À bord du « Debussy ». Le canal de Suez : un travelling de dix heures à 50 m de hauteur
MonJOURNAL depuis le « Debussy » (11/11/05)
« Three – five – four ! » lance le pilote. « Three – five – four, sir ! » répète aussitôt le timonier en ajustant le cap. Et ainsi toutes les minutes environ, durant la douzaine d’heures qui s’égrènent à la vitesse de dix-onze nœuds, soit une vingtaine de kilomètres-heure. Le temps de parcourir les quelque 164 kilomètres du canal du Suez. C’est de là que j’écris ces lignes, et jamais sans doute je n’ai tapé papier dans des conditions aussi singulières, exceptionnelles.
Je me trouve sur la passerelle du « Debussy », cargo porte conteneurs de la CMA-CGM, troisième des grandes compagnies maritimes mondiales, basée à Marseille. Je l’ai rejoint hier soir alors qu’il mouillait en pleine mer, dans le golfe de Suez, à l’extrémité sud du canal. Chargé de plus de 5.000 conteneurs, ce navire ne relève en rien a priori de la plaisance : 300 mètres de long, 60 de haut, 40 de large, moulin de 93.000 chevaux, un des plus puissants installés sur un navire. Bon, assez de chiffres pour le moment , là n’étant pas vraiment l’essentiel.
Me voilà donc embarqué pour une huitaine de jours qui devraient m’amener jusqu’au Havre, le bien nommé, après une escale à Malte et le tour de l’Ibérie via Gibraltar. Je me trouve numéro 27 dans la « liste des membres d’équipage », soit 25 hommes et un autre passager, John Singer, un British de chez British, épatant personnage que je ne manquerai pas d’évoquer le moment venu – j’ai le temps, au sens plein de l’expression. C’est d’ailleurs de la durée dont m’a tout de suite parlé le commandant Laurent Mathieu, dès le petit matin, tandis que l’appareillage était annoncé pour six heures. La durée comme cinquième élément du navigateur au long cours. C’est aussi ce qui m’a séduit dans ce projet, mêlé au mystère du cargo comme figure mythique de mon imaginaire.
Depuis la passerelle, à l’heure du premier café, juste devant l’entrée du canal [Ph. gp]
Je commentais hier mon changement de continent, de culture, de civilisation en franchissant le détroit de Bab el-Mandeb, entre Djibouti et le Yémen. Me voici maintenant exactement entre les deux rives d’un monde qui, né en Afrique, a grandi vers l’Orient avant de s’étendre à la planète – la durée, là encore, mais en centaines de milliers d’années et plus.
Je me trouve pour ainsi dire au centre du monde des humains, et en tout cas à l’exact endroit où le continent africain a pris « le large », encore tenu à la charnière de la basse Égypte, du moins jusqu’en 1869, quand la Méditerranée et la mer Rouge furent donc réunies par le canal. L’Afrique devenait ainsi, stricto sensu, une île.Revenons à l’ici et maintenant du « Debussy » qui semble ronger ses freins tandis que défilent les rives des deux mondes. Quel fabuleux spectacle que ce lent travelling cadré depuis le château du navire, à plus de cinquante mètres de hauteur ! À bâbord le vert des oasis, palmeraies, jardins et riches terres irriguées ; mais aussi le chemin de fer, la route, les pylônes électriques. À tribord, le sable sinaïtique, le désert à perte de vue, ponctué ça et là de quelques campements, d’une mosquée esseulée, d’un casernement. Comme si une certaine richesse, matinée de modernité, s’était trouvée stoppée net, d’un trait de cartographe. Sidérant.
Le pilote, égyptien, commande l'avancée dans le canal. [Ph. gp]
Un trait, certes, dans cette deuxième moitié entamée après la sixième heure, celle de la relève du pilote. Explications : un premier pilote guide le cargo dans le golfe de Suez, jusqu’à l’entrée même du canal où un second pilote embarque. En échange de ses compétences de navigateur, mais aussi en raison des prérogatives égyptiennes sur le canal – nationalisé en 1956 par Nasser, au grand dam de la France et de la Grande-Bretagne qui décident une intervention militaire achevée en fiasco –, le commandant lui délègue son commandement. Mais tout le staff des officiers reste là, tout à la conduite du cargo, l’œil rivé sur la « route » et les données affichées par les instruments. Le timonier ne lâche ni l’attention ni la barre – en fait une sorte de volant de Game-boy, l’électronique est passée par là. La route, c’est aussi de surveiller le cargo de devant, en l’occurrence le « Safmarine Hymalaya », un autre porte-conteneurs battant pavillon grec ; il s’agit de maintenir les bonnes distances – de l’ordre du mille (envion 1,8 km). À l’arrière, il en est de même pour le « Nyk Canopus », sous pavillon panaméen – ce qui fait gloser le pilote égyptien à propos de ses commandants aux nationalités imprévisibles…
Dans le sens sud-nord, dit south-band en jargon marin, en quittant Port-Tawfiq, 3,5 km au sud de la ville arabe de Suez, la première moitié est la plus inattendue : toute en courbes et quasi arabesques ; assez peu « canal » en fait, car la mer Rouge se sent ici attirée par la Méditerranée. Ou l’inverse. Bref, les éléments n’ont pas été tout à fait domptés. Pendant une vingtaine de kilomètres défilent les contreforts rocheux qui séparent le bassin du Nil de la mer Rouge. Puis le canal pénètre dans le lac Timsah, au bord duquel a été bâtie la ville d'Isma‘iliya, et atteint la dépression des lacs Amers. Enfin, c’est le lac Manzala, le plus grand, qui va permettre le croisement des deux convois, montant et descendant. Comme dit le commandant, « Dieu a bien fait le canal »…. Des hommes l’ont aussi aidé. On verra ça demain.
