« Parade de l’OM » à Marseille. La seconde mort de Zarafa, brûlée « vive » en martyr de la bêtise
Le 22 janvier, ici même, je plaçais quatre photos sous le titre « La môme aux grandes cannes sur la Cane-Canebière ». La magnifique girafe aura tenu quatre mois sur l’artère principale et emblématique de Marseille, avant de succomber sous les coups de boutoir de la connerie humaine. Zarafa a été incendiée samedi par les hordes barbares censées fêter le sacre de l’OM dans le rituel footeux. Les images publiées par La Provence sont plus parlantes que l'insipide reportage du même journal, dont j’extrais ceci :
18h31. Les pseudo-supporters mettent le feu à une girafe
Installée près de la mairie du 1/7, en haut de La Canebière, une fausse girafe vient d'être enflammée par les pseudo-supporters qui affrontent actuellement les forces de l'ordre, en marge de la parade de l'OM. Elle ne devrait pas résister longtemps à ce mauvais traitement...
Deux remarques. La vidéo [depuis retirée du site de La Provence] apparaît à la fois affligeante par son contenu, le geste stupide – c’est peu dire – qu’elle illustre ; en même temps qu'elle affiche une blessante beauté, comme il en est trop souvent des drames (ici, il n’y a pas mort d’homme, mais une insulte à l’intelligence humaine). Voir cette girafe en feu ressemble à un acte surréaliste dépassant le fétichisme de l’objet et de sa représentation. Ce spectacle, car c’en est un, ne manque pas d’évoquer la girafe en feu peinte par Salvador Dali.
Sur le fond et l’absurdité du geste incendiaire, on peut aussi évoquer les pratiques d’autodafé remontant aux multiples inquisitions et en particulier sous le nazisme. Car la girafe de Marseille était constituée de milliers de livres assemblés autour d’une ossature. Des livres de poche, sans doute choisis bien attentivement, tant par les couleurs des couvertures que par les titres mêmes retenus par le sculpteur, Jean-Michel Rubio. On peut aussi penser à l’ouvrage de Ray Bradbury, Fareinheit 451, que Truffaut avait porté à l’écran (1966). Quand on brûle des livres, c’est à l’humanité tout entière qu’on attente, et c’est le signe que la barbarie est déjà en marche. N’allons pas jusqu’à là pour ce qui est du « supplice »marseillais infligé à Zarafa. Entre l’imbécillité du geste, son irresponsabilité et l’intention malfaisante, on ne saurait trop jurer que quoi que ce soit – ou alors des trois….
Rappelons que cette girafe avait été installée là, du haut de ses six mètres, la tête dans les branches d’un platane, à l’occasion des « bouquinades », une fête de quartier dédiée au livre. La girafe n’avait pas été élue au hasard, ce que la presse locale ne nous avait pas appris, notamment La Provence. Laquelle n’y a vu qu’un bestiau quelconque tout juste bon à faire exotique.
C’est donc par France Culture et sa Fabrique de l’histoire que j’apprenais quelques semaines plus tard l’aventure de Zarafa, la « Première girafe de France » offerte en 1825 au roi de France, Charles X, par le pacha d’Égypte. Lequel avait fait capturer deux girafes au Nord-Soudan. On leur fit descendre le Nil. À Alexandrie, il fut décidé, pour ne pas faire de jaloux, d’en offrir une à chacune des deux principales puissances coloniales en Afrique : l’Angleterre et la France.La girafe française embarqua pour Marseille, où elle parvint à l’automne de 1826. Elle fut alors prise en charge par Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, naturaliste savant du Jardin des Plantes, qui eut la mission de la ramener, au pas, dans ce sanctuaire parisien de la Science. Son voyage eut un retentissement considérable à l’époque : elle était attendue partout par des foules immenses.
La girafe anglaise, quant à elle, hiverna à Malte, supporta mal le voyage par Gibraltar et l’océan, et mourut à Londres dans les bras du roi George.
Quant à la Zarafa française et à son voyage en France, le délire collectif fut atteint à Lyon où cent mille badauds acclamèrent l’étrange vedette sur la place Bellecour. Charles X, à qui elle était personnellement offerte, se plaignit d’être pour ainsi dire le dernier des Français à la voir. C’était la première girafe à visiter l’Europe du Nord. Elle vécut tranquillement dix-sept années à Paris, mourut, fut naturalisée, et se fit oublier, pour ressurgir de temps à autres, sous forme de légendes souvent invraisemblables. Elle est maintenant au Muséum de La Rochelle.
