Truismes (de gauche), par Stéphane Sirot
Dans sa rubrique « L’invité de la semaine », L’Humanité a publié la semaine dernière un texte savoureux autant que judicieux, donc à lire sans tarder. Il est reproduit ici sans l'accord de l'auteur, au nom du principe d’intérêt général. Stéphane Sirot, est historien, spécialiste des mouvements sociaux et du syndicalisme (*).
Vous voulez convaincre un voisin ou un proche, attiré par les sirènes misérabilistes des discours de faux bon sens ambiants, qu’un autre monde est possible et qu’il doit forcément pencher vers la gauche ? Alors revenez-en à quelques saines évidences. Posez quelques questions simples.
On vous dit que des économies sont nécessaires, que dans un univers de compétition mondialisée l’État ne peut plus se permettre d’être social ? Demandez pourquoi après la Seconde Guerre mondiale, dans un pays exsangue, il a été possible de créer la Sécurité sociale, de nationaliser les grands secteurs économiques, de multiplier les droits sociaux. Dans une France plusieurs centaines de fois plus riche qu’il y a soixante ans, on serait donc obligés de tout brader ?
On vous dit que la France ne peut plus vivre au-dessus de ses moyens, qu’en voulant préserver votre statut et continuer de protéger des plus exposés aux aléas de la vie, vous êtes décidément un fieffé dépensier sans cervelle ? Soulignez qu’à de très rares exceptions près (comme l’année 2009…), notre pays a continué de produire chaque année des richesses, certes moins vite que pendant les « trente glorieuses », mais en a produit quand même. Et rappelez, en cas d’oubli et contrairement à ce qu’on semble vouloir nous faire croire parfois, que la France ne fait pas encore partie du tiers-monde…
On vous dit que la France vieillit, qu’il y a de moins en moins de jeunes actifs, que l’espérance de vie s’allonge, donc qu’il faut travailler pourquoi pas jusqu’à 70 ans ? Répondez que d’après le très sage Comité d’orientation des retraites, à peine 0,4 % de cotisations en plus auraient pu suffire à maintenir les 37,5 annuités d’antan.
On vous dit qu’avec des caisses vides, des entreprises soumises à une concurrence féroce, on ne peut pas augmenter les salaires et encore moins améliorer le pouvoir d’achat ? Rétorquez que les services de la Commission européenne, peu connus pour être un repère de gauchistes, ont chiffré à quelque 170 milliards d’euros le transfert annuel des richesses du travail vers le capital. Ajoutez que la part des dividendes versée aux actionnaires a été multipliée par cinq au cours de vingt dernières années.
Pour clore le tout, terminez en rappelant que sous nos yeux, pris la main dans le sac, les États occidentaux ont sorti de leur chapeau de magicien des centaines de milliards et procédé à des nationalisations honteuses.
Et si tout était possible, finalement ?
(*) A notamment publié : La Grève en France (Éd.Odile Jacob, 2002) et Les syndicats sont-ils conservateurs ? (Éd. Larousse, 2008).
Merci vivement ! Je savais bien le risque limité à reproduire votre texte… Mais, bon, c’est encore mieux avec votre accord !
Sur le fond, il y a bien longtemps – et bien avant la crise – que je ruminais dans mon coin contre le « coup du trou de la sécu ». Me demandant notamment ce qui pouvait justifier, de la part de nos gouvernants, de rechigner à ce point devant une dépense bannie comme « déficitaire ». Depuis, on réalise qu’il en est de même avec l’éducation : notre omni-président en impute le coût dans les dépenses de fonctionnement, alors qu’il s’agit du plus important investissement qu’une société puisse devoir à son avenir (sa récente intervention à la télé). Et les dépenses militaires ? Là, silence radio et télé. On ne barguigne pas sur ce chapitre qui, il est vrai rapporte « sans compter » à quelques armuriers amis. La « grandeur de la France » c’est davantage son système de santé – tellement mis à mal de nos jours – que son arsenal militaire. Et pourquoi, sinon en renonçant au progrès social, irait-on chipoter sur les quelques milliards de déficit de la Sécurité sociale alors que « la santé n’a pas de prix « ? – même si elle a un coût, bien sûr. Un coût qu’une société évoluée peut, sinon doit, décider d’assumer. Ce qui, après tout, s’est produit après la guerre et que vous rappelez fort à propos.