« Le Monde » aussi est rattrapé par « Pif-Gadget »
Le Monde, on le sait, connaît des temps difficiles : diffusion en baisse de 4 % par an depuis 2003 ; exploitation déficitaire de 3 millions d'euros en 2002, de 11 millions en 2003 et autant en 2004 ; publicité sinistrée ; plan de départs volontaires afin de diminuer la masse salariale, avec suppression de 90 postes de journalistes sur 335 – seuls 16 ont pour le moment négocié leur départ. Bref, c’est la crise qui, j’en parle souvent ici, touche presque toute la presse quotidienne, en particulier parisienne.
Le Monde a donc besoin de sous neufs pour colmater ses pertes financières et tenter de repartir sur de «nouvelles» bases économiques. Nouvelles entre guillemets car, vous l’aurez peut-être compris avec mon titre, la recette envisagée par la direction du journal semble au moins dater de Pif-Gadget.
Seuls les très jeunes blogueurs ne se rappelleront pas les facéties commerciales de Pif-le-Chien, hebdo pour enfants qui, dans les années 70, inventa la «vente additionnelle». Il l’inventa pour la presse, car la méthode, vieille comme le marketing, consiste à forcer la main de l’acheteur en lui fourguant un autre produit, généralement à marge élevée. Ça s’apprend dès le BEP commercial et, par exemple, les marchands de chaussures l’appliquent lorsqu’ils tentent de vous fourguer, en plus des godasses, des chaussettes fantaisie ou une «crème nourrissante»…
Pif, qui avait du flair, s’était donc lancé dans ce genre de commerce qui tenait plus du bazar de jouets que de la presse. Il «offrait» ainsi à ses jeunes consommateurs des gadgets souvent inattendus, comme les pois sauteurs du Mexique, des vistemboirs((Jacques Perret, Le Machin (nouvelles), Gallimard, 1955.)) 😉 ou des bactéries phosphorescentes que l’on faisait revenir à la vie…
L’aventure a duré jusqu’en 1992, et a connu une résurrection l’an dernier. Je ne peux m’empêcher de rappeler en passant que la maison d’édition de Pif-le-Chien était très liée au Parti communiste… Mais c’est une autre histoire (racontée d’ailleurs dans un bouquin).
Et Le Monde dans tout ça ? Eh bien!, ses lecteurs l’auront constaté, l’honorable journal s’est lancé dans la fameuse vente additionnelle depuis quelques mois avec des DVD vendus à 6 euros en fin de semaine. C’est différent des «produits dérivés» genre «Dossiers et documents» ou, lancé en janvier 2004, Le Monde 2 – lequel relève de la vente forcée puisqu’il est obligatoirement accouplé au numéro du samedi vendu 2,50 euros et, de même, intégré à l’abonnement (au grand dam de certains rouspéteurs, dont moi bien sûr !).
Avec ses produits dérivés, l’entreprise Monde reste toutefois dans son métier, qui est de produire de l’information. Il en va autrement avec des DVD qui, aujourd’hui, ne sont pourtant que la première étape d’une «diversification», comme dira un Jean-Marie Colombani, là où je préfère parler de marchandisation de la presse.
Première étape parce que la recapitalisation du journal ne laisse rien présager de bon à cet égard. En effet, ses deux principaux nouveaux actionnaires (25 millions d’euros chacun), Lagardère et l'espagnol Prisa, sont des adeptes de la vente additionnelle. Surtout Prisa, qui édite le quotidien El Pais, lequel vient de battre en 2004 ses records de diffusion depuis ses vingt-neuf ans d'existence, avec 470.00 exemplaires. Cette croissance est due en grande partie aux ventes de produits dérivés distribués avec l'achat du quotidien (330 000 encyclopédies, CD musical, DVD, livres de cuisine...). Même stratégie chez son concurrent, le quotidien conservateur El Mundo : 300.000 exemplaires en 2004, soit 20.000 de plus qu'en 2002.
Lagardère ne se veut pas en reste sur ces pratiques de marketing ; ainsi La Provence, par exemple, vient-elle de se lancer aussi – à l’instar du Figaro de chez Dassault – dans la vente additionnelle d’une encyclopédie «santé» à 5 euros.
J’ai déjà ici fustigé cette fuite en avant des médias de presse dans le champ de la marchandisation (BRADERIE. Journaux, encyclopédies et petites culottes). Fuite en avant parce qu’elle se détourne des problèmes de fond, à savoir : le sens, la fonction et la place de l’information dans nos sociétés littéralement sonnées par la surconsommation médiatique.
On pourrait établir un parallèle avec le monde la grande distribution qui en est à affronter un certain sentiment de gavage des consommateurs face à une surabondance de produits. Et qui plus est, de produits à la qualité de plus en plus dégradée par l’exigence imposée aux producteurs de «tirer les coûts» au plus bas. Et le cercle vicieux se ferme.
La "grande presse" est peut-être en passe de céder à ce processus de dévalorisation. Si l'information est aussi une marchandise, elle ne saurait être celle des marchands de n'importe quoi.
Je ne vois pas d’autre ressort, ici comme pour la presse, et pour en revenir aux journaux, que celui de la qualité essentielle, intrinsèque. En d’autre termes c’est l’alternative bouffer / manger transposée au zapper / s’informer. Une quête du sens – du sens de la vie, puisqu’il faut bien dire les choses par leurs noms.
« La différence entre Pif-Gadget et Le Monde, c’est que dans le premier, il y a du talent. » : YES !
tout à fait d’accord,
y’a qu’a voir le nombre de personnes qui retrouvent leur collection pif avec plaisir, alors que les vieux journaux du monde sont tous passé à la trappe.….
y’a qu’a voir les nouvelles générations s’émouvoir sur rahan nouvelle génération et demander à voir les pif d’avant.….
y’a qu’a voir la cote bdm des pif en 2005 .…..
PIF GADGET WILL NEVER DIE MR LE MONDE !