Benalla-Macron. La chute d’Alexandre le valeureux
[dropcap]Louons[/dropcap] le bon côté de notre société connectée sans lequel un séide du pouvoir continuerait à sévir, ou serait même monté en grade. Telle la « langue d’Ésope », portables et caméras innombrables nous cadrent et nous encadrent et, à l’occasion, montent une sorte de veille citoyenne. J’ai donc vu et revu ces vidéos qui démasquent une insoutenable violence, précisément celle qu’implique, autorise, incite, encourage, magnifie les différents degrés d’exercice de la force d’État.
Ce Petit homme [ref] Référence au livre de Wilhelm Reich, Écoute, petit homme ! où il fustige la lâcheté ordinaire de l’homme névrosé et cuirassé, potentielle graine de fasciste (Éd. Payot)[/ref], affublez-le d’un uniforme, d’un brassard, de quelques galons ; surmontez-le d’un képi ou, mieux encore, d’un casque qui le protège en le dissimulant ; donnez-lui l’onction d’un « supérieur », d’un haut-gradé, d’une huile politicienne ou financière ; payez-le grassement [ref]10 000 euros par mois en l’occurrence pour notre spécimen-vedette.[/ref], offrez-lui une voiture de fonction – avec gyrophare, c’est mieux. Bref, reconnaissez à sa haute altitude son talent de premier de cordée, arriviste de compétition, parti de peu – la « ZUP » de la Madeleine, le quartier sensible, à Évreux (Eure) –, passé par les Jeunes socialistes, le rugby local, les muscles, la bagarre, la prépa militaire. Au PS, il creuse son trou d’homme de main. Avec le titre de gendarme adjoint de réserve, puis le grade de brigadier-chef, il assure la protection de Martine Aubry pendant la primaire de 2012, puis celle de François Hollande pendant la campagne présidentielle. Arnaud Montebourg s’en débarrasse comme chauffeur : ayant provoqué un accident de voiture, il voulait prendre la fuite…
En 2016, le start-upiste aux dents de loup entre au service d'Emmanuel Macron qui l’intègre bientôt dans l'équipe rapprochée du président de la République à l'Élysée, chargé de mission auprès du chef de cabinet. Alexandre Benalla, 26 ans, enfant de l’immigration, est ainsi parvenu, c’est le mot, aux marches du Palais, et si proche de son hôte. De quoi tournebouler notre apparatchik accroc au passe-droit, qui va se brûler les ailes et abîmer celles de son protecteur. L’enquête dira peut-être si Macron a, dans cette affaire, surprotégé son protégé qui, dans un premier temps après ses exploits du 1er Mai à Paris, ne sera que « mis à pied » pour quinze jours.
L’affaire aurait pu en rester là, passer à la trappe de la transe footeuse, de la machine médiatique à mâchonner l’actu de routine. C’était sans compter sur quelques « fouille-merde » poussant leur groin dans des vidéos aussi révoltantes par l’usage délibéré de la violence, que compromettantes pour leurs auteurs, dont cet usurpateur désormais déchu.
En quelques jours, Alexandre le valeureux est donc tombé de très haut, et avec lui son compère Vincent Crase, « employé » de la République en marche, porteur illégal d’une arme à feu, ainsi que trois policiers complices.
Ainsi, d’une apparente « bavure ordinaire » (un genre hélas trop souvent banalisé), est-on passé à un outrage délibéré au droit républicain touchant l’appareil d’État. Jupiter va-t-il devoir subir les foudres de son propre ciel – et revoir à la baisse les béatitudes de son nirvana politique ?
Pour autant, ne soyons pas dupes des politiciens tapis au coin du bois – ils savent de quoi ils parlent, tous ces héritiers de la barbouzerie des SAC [ref]Service d'action civique, sous de Gaulle… et Charles Pasqua, entre autres. Impliqué dans la « tuerie d'Auriol » en 1981, dissous par Mitterrand en 1982.[/ref], ou, plus lointainement, de la Tchéka trotskiste. Sur ce point, on peut en croire Montesquieu: « C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ».
Ci-dessous, trois vidéos parlantes du Monde, de Médiapart et de Libération.
Sur la place de la Contrescarpe, où ont été commises les violences, Alexandre Benalla n'était pas un simple observateur mais était au contraire parfaitement intégré au dispositif policier. La preuve : en relation constante avec les forces de l'ordre, il a même fait procéder à l'interpellation par les CRS du couple de manifestants qu'il avait précédemment pris à partie.
Benalla… ouakbar ?
On ne saurait mieux dire : Benalla = « Fils de dieu ».
Soit : le sbire ne gagnerait pas 10 000 euros, n’occuperait pas 300 ou 200 m² quai Branly. Il suffirait de dire combien au juste, non ?
Jupiter prend tout sur lui et, tant qu’à faire, tous les péchés de la République… en panne. Un côté plus Jésus, sacrificiel et descendu d’un cran dans l’immanence du Pouvoir.
C’est qu’ils sont nombreux et pressés, ces Républicains, Insoumis, Rassemblés et autres embusqués à vouloir lui faire la peau. « Tire-toi de là que je m’y mette », on connaît la chanson.
En ce sens, E. Philippe n’a pas tort : l” « affaire d’État » ressemble assez à une « affaire d’été ». La canicule arrive à point nommé pour… refroidir l’atmosphère. Quelques incendies hexagonaux éloigneraient le péril. Mais Macron semble avoir mangé son pain blanc ; il ne peut désormais plus compter sur son seul charme de magicien, ou de patineur : la chute ne pardonne pas, le charme est rompu.
Le salaire du sbire – de la petite frappe du pouvoir – n’était effectivement pas de 10 000 euros, mais selon Le Canard Enchaîné de ce jour, mercredi 25 juillet 2018, de 7113 euros (page 2, colonne 3). C’est déjà pas mal, il me semble ! Pour l’appartement, le Canard (même numéro, page 3) publie un document qui prouve que l’adresse de Benalla était à partir du 9 juillet 2018 au 11 Quai Branly dans le 7ème arrondissement de Paris.
A mon avis, l’affaire ne fait que commencer, et c’est bien une affaire d’Etat. Le mépris envers les citoyens encore affiché par Macron hier et aujourd’hui le prouve aussi.
Ce qui me rassure, c’est ceci : le pouvoir – l’Etat – a toujours voulu régner, et plus encore dans le monde moderne, sur une société transparente pour lui, or la technique moderne permet de retourner les armes du pouvoir (les caméras de surveillance de l’Etat, les enregistrements, etc.) contre le pouvoir lui-même. En ce qui me concerne, je suis pour une société opaque pour le pouvoir mais pour un pouvoir transparent pour la société. Si cela ne plait pas aux hommes et femmes de pouvoir, rien ne les empêche de faire tout autre chose que de se présenter aux élections. Le prix à payer pour la « chefferie » ce doit être et ce devrait être sa soumission à la société. La chefferie ne doit plus être le lieu du pouvoir moderne, comme elle ne l’était pas non plus dans les sociétés sans Etat, comme l’a montré Pierre Clastres dans son beau livre La Société contre l’Etat. Mais maintenant il faut allier cela avec la liberté individuelle, ce qui ne l’était pas du tout dans les sociétés « primitives ».