe des idéologues « marxistes » : la justification d’un état de fait au fond déplorable, d’une faillite quant à la liberté, par une cause extérieure à cette faillite, ici par le blocus des Etats-Unis. Les léninistes et autres trotskistes justifiaient eux aussi la répression léniniste et le manque d’établissement d’un socialisme réel en Russie par l’opposition que subissait la Russie de la part des pays occidentaux. Jamais la question du pouvoir, d’une minorité qui s’arroge ce pouvoir et le fait de décider de ce qui doit être – selon elle – le bonheur du peuple n’est interrogée. Car quand même, une question se pose : comment se fait-il que TOUTES les révolutions d’obédience marxiste et léniniste (le parti unique comme détenant la seule vérité) ont fini (et même commencé !) par être des dictatures. Le socialisme, le vrai, ne peut être que par la prise en mains de l’économie par les travailleurs eux-mêmes (comme cela l’a été en Espagne Libertaire 36 – 39) et donc par la dissolution de l’Etat, sa résorption, dans l’ensemble de la société. Un pays qui ne satisfait pas aux besoins essentiels de ses habitants – nourriture, logement, habillement, éducation libre, santé, ne peut prétendre à se dire socialiste, communiste, etc., que par un mensonge, un tour de passe-passe. Le seul fait de n’avoir pas mis fin à la monoculture de la canne à sucre prouve déjà que l’exigence de bien être de la population a été le moindre des soucis du pouvoir castriste. Comme Orwell l’a très bien décrit, explicité, dans son livre 1984, les pouvoirs « communistes » ont toujours eu besoin de faire se perdurer la pénurie, la misère des masses.
En fait, je ne le connais pas. Donc, a‑t-il existé ? Car si je comprends bien (…pas sûr !) l’actualité, un « présentateur » de « télé », (le média qui a remplacé la bible), peut décider de juger et diffuser ce qu’il souhaite que nous gobions (si on est spectateur-consommateur-profiteur), sur n’importe lequel d’entre nous (ou plutôt VIP) qu’il désigne sulfureux, pervers, différent… Et qu’il modèle selon mots et images choisis (ce qui n’implique aucune vérité). Bref, entre Castro et David Hamilton, qui a vendu le plus de posters ?
Bien dit
Bien expliqué
Bien documenté
Lire aussi la biographie de Fidel Castrô de Serge Raffy..
La romancière cubaine Zoé Valdes
Comment une belle idéologie finit en dictature.. domination et oppression
Du peuple qu’elle voulait libérer. .
Profonde et difficile réflexion.
Merci Gérard
Le Che a réussi, lui, à préserver sa pureté christique, enfin presque…
C’est aussi le moment de réécouter ou de découvrir « Le tango Nicaragua » de Léo Ferré :
http://www.youtube.com/watch?v=WzE2N2BThxU