Islamisme

Boualem Sansal. Algérie – France, un même déshonneur

À la façon de Salman Rushdie, mais en plus pervers encore, c'est-à-dire de manière insidieuse, non avouée, d’une hypocrisie étatique absolue, absolutiste, notre ami Boualem Sansal frappé par une fatwa non dite, reste en prison en Algérie, condamné pour cinq ans, pour ne pas dire condamné à mort. Je dis bien « notre ami » : ami de la liberté, ami de la France et de notre langue commune, outil du sculpteur de romans, d’essais, d’écrits multiples – et de déclarations lumineuses. Sa condamnation n’est pas à chercher ailleurs, non pas dans les prétextes d’une quelconque « atteinte à l’unité nationale ».

Les vraies raisons de la fatwa lancée par la dictature algérienne, on les trouve notamment, et précisément, dans sa conférence avec Michel Onfray, à Uzès le 3 septembre 2023, sur le thème « Pourquoi personne n'entend les lanceurs d'alerte ? 1Voir Boualem Sansal. Le mauvais sort des lanceurs d’alerte/» Personne, ou presque certes, de ce côté-ci de la Méditerranée2Tiens, les bobos viennent de se réveiller sous les cigales d’Avignon : « Laure Adler, Patrick Boucheron, Delphine Minoui, Gwenaël Morin et Tiago Rodrigues se sont réunis le 9 juillet au Jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph pour une lecture d'extraits de textes choisis de Boualem Sansal ». Tremblez tortionnaires, ah mais ! ; mais du côté d’Alger, les grandes oreilles de Tebboune et consorts n’ont rien perdu de sa dénonciation, non seulement de l’islamisme, mais plus généralement de l’islam comme religion incompatible avec les principes démocratiques.

Ce n’était certes pas la première fois que Sansal s’exprimait sur la question – il y consacra même un livre, Gouverner au nom d’Allah. 3Sous-titré Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe.Gallimard, Folio, 2013. Mais cette fois, il avait fait fort, notamment avec son historique de l’islam, nullement fondé au VIIe siècle en Arabie selon le dogme, mais au IXe du côté de l’Afghanistan. Ce ne serait qu’un détail s’il n’en était résulté tout un déroulé d’enjeux de pouvoir menant à l’islamisme « moderne ». Très documenté, son propos montre comment, par le djihad, l’islam s’est lancé à la conquête de Jérusalem, puis de Byzance, et vaincu par la force devant Rome. En quoi, souligna Sansal, l’islam n’est  que « du réchauffé du judaïsme et du christianisme ». Pour ce qui est du Coran, inutile d’attendre une impossible version « des Lumières », avancée par quelques intellectuels, impossible car relevant du dogme intouchable de la parole « incréée » d’Allah. 

En 2023, avec Michel Onfray.

Lanceur d’alerte, certes Boualem Sansal l’est au premier chef, en particulier quand il en appelle à la résistance face à la stratégie de conquête insidieuse des Frères musulmans et de ses relais « collabos » à l’œuvre dans toute l’Europe en proie à la soumission. Il se montre aussi, sur ce point, en désaccord avec Michel Onfray quand celui-ci veut distinguer l’islam de l’islamisme, prétextant qu’il connaît maints musulmans nullement islamistes, ajoutant sur la question du voile des musulmanes, que l’important n’est pas ce qu’on a sur la tête mais dans la tête. Argument que Michel Onfray exprime souvent, par une sorte – selon moi – de tolérance démagogique, comme s’il n’y avait pas entre le « sur » et le « dans » une certaine concordance… A quoi, d’ailleurs Boualem Sansal répliqua : « À partir du moment où un musulman se tait, c’est un islamiste ».

Dès lors, on comprend mieux le silence assourdissant, comme on dit, des musulmans de France et d’ailleurs. Dès lors, on pouvait s’attendre à l’arrestation de cet apostat trop insupportable à un régime assis sur sa rente islamo-pétrolière et décoloniale, impuissant à sortir le peuple algérien du marasme, avec pour principal horizon une opposition à cette France éternellement fautive et coupable. En quoi, peut-on dire, il joue sur le velours de la lâcheté macronienne, sa diplomatie lamentable, alternant coups de menton et plate soumission face à l’emprisonnement de « notre compatriote »4« Je donne un mois, six semaines au gouvernement algérien, etc » avait menacé Bayrou. On allait voir ce qu’on allait voir ! Rien ! . Mêmes pusillanimes propos du côté des politiciens, sans parler de la soumission des « Insoumis »… Une honte indélébile.5De même qu'en 68 il ne fallait pas "désespérer Billancourt" (alors usine de Renault, symbole de la classe ouvrière), il faut encore moins allumer la mèche des explosifs de banlieue ! C'est le piège tendu par des décennies immigrationnistes.

