Alain Mollot, l’homme de théâtre, l’ami perdu
De ces jours où tout bascule. Téléphone de l’ami qui m’apprend la mort d’Alain, l’ami très cher. Je fais répéter. J’ai bien entendu. Larmes, visions ravivées, voix, souvenirs. Alain Mollot, homme de théâtre. Mais homme d’abord, homme debout. Jusqu’à la fin.
« Je n’irai qu’une semaine à Avignon » me disait-il encore au téléphone la semaine d’avant. Il se sentait déclinant, menacé, mais pas au point de s’absenter. Sa dernière mise en scène se jouera sans lui (du 6 au 28 juillet 2013 au Théâtre des Lucioles à 17h25) mais cependant toute pénétrée de sa présence. La Ville est une tragi-comédie de l’auteur russe contemporain Evguéni Grichkovets, sorte de « Woody Allen moscovite ». Avec cette ultime pièce, Alain boucle ainsi un cycle entamé il y a une quarantaine d’années avec la création du Théâtre de la Jacquerie, cette troupe alors inclassable de comédiens rencontrés à l'école Jacques-Lecoq, (où il enseignera plus tard). Jean-Pierre Chabrol les repère bientôt et ne les quittera plus du cœur et des yeux – jusqu’à sa mort, évidemment, lui aussi. De cette jonction naîtront Lumpen en 78 et Tit bonhomme l'est pas très mort en 80, pièces « déjantées » célébrant le théâtre cru, charnel, comique et populaire – en ce sens un théâtre de l’engagement.
Dès 1985, la Jacquerie s'implante dans le Val-de-Marne, à Villejuif. Alain aborde alors le répertoire à travers Molière, L'École des Femmes, Goldoni, Le Café, Romain Rolland, Robespierre, Brecht, Maître Puntila et son valet Matti... Il écrit son premier texte, Sur le sable, qu'il monte en 1993. En 1995, retrouvant ainsi l'improvisation comme base de création, il crée avec son complice Christophe Merlant Croquis Marrants d'une vie redoutée et Cabaret Monstre.
Après avoir utilisé la dérision pour dénoncer les méfaits de la société, il ressent le besoin de s'attaquer aux « grands sentiments ». Il monte alors un mélodrame, Liliom, de l’auteur hongrois Ferenc Molnár et, à partir de 1999, construit le projet d’une épopée théâtrale centrée sur la vie quotidienne et la critique de cette société en dissolution dans la « modernité ». D’où la trilogie : Roman de familles, La fourmilière, sur le travail, et Res Publica sur l’idée de nation et du bien commun.
Ces dernières années, son travail rend compte d'un va et vient constant entre les spectacles créés à partir de témoignages et la mise en scène de grandes fables modernes. La fiction nourrit le réel et le réel la fiction. Les langages théâtraux s'entremêlent librement : jeux réalistes, masques, marionnettes, chansons...
Parallèlement il revient au texte en mettant en scène Le Manteau, d’après Gogol, avec des comédiens rencontrés à l’Institut National de la Marionnette à Charleville-Mézières où il a enseigné, et La fin d’une liaison, adaptation du roman de Graham Greene.
De 2001 à 2010, il a été à la direction du Théâtre Romain-Rolland de Villejuif où il a cherché à promouvoir un « théâtre du geste et de l'image ».
Présentation de La Ville, sa dernière mise en scène, programmée à Avignon
Alain était l’homme des fidélités : à ses origines populaires, à sa famille, à ses comédiens, à ses amis, à sa femme Yola Buszko, comédienne qu’il rencontra en Pologne, à leur fils, Max, bien sûr.
En mars, alors qu’il luttait contre le cancer, nous avons passé une matinée entière à la Grande galerie de l’évolution… Étrange lieu célébrant et la vie et la mort… Précieuse présence de l’ami, curieux, questionnant, présent. À considérer les mystères de la vie, interrogeant sa beauté et son hypothétique finalité… On parle du temps long, si imperceptible au cerveau humain, des énigmes qui demeurent, pour toujours affamer la science, alimenter les questions ; faire rêver les hommes dans les bras des dieux.
On a pris le temps de manger, là devant le troupeau des « merveilles de la création » – ces créatures empaillées qui illuminent les yeux des visiteurs, dont tous ces enfants qui lèvent des regards ébahis sous le squelette de la baleine.
C’est là qu’il m’a dit, Alain : « Je suis en danger », et que la conversation a divergé.
Très touchant, mon cher Ponthieu. Ne connaissant pas l’homme, j’en retiens l’hommage.
Merci Gérard de ce beau texte et photos d’Alain. Avec sa stature de corps qui semblait, sinon indestructible, du moins tournée absolument avec confiance et résolution pour affronter la vie. Cette belle vie qu’il aimait tant. Cette vie réelle qu’il n’avait de cesse de nous faire partager avec son théâtre tourné et donné pour tous. Et son amour de l’être, si profond, ne négligeait rien de nos énigmes individuelles et collectives. En ce théâtre Romain Rolland de Villejuif, pour lequel il a tant fait qu’il me semble encore sien, je l’ai vu heureux et en forme lors d’une représentation de La Ville. Je savais son état, on en parlait d’ailleurs tranquillement, surtout lui. Je ne voulais pas le savoir « en danger ». Quand je voyais ses pièces « de la vie quotidienne » l’espoir qui en surgissait avec force grâce à son talent, je me sentais moins en danger. Peut-être parce que je retrouvais ce que parfois j’oublie en moi. Et ce n’était pas une illusion, c’était la force du théâtre. Cet art pour lequel il a tout consacré sans jamais oublier ses proches. L’ego de l’artiste Alain Mollot, je crois que c’était nous. Nous tous, les spectateurs.
La perte d’un ami, remet toujours en cause sa propre existence et le pourquoi du pourquoi. Nos amis(e) nous quittent laissant des traces indélébiles sur notre propre chemin, leur mémoire fait partie de notre besace qui nous accompagne chaque jour sur le chemin de notre notre vie…
« Las, le temps non, mais nous nous en allons,
Et tôt seront allongés sous la dalle »…
Gérard, je t’embrasse.
Merci pour ces mots justes. Merci d’écrire pour tous les sans voix, les sans mots, que nous sommes aujourd’hui sans lui…
Merci, il a eté mon prof chez Lecoq. J’ai beaucoup appris, la vie est à sauver et le théâtre viens aprés. Adios, Allain.
Nous étions ensemble chez Lecoq, j’ai perdu on pôte de jeunesse je suis triste.
Ne vous souciez pas de n’être pas remarqué ; cherchez plutôt à faire quelque chose de remarquable. Confucius
Ce que Confucius a écrit, Alain Mollot l’a appliqué avec LE THEATRE DE LA JACQUERIE. Merci. Yvet
Hello Gérard et les Amis !
Juste une petite inexactitude dans le très bel article sur Alain : « Tit Bonhomme » (1978)a précédé « Lumpen » (1980); je le sais, j’y étais !
Sinon…c’est dur, très dur…vivement Avignon et retrouver autrement Alain, à travers « La Ville » (17h 25 au Théâtre des Lucioles).
Amitiés et A+…
J’ajoute aussi que Langres était une ville chère au coeur d’Alain parce qu’y vivait un de ses grands amis, Christophe Merlant, qui écrivit bien des textes pour la Jacquerie.