C de coeur, C de gueuleGaffe, les médias !Presse-Médias

L’Argent comme valeur de tout, et de l’information par conséquent

C’est bien, le pluralisme de l’info… Exemple : tandis que Libé sortait son pavé supplément sur Sartre, Le Monde envoyait un faire-part annonçant le déjeuner que le nouveau co-proprio, Édouard de Rothschild, devait prendre au siège du quotidien, fondé par Jean-Paul… Le Libé du lendemain [15/03/05] répliquait par un tir plus tendu titré : «Lagardère ”très content” de son accord avec ”Le Monde”». Tout ça à fleuret moucheté, sous forme de brèves d’allure innocente. Tentons un décodage de cette guéguerre.

La musique ne change jamais, à quelques notes près : «Nous n’avons aucune vocation d’exercer quelque influence que ce soit ou quelque contrôle que ce soit dans le Monde». telle était la partition d’Arnaud Lagardère citée par Libé. Beau comme du Édouard de Rothschild interprétant le même morceau lors de son entrée dans le capital de Libération. Et July d’entonner le credo du nouveau Sauveur. Tandis que l’ancien, qui aurait cent ans [au fait, Sartre est né le 21 juin 1905 : pourquoi cette avance sur le calendrier des célébrations?], doit gigoter dans sa tombe, pour peu qu’il relise son appel à la une du Libé du 17 décembre 1973 : «Nous avons refusé de devenir une entreprise industrielle et commerciale»… Le pavé est reproduit dans le spécial Sartre, et ci-contre aussi (n’envoyez quand même pas de chèque à Sartre, ou alors libellé à l’ordre de Serge July…).

11libsartreTrente ans depuis. Les temps ont changé, on dirait. Juste ce qu’il a fallu pour faire entrer quelques «idées saines» dans les têtes. En vrac : la marchandise en lieu et place des idéologies, le néolibéralisme comme stade ultime du capitalisme, les flux financiers comme universel moteur de l’économie mondialisée, la glorification des valeurs individuelles détachées de l’universel, la communication comme outil et finalité de la politique, le journalisme comme possible technique froide au service du spectacle marchand.

Donc, en effet, ni Arnaud ni Édouard – je crois entendre Jean-Marie et Serge passant les petits-fours – n’ont à se soucier de faire passer un quelconque message : celui-ci n’a pas à être formulé, il fait partie du tout, est intégré à leur «prestation» financière et les habille de la tête aux pieds.

Lagardère a toutefois frisé la faute de goût en affichant une trop voyante satisfaction, se disant «très content économiquement et financièrement de cet accord» avec Le Monde dont il attend un retour économique «sympathique»… Car ces patrons n’en sont pas moins des humains et peuvent, on le voit, éprouver du sentiment… dès lors qu’il sonne et trébuche dans la bonne poche (argent de poche ?-).

Ces jeunes gens du néo-capitalisme se distinguent ainsi, par leur néo-éducation, de la rustrerie d’un Dassault, héritier de son digne père de Marcel, si vieille France au demeurant. Serge, lui, a mis les pieds dans le plat du Figaro et de L’Express (le «reste» de ses achats, il s’en fout, semble-t-il). Il veut imposer ses fameuses «idées saines» avec ses gros sabots, là où les pantoufles sont pourtant déjà à l’œuvre [ ! c’est tout de même pas pour rien que j’ai lancé ici le Palmarès des Pantoufles de presse !].

Donc il braque «ses» rédactions – et, merci en passant, car des journalistes entrent ainsi en résistance. Résistance, oui, il faudra bien y venir. Ou périr avec le métier d’informer.

Quand Lagardère dit espérer de ses billes dans Le Monde un retour «sympathique», c’est un message même pas subliminal qu’il fait ainsi passer. Pas besoin de décodeur pour voir que la rentabilité devra être au rendez-vous de l’information… C'est-à-dire à la ligne principale du résultat d’exploitation, pour parler peu et bien. Qu’on m’explique alors comment cette exigence de rendement n’aurait pas sa contrepartie sur le contenu d’un journal !

Qu’ajouter de plus à ce message-là, essentiel ? Les médias de masse sont devenus des industries parmi d’autres – ou, justement, sont en passe de le devenir. Leurs mentors idéologiques sont des économistes et des hommes d’affaires néolibéraux. D’un Vincent Bolloré (Direct 8, future chaîne TNT) à Alain Minc (du conseil de surveillance du Monde), un même fil tendu relie les bouts d’une pensée unique qui passe aussi par les prophètes de la «fin de l’Histoire». Rien n’aurait plus de sens, en effet, dès lors que l’Argent serait devenu valeur absolue de toute activité humaine.

J’en profite pour ressortir ces mots du fondateur du Monde, que j’ai déjà mis ici en devinette : «Ce qui a probablement perdu Le Temps de Paris [ancêtre du Monde], c'est d'avoir trop d'argent. Ce qui a été une des grandes forces du Monde, c'est de ne pas en avoir.» Hubert Beuve-Méry, Paroles écrites, Grasset, 1991.

Certes, il y a dans cette citation des relents de protestantisme austère et moraliste. Tout comme l’appel de Sartre – «Donner la parole au peuple et faire explorer la vérité» – relève d’un messianisme daté. Oui, les temps ont changé. Mais le reste, la vie, l’incertitude des lendemains, et l’information qui dit le monde, en cherche le sens ?

Partager

Une réflexion sur “L’Argent comme valeur de tout, et de l’information par conséquent

  • michel kerninon

    TOUT CA VA FINIR PAR NOUS FAIRE REGRETTER LE CAFE DU COMMERCE DU PAPA GATEUX MARCEL.
    > : ALAIN JOANNES DANS LE TELEGRAMME DU 29 MARS 05 A PROPOS DE LA DEPROGRAMMATION DE BARROSOFRANCE 2 > PAR CHICHI. COURAGE, FUYONS !
    >(Proverbe français).

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Translate »