La typo, art du caractère, secret de la police
Les typographies ne viennent pas de nulle part : elles sont inspirées par un mouvement culturel ou artistique, aspirées par l'Histoire, contraintes par des besoins, et marquées par le pragmatisme et la fantaisie de leurs créateurs. C'est ce que raconte Sacrés Caractères, une remarquable websérie imaginée par Thomas Sipp, produite par Les Films d’Ici et Radio France.
Article republié. 1re publication le 21 décembre 2014
[dropcap]En[/dropcap] douze épisodes d'à peine trois minutes, la websérie raconte la naissance, l'histoire et la postérité des typos Auriol, Bodoni, Helvetica ou encore Times New Roman, à l'aide d'une animation futée. Et d'une voix-off efficace, lue par Chiara Mastroianni: «Chaque typographie fonctionne comme une voix, avec son propre timbre, son registre, et ses inflexions».
Sacrés caractères - Mistral par franceculture
Sacrés Caractères montre à quel point leur création est liée aux innovations: au développement de l’imprimerie (Times New Roman), de l’informatique (Comic Sans), de la presse (Bodoni), de l’édition (Auriol) ou de la publicité et la communication de masse (Cooper Black).
Les typographies disent beaucoup de leur période de conception. Futura par exemple, née de l'avant-garde allemande du début du XXe siècle, voulait «créer l’écriture de son temps». Mise au placard par les nazis, qui la jugeaient «bolchévique» et lui préféraient les caractères gothiques, elle fit un grand retour après-guerre pour devenir la typo favorite de la publicité du monde entier.
Ou la Suisse Helvetica, autre police pour pubards, influencée par le Bauhaus. Elle est donc la «typo objective, hégémonique», décrit la websérie, qui raconte l'expérience d'un graphiste qui a tenté de passer une journée sans Helvetica - il a dû se contenter de manger une pomme et de boire de l'eau du robinet. Impossible de prendre les transports, fumer une clope, ou même de s'habiller: Helvetica est partout.
Omniprésentes sur papier ou sur écran, dans l'art, les enseignes des magasins ou sur les panneaux de signalisation, démodées puis recyclées, les typographies répondent souvent à des commandes. Ainsi Gotham, issu des lettrages de vieilles boutiques et d'abri-bus new-yorkais, a été remise au goût du jour pour devenir la typo de GQ lors d'une nouvelle formule, puis la police de caractères officielle de la campagne d'Obama.
Honnie par de nombreux internautes, utilisée à tort et à travers pendant des années, la fameuse Comic Sans a été créée au milieu des années 90 pour être la typo de Rover, le chien de Microsoft, qui jusque-là parlait en Times New Roman (un comble !). Elle est une réinterprétation des caractères des comics américains.
Quant au Mistral, son nom l'indique, il est porté par un souffle provençal et même marseillais, depuis la fonderie Olive en empruntant la Nationale 7.
[Avec Libé, L'Obs et France Culture]
Intéressant et sympa à savoir.
Et pour l’initiation au jazz des conseils de saines lectures, peut-être ? 🙂
bonne continuation et joyeuses fêtes !
Merci Marie, et bonne fêtes à toi aussi. Pour le jazz, c’est à mettre à l’étude, avec une biblio d’abord. Dès que possible.
Vive 2015, alors !
J’ai encore le catalogue Letraset et des feuilles de caractères et de personnages pour les calques du vieux temps.
Sur ma typo Marinoni j’aimais caler du Cheltenham ou du Garamond, je raffolais de ces compositions où j’avais à user d’une astuce que m’offraient les grandes fontes correspondantes, à savoir des caractères biseautés, comme dans « AVANCE » (capitales), par ex.: dans d’autres polices moins solennelles, il n’y avait pas ces spécialités, ça donnait un disgrâcieux « A V ANCE »… J’adorais aussi avoir à composer « fille » (bas-de-casse), par ex., parce que, toujours avec ces caractères élitistes, il y avait un « fi » d’un seul bloc, le point du « i » se confondant avec la goutte du « f », une ligature élégante. Et puis parce que c’était « fille »…
Merci pour cet article ! Mon caractère polisson a toujours eu du mal à faire la police avec les polices !
Peut-être , mais la peau lisse ? Hum…
La police des polices, c’est la Méta ! Donc votre trébuchet actuel, c’est du tout-venant mondialisé.
Ben Didot ! Un très beau bouquin sur la typographie : « Typorama » de Philippe Apeloig aux éditions « Les Arts Décoratifs »
Bonjour, avez-vous oublié « optima » et tous ses dérivés superbes !
Je découvre cette gourmandise pour initiés. J’ai eu la furtive impression que mon vieux typomètre qui nargue mon PC en ondulait d’aise, et qu’une bouffée d’odeur de morasse humide sortait du clavier. Car moi Mossieu j’ai connu l’imprimerie au plomb, chez Lang, aux Champs Elysées, et le coup de rouge saucisson à 5 h du mat avec les derniers anar du marbre. Sic transit mundus. Jean-Pierre Colignon vit-il encore ?