Ce qui a donc été incendié samedi dans la gloire de l’Olympique de Marseille,ce n’est donc pas « une » girafe comme l’a vue La Provence, mais une partie de l’histoire de la cité phocéenne, une partie de l’Histoire humaine tout court. Cette épisode peu glorieux porte aussi sa dimension historique, hélas !
Oui…
Navrant mais si prévisible…
Frank
Bonjour,
Un groupe de soutien est ouvert sur Facebook :
http://www.facebook.com/group.php?gid=117845148250912&v=info&ref=mf
venez nombreux pour motiver une reconstruction rapide de Zarafa !
triste … mais non surprenant
Je reste tout de même abasourdi par ces « prévisibles » si violemment destructeurs…
Je ne connaissais pas la girafe, je ne savais pas ni pourquoi ni comment elle avait été érigée mais moi non plus je ne suis pas surpris qu’elle ait été incendiée… probablement par bêtise mais peut-être pour ce qu’elle représentait…
PANEM ET CIRCENSES
Et tout ce qui s’en suit.…
Au lieu de construire cette girafe pour « revitaliser » la Canebière et y faire venir une population qui consomme et paye des impôts, on aurait mieux fait de donner ces livres aux bibliothèques de quartier.
Les livres utilisés pour construire Zarafa étaient déjà condamnés depuis longtemps : on ne pouvait pas les lire. Alors les discours sur les livres brûlés, ça suffit. Cette girafe, c’est déjà un autodafé en soi.
Quand aux bouquinades, c’était loin d’être une fête de quartier : organisée par une chargée de com parisienne, elle promouvait le livre mainstream et bien pensant avec des auteurs comme Bernard Werber, comme s’ils avaient besoin de pub !
Ayons confiance, une fois reconstruite, elle brûlera de nouveau !
Evidemment pas d’accord ! Sauf à déconnecter la girafe en question de tout son contexte : historique (“« lignardise » des médias n’arrangent rien à cet égard, certes); symbolique (il y a tant à dire sur la place de la girafe dans le bestiaire humain et dans le champ scientifique lié à l’évolutionnisme et au darwinisme, etc.); artistique (c’était une oeuvre plastique indéniable ; Zarafa devenait un monument au sens premier de ce dont on se souvient. Mission accomplie en ce sens, y compris dans « la mise à feu » – dont on se souviendra ! En quoi Zarafa n’était pas d’abord un autodafé, certes non, mais plutôt un recyclage, une renaissance. De plus, de vrais bouquins étaient mis à disposition dans une niche ménagée dans le corps de Zarafa ; ce qui ne retire rien aux bibli de quartier. Quant aux « bouquinades » , oui, ça a plutôt l’air de rimer avec couillonnades… A moins d’améliorer la chose… Détruire est plus facile.
Voila qui ne va pas contribuer au rapprochement des peuples, d’un côté les footeux abrutis, de l’autre les intellos binoclards. Est-ce que je mets le feu à vos stades, moi ?
Je suis l’auteur des « Avatars de Zarafa » et l’intervenant principal de l’émission de « La Fabrique de l’Histoire » que vous citez. Je suis évidemment choqué par cet acte stupide et barbare qui nous ramène aux pires heures de notre humanité. Stefan Zweig ne s’est jamais remis de l’autodafé de ses livres dans l’Allemagne nazie. Quand on s’attaque ainsi à la culture, c’est toujours « Mozart qu’on assassine »… Lors des jeux célébrant le premier millénaire de la fondation de Rome, Philippe, successeur de Gordien III, offrit aux Romains dix girafes à la fois qui, comme les autres animaux sauvages, durent être massacrées au cirque. Le chroniqueur Eusèbe Pamphile précise que les réjouissances barbares durèrent trois jours et trois nuits… Toutes proportions gardées, je condamne cette destruction et espère très vite une nouvelle Zarafa II. L’idée était belle, généreuse, intelligente. OL
Zarafa II est de retour ainsi que son girafon Marcel Zafaron ! 🙂