Mort d’Abbey Lincoln. Voix du jazz et des droits de l’homme
Abbey Lincoln est morte samedi (14 août), mais la France des « JT » n’en aura rien su – si j’en crois mes [télé]visions. Cette France aura été gavée des prodiges d’une Américaine de dix ans désormais promue Callas en herbe. Ou bien, le lendemain, d’un gamin de huit ans, un Anglais, surnommé le « petit Monet » parce qu’il peint comme un dieu… Ne cherchez pas l’arnaque (enfin si !, s’il y en a une, toujours possible), c’est le Spectacle qui exige de tels sacrifices.
Donc la chanteuse de jazz a trépassé à 80 ans, dans sa maison de retraite de New York. On peut bien concevoir que l’info ne soulève guère les rédactions télévisées et qu’il valait mieux, certes, traiter des rafles de Roms et autres réprouvés de la démente politique sarkozyenne. Sauf que lien il y a entre la mort de la dame étatsunienne et cette déshonorante actualité française. Abbey Lincoln, en effet, fut une ardente militante pour les droits civiques aux Etats-Unis, c'est-à-dire contre cette ségrégation qui renvoyait les Noirs au rayon des sous-hommes.
Noire elle-même, peut-être aussi métissée de sang indien, Anna Marie Wooldridge s’était unie en 1962, à la ville comme au combat politique, avec le batteur Max Roach (mort en 2007), pionnier du bebop et militant des droits de l'homme. Ce n’est évidemment pas par hasard qu’elle choisit alors de s’appeler Lincoln. En 1960, en effet, elle et Roach avaient été invités à contribuer aux commémorations du centième anniversaire de la proclamation d'émancipation de Abraham Lincoln prévues en 1963.
Voilà pourquoi l’ « actu » aurait pu réserver même seulement une brève à cette grande dame à la voix « engagée », c'est-à-dire une voix non pas jolie, surtout pas enjôleuse ; une voix si indéfinissable et forte à la fois. Le mieux est de la donner à entendre. Par exemple dans cet extrait de « Tender as a Rose », un chant a capella, pas militant, pas fleur bleue non plus.
Pour en savoir plus sur Abbey Lincoln, ne vous privez pas non plus de lire le très bon article de Diane Gastellu sur Citizen Jazz.
Merci de me révéler ce que cachaient à peine les titres vus ici et là sur les petits prodiges, je n’avais pas jugé utile d’ouvrir les textes. En France, aujourd’hui, on essaie, autant que faire se peut, de vivre en apnée…
Merci de m’avoir fait respirer le parfum profond de cette rose avant qu’elle ne disparaisse tout à fait.
Dans quelques semaines, je vais partir revoir des amis berbères dans leur montagne. Ils n’ont jamais entendu parler des droits de l’homme et me diront des choses que je ne comprendrai pas sur un ton très doux. Ils ne savent pas que je n’ai pas le droit de les inviter dans ma campagne ou que ça serait très difficile et qu’ils n’y seraient pas bienvenus…On respire bien chez eux.
En attendant, apnée vous dis-je !
Dans son éditorial « Un bien curieux mystère » de Books (numéro spécial musique), Olivier Postel-Vinay note comme troisième mystère le rapport entre la politique et la musique.
Le premier étant les 96 % des humains qui se disent sensibles à la musique et le deuxième interroge sur le pouvoir de la musique.
On peut y lire ce propos : « Dans les vieilles démocraties, la musique entretient une relation ambiguë avec le pouvoir politique, comme en témoignent les vélléités de censure, sans cesse résurgentes, mais aussi la mise en oeuvre d’une « politique de la musique ». Comme ce numéro de Books publie aussi un bel article sur le chanteur nigérian Fela Kuti et que Lincoln et démocratie sont des étoiles à la lumière fragiles, j’ai vu là une correspondance avec ce C’est pour dire jazzy.