Gilets jaunes. « Vous auriez en tirant sur nous Assassiné la République » (Monthéus, 1907)
Temps de lecture ± 3 mn + chanson
Par Binoît
L'idée, digne d'un Prix Nobel, de mettre des soldats en face des Gilets jaunes (même infiltrés par des blackblocs et l'ultra-gauche) m'a fait tout de suite penser à la chanson de Monthéhus, Gloire au 17e, composée en l’honneur des soldats du 17e Régiment d'infanterie (les pioupious) qui, en 1907, refusent de tirer sur une manifestation de vignerons et mettent la crosse en l'air.
[dropcap]En[/dropcap] pleine révolte des vignerons du Languedoc en 1907, le 17e régiment d'infanterie de ligne composé de réservistes et de conscrits du pays, est muté de Béziers à Agde le 18 juin. Dans la soirée du 20 juin, les soldats apprennent qu’à Narbonne la troupe, sur ordre de Georges Clemenceau, a tiré sur des manifestants. Environ 500 soldats de la 6e compagnie du 17e régiment d'infanterie se mutinent. Ils emportent armes et munitions, quittent la caserne où ils étaient cantonnés et prennent la direction de Béziers, à pied. Ils parcourent une trentaine de kilomètres, par une marche de nuit. Le 21 juin, en début de matinée, ils arrivent à Béziers, accueillis chaleureusement par la population. Les soldats s'installent alors sur les Allées Paul-Riquet, mettent crosse en l’air et fraternisent avec les Biterrois qui leur offrent nourriture et vin.
Après l'intervention du Comité de défense viticole de Béziers et sur la promesse qu'il n'y aurait pas de sanctions individuelles, les mutins acceptent de rentrer dans leur caserne de Béziers. Le 22 juin, par train, les soldats sont transférés à Agde et de là à Gap.[ref]La négociation et l’ampleur de la mutinerie du 17e ont permis d’éviter une punition collective : de Gap, les mutins sont envoyés à Villefranche-sur-Mer d'où ils prennent la mer jusqu'à Gafsa (Tunisie) lieu de cantonnement de compagnies disciplinaires ; mais ils restent en dehors de ce cadre, sous un statut militaire ordinaire. Il n'y eut donc pas de sanctions pénales à la révolte du 17e, contrairement à la légende qui courut à ce sujet. C'est à la suite de ces événements que désormais les conscrits effectueront leur service militaire loin de chez eux.[/ref]
Après la guerre, les socialistes (Jules Moch), qui avaient encore quelques notions de leur identité historique, pour ne pas avoir à recourir à l'armée, avaient créé les Compagnies républicaines de sécurité (CRS) face aux grèves quasi insurrectionnelles de 1947 encadrées par la CGT/PC.
Les pioupious de ce 19e samedi "jaune" vont donc se présenter, selon l’ordre gouvernemental, en défense des édifices de la République (en marche). Équipés pour la guerre – casque de combat, gilet pare-balles, fusil d’assaut –, ils ne le sont pas pour le maintien de l’ordre. Comme tels, ils risquent de se retrouver « à poil » et, en cas d’agressions, devant l’alternative : tirer ou… crosse en l’air…
Pour résumer, ci-dessous : la chanson de Monthéus (1907, musique de Raoul Chantegrelet et Pierre Doubis) et son interprétation par le regretté Marc Ogeret.
Gloire au 17e
Légitime était votre colère
Le refus était un grand devoir
On ne doit pas tuer ses père et mère
Pour les grands qui sont au pouvoir
Soldats, votre conscience est nette
On n'se tue pas entre Français
Refusant d'rougir vos baïonnettes
Petits soldats, oui, vous avez bien fait
{Refrain:}
Salut, salut à vous
Braves soldats du 17ème
Salut braves pioupious
Chacun vous admire et vous aime
Salut, salut à vous
A votre geste magnifique
Vous auriez en tirant sur nous
Assassiné la République
Comme les autres, vous aimez la France
J'en suis sûr même, vous l'aimez bien
Et sous le pantalon garance
Vous êtes restés des citoyens
La patrie c'est d'abord sa mère
Celle qui vous a donné le sein
Et vaut mieux même aller aux galères
Que d'accepter d'être son assassin
{au Refrain}
Espérons qu'un jour viendra en France
Où pour tous la concorde règnera
Ayons tous au cœur cette espérance
Que bientôt ce grand jour viendra
Vous avez j'té la première graine
Dans le sillon d'l'Humanité
La récolte sera prochaine
Et ce jour-là, oui, vous serez fêtés
Comme les autres, vous aimez la France
J'en suis sûr même, vous l'aimez bien
Et sous le pantalon garance
Vous êtes restés des citoyens
La patrie c'est d'abord sa mère
Celle qui vous a donné le sein
Et vaut mieux même aller aux galères
Que d'accepter d'être son assassin
{au Refrain}
Espérons qu'un jour viendra en France
Où pour tous la concorde règnera
Ayons tous au cœur cette espérance
Que bientôt ce grand jour viendra
Vous avez j'té la première graine
Dans le sillon d'l'Humanité
La récolte sera prochaine
Et ce jour-là, oui, vous serez fêtés
Montéhus
Merci pour le rappel, ou seulement la découverte (dans mon cas), de cet évènement historique remarquable, et pour le commentaire, la belle chanson et Marc Ogeret.
La macronie révèle, fait ressortir comme le nez au milieu de la figure, le vrai caractère de l’Etat avec sa brutalité, et son mépris de la société civile, sa volonté de la dominer sans contestation, de la déposséder de toute possibilité de prendre en mains elle-même son destin. L’Etat n’est autre que la propriété privée du pouvoir, de tous pouvoirs de décision. Ce qui se passe depuis 18 mois confirme tout à fait la vieille critique anarchiste de l’Etat, telle qu’elle a été formulée par ses plus éminents théoriciens, les Proudhon, Bakounine, Kropotkine, Max Stirner… Critique de l’Etat et de cette parodie de démocratie qu’est la démocratie parlementaire bourgeoise. (Attention, je ne dis pas qu’une telle « démocratie » est aussi terrible qu’une dictature, mais elle contient un côté dictatorial qui ressort inévitablement quand le peuple se soulève ou tente seulement de s’exprimer. Par peuple j’entends « tous ceux sur lesquels s’exerce la domination » selon la très belle formule de Michel Onfray.)
Ce qui donne la nausée c’est d’entendre les macronistes affirmer – concernant les Gilets Jaunes – que ceux-ci s’attaquent à la république, à la démocratie, comme si la 5ème République était LA République, comme si l’organisation étatique actuelle en France était La Démocratie, alors que ces gens n’ont de démocrates que l’apparence, d’où leur refus sans cesse affirmé du Référendum d’Initiative Citoyenne.
Les forces militaires sont le bras armé de l’Etat, nous le voyons une fois de plus, même au pays des Droits de l’Homme. Si la gauche avait été vraiment de gauche, si ceux qui se prétendent démocrates l’étaient vraiment, il y a belle lurette que les militaires (armée et gendarmerie) auraient le droit de se syndiquer, ce qui pourrait déjà changer quelque chose, faire un pas vers une démocratie plus véritable.
Ma grand-mère, qui était alors toute jeune et habitait à côté des Allées Paul-Riquet, est allée leur porter à boire, aux Pioupious. Rarissime exemple de mutinerie dans l’armée française que ce Béziers, par ailleurs siège d’un autre « fait d’armes », le sac qui coûta la vie à des milliers de Biterrois le 22 juillet 1209 (avec le vraisemblablement apocryphe ordre du légat du Pape : « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! »).