Il est 17 heures, nous venons de gagner la mer, laissant Port-Saïd à bâbord et sous le soleil rouge dont la disparition inquiétait tant les pharaons. Le convoi des 27 navires montant va voir son chapelet se défaire, chacun vers sa destination – ce mot chargé de destin… Le « Debussy », lui, va encore devoir tenir son cap étroit dans le chenal ; c’est l’un des plus gros du lot, avec son tirant d’eau de près de 14 mètres. Encore une trentaine de kilomètres. Tandis que la mer et la nuit entrent en noces noires. Au poste de pilotage, on éteint l’éclairage. Cadrans et écrans scintillent avec discrétion. Les chevaux sont lâchés. Le commandant et son staff redoublent de vigilance. John Singer aussi. Alors, en avant toute !
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Déjà les pharaons avaient rejoint les deux mers
…Et l'Afrique devient une île…
Ahmed Massoud, premier pilote du canal embarqué ce matin, dans son français impeccable, commente pour moi notre avancée. Tout en ajustant en permanence le cap et la vitesse, il aide l’histoire à se dérouler sous nos yeux.
Voici les restes du canal des pharaons de la XIIe dynastie (2000-1788 avant notre ère) qui, les premiers, joignirent la Méditerranée à la mer Érythrée par une voie d'eau. Leurs navires remontaient le Nil, empruntaient un premier canal jusqu'aux lacs centraux, un second jusqu'au golfe de Suez. Perfectionnée par les Ptolémées, cette voie d'eau fut, sous le nom de « fleuve de Trajan », largement utilisée par les Romains pour commercer avec l'Arabie, l'Inde et la Chine.
Les Byzantins n'entretinrent pas ces canaux qui furent bientôt ensablés. Mais en 640, lors de la conquête de l'Égypte par les Arabes, le calife Amr ibn-al-As les fit restaurer, afin de pouvoir atteindre plus aisément les cités saintes d'Arabie. Cent trente-cinq ans plus tard, Médine s'étant révoltée contre le calife Mansour, celui-ci fit combler la voie d'eau pour couper l'approvisionnement des insurgés. La nature acheva rapidement l'œuvre de destruction des hommes. Le bras oriental du Nil se détourna vers l'ouest, et les lacs s'asséchèrent. [Source complémentaire : Encyclopædia Universalis].
Peu après, à tribord, voici le monument aux morts de la Grande guerre… L’Égypte s’était trouvée engagée dans le conflit aux côtés des Allemands et des Turcs – ce qui lui valut d’être annexée par les Britanniques. En ce 11 novembre, ce rappel tombe à point nommé. En dirait-on autant, côté Sinaï cette fois – et pour cause – de cet autre monument érigé en mémoire de la guerre perdue des Six jours, en 1967, contre Israël ? Il s’agit d’une lame de baïonnette d’une vingtaine de mètres, montée sur un embout de Kalachnikov. Effet saisissant… « Typicaly middle-east », commentera notre « sujet de sa majesté ».
bonjour
pourriez vous me dire :
‑quel pays a donné l’argent pour que la construction du canal de suez soit possible
‑qui sont les principaux bénéficiaires de cette construction
qui sont les ouvriers qui y ont travaillé
et pourqoi les peuples colonisés sont-ils soumis aux colonisateurs
merci de votre reponse
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Commentaires
Bonjour,
Merci de votre journal de bord sur le Debussy. Je pense qu’en quelques jours, j’en apprendrai plus sur la vie et le quotidien des marins sur un porte container qu’en 8 ans de vie commune avec mon mari, second mécanicien à vos côtés sur le Debussy.
Attention cependant à ne pas dire trop vite que cette vie est merveilleuse…sans mentionner que cette vie est possible de manière équilibrée grâce aux délicates épouses que nous sommes à terre, capable de concilier un metier prenant d’ingénieur à plein temps et l’élevage (euh, l’éducation) de trois jeunes enfants !
J’attends votre prochain billet,
Meilleures salutations,
Christine Roguet
Rédigé par : Christine Roguet-Debray | le 14 novembre 2005 à 12:26 | Alerter
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bonjour
sauriez vous me donner des informations pour aller en inde a bord de cargo passant par le canal de suez ? et ou pourrais je trouver des infos pour le yemen et djibouti ?
merci de votre réponse car je prépare un voyage et j’ai un peu de mal a trouver une solution peu honéreuse
bernard
Rédigé par : choulet bernard | le 06 décembre 2005 à 14:16 | Alerter
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bonjour,
je recherche des renseignements d’ordre pratique et fiancier pour traverser le canal de Suez dans les 2 sens.je possède un voilier de 13m et souhaite me rendre de Mediterranée à El Gouna et retour.
Merci
Christian
Rédigé par : jozankor | le 12 novembre 2008 à 07:34 | Alerter
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bonjour
pourriez vous me dire :
‑quel pays a donné l’argent pour que la construction du canal de suez soit possible
‑qui sont les principaux bénéficiaires de cette construction
qui sont les ouvriers qui y ont travaillé
et pourqoi les peuples colonisés sont-ils soumis aux colonisateurs
merci de votre reponse
Rédigé par : ludivine | le 18 novembre 2008 à 18:06 | Alerter