Pourquoi il faut lire « Nous tournoyons dans la nuit »
Ce blog est en sommeil, certes. Mais le bonhomme derrière, non ! Il prépare un recueil des articles de « C’est pour dire » – pas une mince affaire… En attendant, je vous rappelle, chères abonnées, chers abonnés, tous les « celzéceu » qui me lisent ici, que je viens de publier "Nous tournoyons dans la nuit", un roman que vous ne devez pas manquer de lire et donc de commander. Pour 17 euros à peine, port compris, 300 pages de premier choix. D'ailleurs voici un avant-goût, avant le bon de commande. N'oubliez pas qu'un livre, c'est quand même fait pour être lu !
Voici donc le dernier chapitre du roman. Comme une énigme pour vous donner envie du reste… Du "leasing" comme disent les pubeux.
CONFIANCE
Des jours, des semaines, des mois. Les êtres, et même les choses, ont bougé, emportés plus loin, plus ailleurs. Parfois on n’en sait rien et on espère, pour y croire. Hémec, où est-il passé ? Parti en fumée, ou envolé vers un autre part ? ? Les gendarmes ont enquêté, les pompiers sont descendus en rappel le long de la roche calcinée, des photos ont été prises depuis un hélicoptère requis exprès. Rien de probant, des béances dans la muraille demeurant inaccessibles… D’un commun accord, Emma et Will décidèrent de ne pas signaler la vision de Julia aux enquêteurs ; si leur fille n’avait pas rêvé, à quoi bon tuer le rêve de Gabriel ? Quoi qu’il en fût de lui, on ne l’avait pas revu à son travail et il n’avait pas touché aux 2 440 francs et quelques restant sur son compte bancaire.
Un soir, à la fin du repas, Will apprend à son monde qu’il va partir prochainement pour un reportage particulier, en un lieu et pour une durée qu’il ne veut préciser. Emma n’en sait pas davantage, sinon que Will lui avait parlé de son intention et des dispositions envisagées – puisqu’il en avait les moyens : une fille au pair sera accueillie à la maison et une femme de ménage viendra trois fois par semaine.
Peu après, un jeudi soir, Will annonce qu’il part le lendemain matin-même. Émotion, embrassades pathétiques, câlins humides dans les bras des enfants, téléphone prolongé au grand fiston.
Emma et Will, dans l’étreinte silencieuse de l’adieu s’endorment au mitan du lit, sur ses versants moins pentus – à mon retour, pense Will, je changerai le matelas…
Six heures du matin. La neige a blanchi la nuit noire, le jardin et au-delà sans doute. Blanc, blanc. Will a glissé hors des draps en silence. Emma n’a pas bougé ; elle ne dormait pas. Elle a entendu le taxi s’arrêter devant la maison et repartir. Elle pleure doucement.
Et la vie a continué.
Emma s’est consacrée au chant. A terminé son premier disque. A donné quelques récitals sans jamais partir plus de deux jours. L’auteur ignore si Emma a revu son musicien si étranger qui lui adressait toujours des lettres écrites à l’encre verte.
Will, lui, écrivait en bleu. Une lettre parvint un jour de mars, datée d’Agadès, au Niger. Il avait cheminé depuis Tamanrasset, à dos de chameau, avec une caravane de Touaregs. Dans deux ou trois semaines, il repartirait par le même transport, vers le Ténéré. Will donnait beaucoup de détails sur sa quête au désert et sur ses nouveaux compagnons de route – « au sens profond de l’expression ». « Emma, cela va te surprendre ou te faire ricaner : derrière leur regard enturbanné de bleu, ils s’étonnent que je parle tant… Je me suis même entiché d’apprendre les rudiments de leur langue, le tamasheq. Ça s’écrit en caractères spéciaux. Je te recopie à peu près un proverbe touareg :
⊄ | ⊂ ℘ ∋ :⊄ + ∋ | | • | | : | + Θ | • ⊂ Υ • Υ • ⊂ ∋ | • | : |
Il dit quelque chose comme “Rapprochez vos cœurs, éloignez vos tentes” ; ça nous va bien, non ? »
A la mi-mai, Emma recevait une autre lettre, postée de Bilma : « J’ai trouvé des bifaces par dizaines, mais n’en ai ramassé qu’un seul avec une pensée émue pour Théodore Monod… Le voyage jusqu’ici, dans le Ténéré, a duré trois semaines… Le temps s’est distendu ; mon agenda paraît déplacé dans le paysage et la situation… mais si je le perdais, j’aurais peur… peur de mourir ? Je tiens un journal pointilleux, je dessine les Touaregs, leurs campements, les dromadaires. J’ai progressé dans mon écriture du tifinagh. Je t’offre un autre proverbe touareg : “Tes obligations, transforme-les en plaisir”. Je suis sûr qu’il te parlera ! Emma, mon Emma, je pense à vous tous et à toi en particulier. Le désert m’ouvre des horizons plus grands, plus beaux. J’y côtoie aussi mes démons et je commence à les apprivoiser. Parfois aussi… on dirait que je tourne en rond dans la nuit… Je reviendrai. »
Quelques semaines plus tard, Emma apprenait par la télévision qu’une guérilla avait éclaté entre les Touaregs et l’armée nigérienne. En juin, elle recevait une lettre au cachet illisible. Will disait se trouver dans le massif de l’Aïr, dans un campement à 1000 mètres d’altitude où il faisait moins chaud que près du sable. « Hier, j’ai pu admirer un vol d’outarde, magnifique oiseau menacé de disparition, tout comme les nomades du désert. Et cette nuit, j’ai fait ce rêve dont je demeure tout imprégné : Je me trouvais assis sur un rocher, ébloui par le rouge sulfureux du soleil couchant. Le foyer solaire s’éteignait peu à peu, rendait l’âme avec son dernier souffle. Je me disais : “Demain l’aube blanchira le ciel. Demain…” Un oiseau, blanc, étincelant, s’est posé face à moi dans l’ultime rayon de pourpre. Il s’est enflammé brusquement et a plané tout en feu vers le noir profond de la gorge où il a disparu. En me retournant, il était là de nouveau, devant mes yeux, comme le phénix. Il me dit “Salut, Will !”, et je reconnus la voix de Gabriel. Ah ! pardonne-moi Emma, je dois t’ennuyer avec mes histoires, alors que tu dois en affronter bien d’autres…
« Même ici rôde la violence ; des armes circulent, meurtrières béquilles de l’impuissance à jouir de la vie. On ne sait jamais qui ou quoi a commencé. Qu’est-ce qui détraque la paix dans les cœurs ? Aujourd’hui, je ne vois pas d’urgence plus importante à mes yeux : que ma vie apporte une partie de la réponse au désarroi du monde. »
La lettre de Will contre sa poitrine, Emma se rend au jardin. Une tâche éclatante de rouge, d’un rouge de sang frais, a capté le soleil matinal. Les pivoines ont éclos. Deux ou trois dizaines, enchâssées dans leur vert d’émeraude. Elle en cueille une avec amour, l’approche de ses lèvres et lui murmure, comme au creux d’une oreille : « Alors il t’a fait confiance ».
295 pages, 17 € port compris, Éd. Le Condottiere via Amazon