Dans le dernier numéro du Point, sous le titre « Les leçons d’un scandale », Kamel Daoud (désormais interdit de séjour dans son pays d’origine – il y rejoindrait son ami Sansal…6Apprenant la mort de sa mère, ce 11 juillet, Kamel Daoud a tweeté : "À Tebboune, Kamel Sidi Said, Belkaïm, et aux autres : il y a des jours qu’on n’oublie pas. Aujourd’hui, ma mère est décédée. Je ne peux pas la voir, la pleurer, ni la saluer et l'enterrer, car vous m’avez banni de mon foyer et m’avez interdit de revenir dans mon pays) s’en prend d’abord au régime dictatorial algérien : « La “Mecque des révolutionnaires” n’est plus qu’un slogan insultant pour ceux qui vivent derrière les barreaux, loin des regards extérieurs. Les écrivains y sont humiliés, emprisonnés, pourchassés et calomniés. Il y a peu, les islamistes les assassinaient encore. Ce traitement en dit long sur le sort réservé aux moins célèbres : syndicalistes, opposants, cadres, militants, intellectuels, artistes. » Surtout, il ‘en prend à cette impuissance de la France, ajoutant : « Sansal, écrivain francophone, français et franco-algérien, incarne à lui seul le lien que l’on exige désormais de rompre. Autour de lui, la France s’est divisée entre radicalité et soumission, colère et servilité, calculs et pertes, procureurs et courtiers des rumeurs. On est passé du rêve d’un pacte franco-algérien à la nécessité de sauver un seul homme, voire deux avec le journaliste Christophe Gleizes. À la recherche d’un apaisement, on en est à scruter les nuances des articles d’une presse algérienne domestiquée pour tenter de comprendre le présent. » Il poursuit, dénonçant « les compromis et les réflexes collaborationnistes. Certains en France ont relayé les accusations d’Alger, instruisant le procès de l’écrivain et prononçant le verdict de sa culpabilité, comme au temps de l’URSS. D’autres l’ont jugé pour avoir quitté le champ communautaire, refusé l’enclos du « décolonisé » éternel, ou pour avoir dénoncé les amalgames entre un islamisme qui gagne du terrain et la lutte contre l’islamophobie, qui sert aussi de faux nez, entre la judéophobie et le refus de la guerre à Gaza. Ainsi, Sansal est devenu coupable de tout, tandis que la France se révèle incapable d’agir. » Et de conclure : « Le plus terrible, c’est de constater combien nombreux furent ceux qui, en Algérie, et certains en France, soutenaient l’emprisonnement de l’écrivain ou préféraient rester indifférents. Ce sont ces « armées molles » qui stérilisent l’avenir et gaspillent les chances de faire la richesse et le bonheur des deux pays. L’affaire Sansal restera dans les mémoires. Elle nous a coûté à tous, mais moins qu’à lui. Lui, au moins, conserve sa dignité. »

• Cette conférence est accessible sur le site de Front populaire +, du moins pour les abonnés.

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    Tiens, les bobos viennent de se réveiller sous les cigales d’Avignon : « Laure Adler, Patrick Boucheron, Delphine Minoui, Gwenaël Morin et Tiago Rodrigues se sont réunis le 9 juillet au Jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph pour une lecture d'extraits de textes choisis de Boualem Sansal ». Tremblez tortionnaires, ah mais !
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    Sous-titré Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe.Gallimard, Folio, 2013.
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    « Je donne un mois, six semaines au gouvernement algérien, etc » avait menacé Bayrou. On allait voir ce qu’on allait voir ! Rien !
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    De même qu'en 68 il ne fallait pas "désespérer Billancourt" (alors usine de Renault, symbole de la classe ouvrière), il faut encore moins allumer la mèche des explosifs de banlieue ! C'est le piège tendu par des décennies immigrationnistes.
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    Apprenant la mort de sa mère, ce 11 juillet, Kamel Daoud a tweeté : "À Tebboune, Kamel Sidi Said, Belkaïm, et aux autres : il y a des jours qu’on n’oublie pas. Aujourd’hui, ma mère est décédée. Je ne peux pas la voir, la pleurer, ni la saluer et l'enterrer, car vous m’avez banni de mon foyer et m’avez interdit de revenir dans mon pays
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Gerard Ponthieu

Journaliste, écrivain. Retraité non passif. Blogueur depuis 2004.

3 réflexions sur “Boualem Sansal. Algérie – France, un même déshonneur

  • andré émile joseph bosquart

    Salut Gérard,
    Je ne répon­drai pas sur le fond du pro­pos. J’ai en hor­reur de devoir à toute force, à tout prix, prendre par­ti. J’essaie de res­ter un homme de nuances, de rela­tions, d”  »égards ajus­tés » (emprunt à Baptiste Morizot) .Je vou­lais juste com­pa­tir à ta fureur, à ton écoeu­re­ment, à ta colère, et expri­mer ma sol­li­ci­tude à l’é­gard de la souf­france que tu exprimes, rela­tive à cette injus­tice fla­grante et indis­cu­table. Je sens à quel point tu es enga­gé dans ce com­bat-là, et je t’en féli­cite et t’en sais gré. De là où je suis et où j’en suis, de là où je parle, cela m’est à la fois plus loin­tain, plus dis­tant, plus dif­fi­cile. Je m’in­cline ! Et bravo !

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  • Bernadette topart

    Je n’entrerai pas en fureur comme toi tant l’écœurement m’envahit.
    J’ai peur pour nos géné­ra­tions futures de ce monde insen­sé et cruel. Nous avons un beau pays où l’intelligence et la rai­son domi­naient, ou au moins vou­lait en faire ses valeurs et voi­là qu’’on a oublié de res­pec­ter la pen­sée de cha­cun et la tolé­rance. Notre gou­ver­ne­ment est faible et les idéo­logues avec le sou­tien des reli­gions extré­mistes risquent de nous faire entrer dans une pro­fonde obscurité,
    J’ai peur pour nos enfants
    Que vont ils faire de tout ça
    Tu décris avec tes mots que tu sais rendre justes et forts
    Merci d’avoir ce cou­rage et ce talent

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