Cuba, cauchemar de la gauche Iatino
Il est plus que temps de dénoncer sans la moindre ambiguïté la dictature castriste, clame un journaliste chilien de gauche. Ce que la plupart des militants progressistes du continent ne se sont jamais résolus à faire. L’article qui suit provient de l’hebdo chilien Qué pasa (centre gauche). Il constitue un tournant dans la considération jusque là sans réserve dont bénéficiait le régime cubain dans la gauche « latino ». Son contenu rejoint mon reportage publié en 2009 dans Politis, où il me valut les foudres de certains lecteurs et autres « analystes inspirés ».
QUÉ PASA (extraits)
Santiago-du-Chili
Fidel en a accueilli beaucoup alors qu'ils fuyaient Pinochet dans le dénuement le plus total, il en a invité d'autres tel un maître dans son hacienda, pour leur montrer les mille merveilles de son fief, les gratifier de conversations hallucinantes et les convaincre, pour la tranquillité et la sérénité de leurs esprits bien-pensants, que la "Révolution" – mot qui a heureusement perdu son ensorcelant pouvoir – était un rêve réalisable et un combat permanent dont il était l'incarnation. Les tristes se sont sentis accueillis, les faibles se sont sentis flattés. Le contredire est bientôt devenu pour bon nombre de révolutionnaires un acte aussi redouté que la perte de la foi pour un chrétien. Les Cubains vivent dans un manque de liberté inacceptable. Fidel avait des qualités exceptionnelles, c'est certain. C'est sans doute l'homme politique vivant le plus expérimenté au monde. Je doute que de nombreux champions de la démocratie puissent le nier. Il a placé sa petite île au centre de la carte du monde et, mieux encore, y a placé son nom et son prénom. Il s'est confronté aux Etats-Unis d'égal à égal et a incarné à un moment donné la dignité d'un continent pauvre face à la puissance brutale d'un empire. Il a participé en géant à l'histoire de la guerre froide. Les Cubains peuvent haïr Fidel, mais aucun ne le méprise. Eux, ces Argentins des Caraïbes, se sentent au fond soumis par un homme grandiose. Comment, sinon, expliquer qu'un peuple si fier l'ait supporté un demi-siècle sans plus se révolter?
Le seul problème est qu'avec le temps les hommes grandioses vieillissent nettement moins bien que les hommes bons. Fidel ne dort pas, Fidel est très grand, Fidel sait tout, Fidel peut parler pendant des heures. Même la droite chilienne l'admire en secret. Lorsqu'il entre en scène, l'auditoire frémit. Ils le craignent tant qu'ils osent à peine prononcer son nom. S'ils veulent le critiquer, les Cubains utilisent de nouvelles formes grammaticales ou lèvent un doigt vers le ciel.
Le journal Granma [journal officiel du régime], n’ayant pas de rubrique de faits divers, on pourrait croire que La Havane ne connaît ni crimes ni délits. Le journalisme n'existe pas, et ceux-là mêmes qui ailleurs se plaignent de la concentration des médias dans quelques mains pardonnent à Cuba sans broncher. Les Cubains n'ont pas de parlement, les tribunaux sont une farce, la police secrète est partout. Nous qui croyons en la démocratie savons parfaitement qu'un tel gouvernement ne rentre pas dans cette catégorie.
Rares sont les discours plus hypocrites que le discours cubain. Si nous y croyions, il nous faudrait admettre que là-bas n'existent ni la pauvreté ni les coteries privilégiées, que les autorités sont irréprochables, qu'elles n'ont fait fusiller personne, qu'il n'y a pas des magasins pour les détenteurs de devises et d'autres - misérables - pour ceux qui n'ont que des pesos cubains, que les jineteras ["cavalières", accompagnatrices de touristes, qui parfois se prostituent] ne gagnent pas mieux leur vie que les ingénieurs, que les prisonniers politiques sont une invention de l’impérialisme, il nous faudrait accepter tout cela alors que même le plus candide des visiteurs, pour peu qu’il se promène les yeux ouverts, constate qu'il n'en est rien. La santé publique et l'éducation, les vieux chevaux de bataille de Fidel Castro, n'ont jamais été aussi décriés qu'aujourd'hui : les Cubains n'ont pas même accès à des comprimés d'aspirine et ils n'étudient guère qu'un seul côté de la médaille. Malgré tout, il existe un tourisme idéologique : au lieu de découvrir la vraie vie, il cherche le reflet des illusions perdues.
LA CORRUPTION SÉVIT À GRANDE ÉCHELLE
Plane désormais l'idée que tous ces mensonges ne pourront plus fonctionner longtemps. Raul est plus maladroit que son frère, plus brutal, moins charmeur. Il a laissé mourir un gréviste de la faim [Orlando Zapata, mort le 23 février au bout de 85 jours de grève de la faim], tentant en vain de convaincre le monde que ce n'était qu'un banal voleur. Si ridicule que cela puisse paraître, Raul s'emploie aujourd'hui à nationaliser les rares entreprises rentables. La corruption sévit à grande échelle. Et certains parient déjà que cette fiction qui a ruiné tant de vies touche à sa fin. Comme pour l'URSS, nous découvrirons progressivement la face sombre de ce conte de fées. Si la gauche entend de nouveau nous proposer un rêve, qu'elle commence par nous raconter son cauchemar. Qu'elle n'hésite pas à utiliser, pour parler de celte dynastie caribéenne, le mot "dictature". Au Chili, nous savons à quel point les mots comptent en la matière.
Patricio Fernandez
directeur de la revue satirique « The Clinic »
Nous devons cet article et sa traduction à « Courrier international » du 15 avril.